Télétravail : les règles pour bien manager un salarié à distance

Publié le 10 octobre 2018 à 11h03
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Source : JT 20h Semaine

ORGANISATION - Il vient bouleverser les habitudes managériales. Le télétravail, qui a le vent en poupe en France, pousse à l'extrême le phénomène de la virtualisation des collectifs de travail. Profil idéal, outils collaboratifs, nouveaux rituels... LCI a demandé à un cabinet spécialisé ses conseils pour piloter une équipe à distance avec succès.

La pratique peut inquiéter (à tort). Le télétravail risque de s'accompagner d'une perte du lien social et de l'esprit d'équipe. C'est en tout cas ce que craignent 65% des salariés l'ayant expérimenté et 47% des dirigeants concernés, selon une étude publiée en janvier 2018 par l'assureur Malakoff Médéric. Sans oublier la question de la confiance qui peut se poser face à ce travail à distance.  

"Le sujet est avant tout culturel", assure à LCI Olivier Brun, président de Greenworking, un cabinet de conseil qui accompagne différents groupes du CAC 40 et de grandes administrations dans leurs projets d’innovation managériale. Pour ce spécialiste de la mise en place du télétravail, "la logique présentéiste et contrôlante, qui considère que le temps de présence au bureau correspond à la valeur produite, est complétement caduque. Cette croyance est toxique et pénalise le télétravail".  

Mais alors comment contourner la défiance liée au travail à distance ? Voici des conseils à destination des managers pour piloter dans les meilleures conditions leurs équipes en télétravail alors que la pratique a le vent en poupe -+25% selon les chiffres annoncés par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, le 9 octobre sur BFM TV.

Ne pas forcer si le poste n'est pas adapté au télétravail

Travailler à distance avec un PC n'est pas toujours possible, même dans le secteur tertiaire. "Certains métiers ne sont pas télétravaillables soit parce qu'ils ne sont pas suffisamment dématérialisés, soit parce qu'ils gagnent en efficacité quand les collaborateurs sont ensemble pour brainstormer", explique Olivier Brun, tout en assurant qu'il n'y aurait aucun frein technique pour 90% des postes des structures qu'il accompagne. 

Quand le métier n'est pas adapté au télétravail, "le collaborateur risque de se retrouver à passer une demi-journée à préparer sa journée de télétravail en scannant ses dossiers par exemple", pointe-t-il. Ainsi, la productivité va diminuer et entraîner une surcharge de travail. De quoi finalement discréditer cette pratique qui n'a pourtant pas besoin de mauvaise publicité auprès de certains managers. 

S'assurer que le profil du collaborateur s'y prête

"Qu'il s'agisse de performance au travail, de personnalité ou de compétence, neuf salariés sur dix ont un profil qui se prête bien au télétravail", selon le dirigeant de Greenworking. Un conseil cependant en cas de réticence : rien n'empêche d'"expérimenter la pratique pendant trois mois, à raison d'un jour par semaine, par exemple" pour voir si cela fonctionne. 

Pour les quelques autres, deux écueils apparaissent :

• Le manque d'autonomie, qui concerne typiquement les collaborateurs juniors ayant encore besoin d'apprendre au contact de leurs pairs. Ainsi, "certaines entreprises prévoient une ancienneté minimale de six mois afin de s'assurer que le télétravailleur soit un minimum intégré", précise Sandra Gallissot, avocate spécialisée en droit des ressources humaines au cabinet Jurisk RH.

• La situtation conflictuelle, qui concerne ceux qui cherchent à fuir, par le télétravail, une ambiance toxique au bureau (impliquant le manager ou les collègues). Or, "la formule ne fera que renforcer le problème et non le résoudre", assure Olivier Brun. 

Définir les règles du jeu dès le début

D'une pierre deux coups, "instaurer un cadre clair crée la confiance du manager et rassure les télétravailleurs, qui ont tendance à sur-travailler (en faire plus que dans les locaux de l'entreprise) parce qu'ils ont à coeur de démontrer que leur hiérarchie a eu raison de leur faire confiance ", analyse Olivier Brun. 

Il convient donc de définir les règles sur les plans juridique, organisationnel et opérationnel (via un accord d'entreprise ou un avenant au contrat de travail). Concrètement, "il faut prévoir des plages horaires où les encadrants et les collaborateurs sont toujours joignables comme cela aurait été le cas dans les locaux de l'entreprise", explique-t-il. "Pas question par exemple pour un insomniaque de passer en télétravail pour travailler la nuit et se reposer la journée."

Utiliser les nouveaux outils de communication

Conserver le lien humain est le principal enjeu du télétravail. "La messagerie instantanée (par téléphone ou par ordinateur) est essentielle. Elle permet d'avoir des conversations informelles, décousues, exactement comme celles que vous auriez devant la machine à café. Une façon de prendre la température, de rebondir (éventuellement avec un smiley), laisser la conversation en stand-by puis revenir", observe le patron de Greenworking. Son conseil pour que l'esprit d'équipe perdure : "Pousser les collaborateurs à adopter le travail polychronique avec plusieurs boites de tchat ouvertes avec tous les collaborateurs travaillant à distance".  

Pour la gestion de projet en équipe, des applications de partage en ligne (Trello, Todoist, Taskworld notamment) permettent à chacun de suivre en continu l'avancement des dossiers et d'ajouter des fichiers et des commentaires. Ces sortes d'agendas partagés prennent la forme de tableaux avec des colonnes distinguant ce qui est à faire, en cours, fait.  

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La visio-conférence, si elle est déjà bien entrée dans les moeurs, peut éventuellement être utile pour les réunions. Mais attention, "une réunion totalement virtuelle peut parfaitement fonctionner, une réunion totalement présentielle aussi, alors qu'une réunion mixant les deux risque d'instaurer un déséquilibre dans la mesure où ceux qui sont à distance ont tendance à écouter mais pas à participer", prévient-il encore. 

Des nouveaux outils collaboratifs qui pallient, en somme, "la virtualisation des collectifs de travail", comme le souligne Olivier Brun. Force est de constater en effet que le phénomène est déjà bien présent. Les réunions à répétition, les déplacements, le fait d'être toujours plus pressé par le temps sont autant de raisons de multiplier ces outils de communication.

Instaurer des nouveaux rituels (au bureau)

Il convient de prévoir des jours de présence au bureau afin que tous les collaborateurs se croisent. "Dans l'idéal, l'organisation repose sur la spécialisation des temps", explique Olivier Brun. Il s'agit de trouver le bon équilibre entre les temps liquides à réserver aux moments où on est au bureau (échanges informels dans lesquels on peut être coupé tels que répondre à des e-mails) et les temps solides à réserver aux moments où on est à distance (travail de fond demandant de la concentration tels que la rédaction d'un compte-rendu, la préparation d'une réunion).

Exemple : "Prenez 20 minutes d'échange informel les matins où tout le monde est au bureau, pourquoi pas autour d'un jus d'orange, d'un café et d'un croissant installés dans des canapés. Une façon de casser les codes du travail pour créer de l'adhésion au collectif, intensifier l'échange dans l'espace de travail."

Ne jamais laisser le travail sans retour

Loin des yeux, loin du coeur. Le manager qui ne recroise pas ses équipes en télétravail dans les couloirs, risque d'oublier de remercier les uns et les autres pour leur contribution. Pourtant travailler en autonomie ne veut pas dire être livré à soi-même. Ainsi, pour Olivier Brun, "il est recommandé d'appliquer la logique du feedback systématique. Dans le monde du non verbal, ce retour peut passer par l'e-mail (mais attention à ce que cela ne paraisse pas trop sec) ou par les outils de partage en ligne (de façon ouverte et transparente vis-à-vis du reste de l'équipe)". 

Ne pas forcément chercher à fixer une fréquence idéale

Le télétravail doit pouvoir offrir une flexibilité professionnelle et personnelle. "Une pratique à temps partiel et de façon souple est plus pertinente qu'une fréquence fixe", estime le dirigeant de Greenworking. Celui-ci distingue cependant deux approches selon les cas : 

• Un quota (40 jours par an par exemple, soit à peu près un jour par semaine en moyenne) pour les experts ou chefs de projet dans une grande structure. Ces salariés s'organisent de façon autonome et savent quel jour est le plus propice au télétravail, en fonction de la saisonnalité de l'activité (période creuse ou rush) et quitte à en reporter quand c'est nécessaire. Il s'agit alors de les manager par les finalités et non de mesurer des efforts. Quant aux top managers (aux fonctions de direction), en dépit d'une forte demande, ils rencontrent la double difficulté d'incarner un guichet à qui les collaborateurs viennent constamment poser des questions et d'être attendus en réunion pour l'essentiel de leur temps. Sans oublier qu'à ce niveau, occuper l'espace politique passe (encore) par une occupation de l'espace présentiel. 

• Des jours fixés par rapport aux autres membres de l'équipe pour les métiers qui nécessitent une présence. Par exemple dans un service de ressources humaines, un guichet d'accueil doit être ouvert tout le temps. Il convient alors de planifier au sein de l'équipe les jours qui seront télétravaillés, ou mieux encore des jours flottants que le collaborateur peut décider de poser, ou non, en tant que tels.


Laurence VALDÉS

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