A Maripasoula, l'incendie d'une décharge sauvage empoisonne la vie des Guyanais

Publié le 14 novembre 2019 à 16h43, mis à jour le 15 novembre 2019 à 15h03
A Maripasoula, l'incendie d'une décharge sauvage empoisonne la vie des Guyanais
Source : JODY AMIET / AFP

INCENDIE - En Guyane, une décharge publique sauvage brûle depuis plus de deux mois dans la commune de Maripasoula. Un incendie qui révèle en réalité les lacunes des autorités dans la gestion du tri des déchets dans la région.

Le 11 septembre dernier, un incendie s’est déclaré dans une décharge publique de Maripasoula, une commune guyanaise de 12 000 habitants en plein cœur du parc amazonien français. Dans les jours qui ont suivi, les fumées se sont mutées en une colonne et ont "atteint une quinzaine de mètres", d’après le Service départemental d’incendie et de secours (Sdis). Face à ces vapeurs présumées toxiques, les habitants de Maripasoula ont développé des symptômes, parfois graves : irritations des voies aériennes, des yeux, de la peau, maux de tête et insomnies liées aux odeurs. Certains ont été empêchés de travailler et des nourrissons ont été hospitalisés, jusqu’à une semaine pour certains. 

Pour l’heure, le niveau de toxicité des fumées est encore inconnu. "Des appareils de prélèvement ont été installés par l’ATMO il y a une dizaine de jours", constate Djo Samagnan. L’association, qui mesure et surveille la pollution atmosphérique, est supposée récupérer ces boîtiers de captage "incessamment sous peu" (ce jeudi ou ce vendredi) pour les envoyer en métropoles pour des analyses. La question du niveau de leur toxicité reste donc en suspens. Ce que l’on sait, c’est que plusieurs types d’ordures ont brûlé dans ce feu qui n’a pu être maîtrisé tout de suite par les pompiers : déchets ménagers, piles, batteries, électroménager, résidus de produits chimiques, selon le collectif Wi e dede. 

À ce jour, le feu n’est toujours pas éteint, confirme à LCI Djo Samagnan, président du comité de vie locale et du collectif Wi e dede, qui s’est rendu sur le site de la décharge jeudi 14 novembre au petit matin. "Il y a encore des cheminées dégageant des fumées de combustion mais l’incendie semble relativement contenu", grâce aux tonnes de terre déversées en permanence sur la zone. Et les habitants de Maripasoula se plaignent toujours des odeurs nauséabondes qui se dégagent de la décharge fumante. "L’odeur est très forte lorsque l’on est sur place", décrit ainsi DJo Samagnan. 

La décharge sauvage de Maripasoula vue du haut, ensevelie sous des tonnes de terre
La décharge sauvage de Maripasoula vue du haut, ensevelie sous des tonnes de terre - Wi e dede

Quelles mesures ont été prises par les autorités ?

Le 19 septembre, des camions-bennes ont commencé à recouvrir les déchets de terre pour contenir l’incendie. La Communauté des communes de l’ouest guyanais (CCOG), qui s’occupe de la gestion et de la collecte des déchets, s’est engagée à disposer de stocks de terre en permanence. "Cela réduit nettement les fumées", avance Djo Samagnan, qui reste tout de même prudent. Selon lui, si le déversement de terre vient à s’interrompre, le foyer peut reprendre à tout moment. "Il y a des tonnes de matières à combustion enfouies", explique le représentant des habitants. 

La décharge étant située à proximité de deux établissements scolaires, la préfecture de Guyane a ordonné la fermeture du collège de la ville huit jours après la constatation des premières fumées, du 19 au 23 septembre, suite au droit de retrait exercé par des enseignants et des membres du personnel. Le 23 septembre, une école, elle aussi envahie par les fumées nauséabondes, a fermé ses portes. 

Mais la véritable avancée réside dans l’accord conclu le 22 octobre entre le collectif Wi e dede, la Communauté de communes de l’ouest guyanais (CCOG), la préfecture, la municipalité et l’Agence Régionale de Santé (ARS), où certaines des revendications citoyennes ont été actées par écrit. "La priorité a été de demander que tout soit fait pour éteindre et contenir au maximum le feu", détaille Djo Samagnan. Mais aussi qu’une "cellule mobile" soit mise en place par l’ARS pour "sillonner les quartiers" et procéder à des analyses auprès des habitants. D’après les informations du collectif Wi e dede, l’opération a débuté le 28 octobre. 

Malgré les tonnes de terre déversés, la décharge de Maripasoula fume toujours Source : Sujet TF1 Info

Quel rôle ont joué les habitants ?

Ce sont eux qui ont donné l’alerte au lendemain de l’apparition des premières fumées auprès de l’ARS de Guyane, la préfecture, la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et France Guyane. Un groupe citoyen s’est même constitué en réaction à l’incendie de la décharge, le collectif Wi e dede, signifiant littéralement "nous agonisons" et géré par Djo Samagnan qui représente également les habitants de Maripasoula au comité de vie locale, l’instance de gouvernance du parc amazonien. 

Des habitants de la commune ont adressé plusieurs pétitions à la ministre des Outre-mer Annick Girardin pour alerter sur la situation catastrophique et certains ont déposé une plainte contre X au tribunal administratif pour défaillance de service public. Le corps enseignant a également fait pression sur la commune pour fermer les écoles en exerçant leur droit de retrait. 

Aucun tri sélectif n'est entrepris et la décharge de Maripasoula est laissée à l'abandon.
Aucun tri sélectif n'est entrepris et la décharge de Maripasoula est laissée à l'abandon. - Wi e dede

Dans quel contexte l’incendie est-il intervenu ?

La Guyane fait face à une carence dans la gestion des déchets, qui se matérialise ici par l’incendie de cette décharge sauvage où aucun tri n’est effectué. Celle-ci stocke plus de 30.000 tonnes de déchets selon le collectif Wi e dede, déversés par des camions-poubelles et laissés à l’air libre, contenant pour certains des substances dangereuses. Chaque année, c’est 2700 à 3000 tonnes d’ordures qui sont rejetées sur le site, rapporte la 1 ère. 

Et le problème est loin d'être récent dans la région. Cette décharge publique a été déclarée illégale par l’Union européenne en 2007, qui a condamné à ce titre la France pour "manquement d’Etat". En 2010, la préfecture de Guyane a lancé un plan d’investissement de sept millions d’euros pour la création de quatre plateformes de gestion des déchets. Ces plateformes devaient alors compacter et stocker les déchets mais n’ont jamais été utilisées, faute d’un approvisionnement électrique suffisant, selon la CCOG. 

Djo Samagnan et le collectif Wi e dede attendent désormais de faire le point avec les autorités locales au sujet des équipements de tri sélectif à disposition. Une rencontre est censée s’organiser avant la fin de l’année. "La situation actuelle n’étant que la malheureuse conséquence d’une méthode de traitement des déchets vieille de plusieurs décennies, illégale depuis douze ans, la mise en conformité de la gestion des déchets devrait être une priorité durable des acteurs concernés", dénonce le collectif citoyen dans un communiqué.  


Caroline QUEVRAIN

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