Contre le réchauffement climatique, le biokérosène peut-il sauver l'avion ?

par Matthieu JUBLIN
Publié le 1 juillet 2019 à 14h21, mis à jour le 3 juillet 2019 à 21h40
Contre le réchauffement climatique, le biokérosène peut-il sauver l'avion ?
Source : SAUL LOEB / AFP

INTERVIEW - Pour limiter les émissions de gaz à effet de serre causées par le transport aérien, certains veulent interdire des liaisons domestiques, quand d'autres misent sur le développement du biokérosène. Ce carburant non-fossile peut-il permettre à lui seul au secteur de se développer sans réchauffer la planète ? LCI a posé la question à Paul Colonna, directeur de recherche à l'Inra.

Développer le transport aérien sans faire exploser les émissions de gaz à effet de serre du secteur - voire en les diminuant ? C'est la promesse que pourrait exaucer, selon certains, le biokérosène. Non-issu du pétrole fossile contrairement au kérosène classique, le biokérosène a récemment suscité l'espoir des 93 parlementaires - majoritairement des sénateurs - qui ont demandé le 22 juin de développer ce carburant alternatif, et surtout d'arrêter de "taper sur l'avion".

Dans cette lettre ouverte, publiée après les débats de la loi d'orientation des mobilités, ces parlementaires appellent à aider le secteur aérien "à adopter une stratégie bas carbone en développant la recherche sur l'hydrogène et le biokérosène", au lieu d'interdire certains vols domestiques, comme le demandaient d'autres parlementaires ainsi que les écologistes. Actuellement responsable de 2% des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial, le secteur aérien prévoit de passer de 4 milliards de passagers aujourd'hui à plus de 7 milliards en 2034.

Les compagnies espèrent à la fois développer massivement le recours à l'avion tout en affichant leur objectif de réduire de 50% leurs émissions de GES d'ici 2050. Le biokérosène, actuellement utilisé à l'état expérimental, peut-il permettre d'atteindre ce double objectif ? Pour comprendre son intérêt et ses limites, LCI a interviewé Paul Colonna, directeur de recherche à l'Inra et spécialiste du biokérosène.

LCI : Quelles sont les différences entre kérosène et biokérosène ?

Paul Colonna : Le kérosène est obtenu par distillation du pétrole. C'est un mélange de molécules qui n'a pas seulement une fonction de carburant, mais aussi de lubrifiant et de transport thermique au sein de l'avion, d'où son intérêt pour le transport aérien. Le biokérosène, quant à lui, est produit soit par la fermentation de plantes (colza, palme, betterave, etc, ndlr), soit par le traitement d'huiles usagées, comme les huiles de friture industrielles ou les ressources ligno-cellulosiques qui ne peuvent pas servir à l'alimentation (tiges, chaumes ou pellicules de graines). Ce sont les mêmes procédés que pour produire des biocarburants automobiles. En revanche, le biokérosène ne permet pas d'obtenir aussi facilement les propriétés du kérosène utiles à l'aviation, et l'on est obligé de le mélanger avec du kérosène si l'on souhaite l'utiliser.

Moins de gaz à effet de serre directs, mais plus de déforestation ?

Le biokérosène émet-il moins de gaz à effet de serre que le kérosène ?

Oui, le grand avantage du biokérosène est qu'il émet moins de gaz à effet de serre comparativement au carburant fossile. Au niveau européen, l'extension de la réglementation des biocarburants automobiles aux biokérosènes contraint ces derniers à émettre 60% de gaz à effet de serre en moins pour qu’ils soient certifiés. Les biocarburants terrestres parviennent, eux, à émettre 80% de gaz à effet de serre en moins.

Mais en cultivant certaines plantes uniquement pour produire du biokérosène, ne risque-t-on pas d'accélérer la déforestation, ou de faire entrer en concurrence ces cultures et les cultures destinées à l'alimentation humaine ?

Cette problématique de concurrence entre les cultures existe, mais est moins présente pour le biokérosène de deuxième génération, qui utilise les huiles de friture ou les ressources lignocellulosique qui ne peuvent pas servir à l'alimentation. Il est vrai que quand la production de biokérosène entraîne un changement d'usage des sols, en cas de déforestation notamment, cela conduit à un relâchement dans l'atmosphère du carbone qui est séquestré dans le sol ou les plantes, donc à du réchauffement. On retrouve ce problème en Asie avec la culture des palmiers à huile, mais pas en Afrique, où les sols qui changent d’usage étaient déjà cultivés, ni en Europe, où les forêts sont bien gérées.

Un carburant deux fois plus cher

Peut-on miser uniquement sur le biokérosène pour abaisser les émissions du secteur aérien ?

Que l'on fasse des avions qui volent à l'hydrogène ou au biokérosène, ils entraîneront toujours des émissions de gaz à effet de serre. En 2016, l'Association internationale des transports aériens (IATA), qui regroupe les compagnies aériennes, s'est cependant fixé trois objectifs : améliorer d’1,5% par an l'efficacité énergétique du secteur, parvenir à une croissance du marché "neutre en émissions" à partir de 2020 - ce qui est un objectif très flou -, et enfin réduire de 50% les émissions du secteur à l’horizon 2050. Techniquement, ce dernier objectif est atteignable avec le biokérosène, mais le problème est surtout économique.

Pourquoi ?

Le biokérosène coûte à peu près le double du kérosène à produire. Si on voulait remplacer entièrement le kérosène par du biokérosène, cela créerait donc des tensions très fortes sur les marchés. Pour développer ce dernier, on peut donc mettre en place des subventions, ou un système de taxe carbone qui ferait augmenter le prix du kérosène. Mais ce n'est pas par le seul jeu du marché que nous pourrons adopter le biokérosène. La vertu a un prix. 


Matthieu JUBLIN

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