RECHERCHE - Des chercheurs de l’université d'Helsinki ont mis au point un vaccin pour protéger les abeilles de la loque américaine, un maladie bactérienne dévastatrice. Cette première mondiale est un sacré coup de pouce pour protéger ces insectes pollinisateurs, mais pour les spécialistes, il faudra en faire plus pour sauver les abeilles et, avec elles, nos ressources alimentaires.
Alors que les écologistes se morfondent devant la faiblesse des actions politiques et qu’ils craignent que la COP24 accouche ce vendredi d’un accord peu ambitieux pour lutter contre le réchauffement climatique, la découverte de scientifiques finlandais apporte une bouffée d’espoir aux défenseurs de l’environnement. Dalial Freitak et Heli Salmela, deux chercheuses de l’université d'Helsinki, viennent d’annoncer le premier vaccin au monde pour abeilles.
Nommé le PrimeBEE, il permet de protéger ces insectes contre contre la loque américaine, la plus répandue et la plus destructrice des maladies bactériennes de l'abeille. Un moyen de sauver les abeilles menacées d’extinction ? Pas si simple...
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Pourquoi le déclin actuel du nombre d’abeilles est critique ?
Depuis une trentaine d'années, les populations d'abeilles diminuent de manière considérable. "Actuellement, on compte à peu près 1.200.000 ruches en France", détaille Henri Clément, secrétaire général de l'Union National de l'Apiculture Française (UNAF). "On en perd chaque année entre 300.000 et 350.000, soit 30%." Selon l'ONU, plus de 40% des pollinisateurs invertébrés, et en particulier les abeilles, sont même menacés d'extinction.
Ces insectes sont bien souvent victimes de ce que l'on appelle le "syndrome de l'effondrement des colonies d'abeilles", un mal mystérieux. Du jour au lendemain, curieusement, les abeilles disparaissent sans laisser de traces. On accuse certaines bactéries, des parasites, les pesticides, le réchauffement climatique, voire la combinaison de ces différents facteurs.
Pour Henri Clément, la population ne semble pas prendre conscience de cette situation "dramatique" : "si nos collègues éleveurs bovins ou porcins perdaient 30% chaque année de leurs animaux, cela ferait la une des journaux télévisés !". "Car le problème ce n’est pas la baisse de production de miel, c’est la pollinisation", poursuit-il.
Les abeilles contribuent en effet à la pollinisation de 80% des espèces de plantes à fleurs, selon l'INRA. Leur action est donc déterminante pour nourrir la planète : elle assure 35% de la production mondiale de nourriture, en volume. Si l'on s'intéresse au coût financier, cela représente 507 milliards d'euros par an, selon une étude de l'ONU publiée en 2016.
Quel est ce nouveau vaccin, le PrimeBEE ?
Vu la situation, l'arrivée d'un vaccin pour abeilles semble miraculeux. Premier miracle : on croyait impossible de mettre en place un vaccin pour insectes, car il n'ont pas d'anticorps. Or le principe même de la vaccination consiste à introduire des faibles souches d'un microbe (ou des souches modifiées) pour que le corps apprennent à le reconnaître et déclenche la fabrication d'anticorps en cas d'"attaque."
Deuxièmement, "si nous pouvons sauver ne serait-ce qu'une petite partie de la population d'abeilles avec cette invention, je pense que nous avons fait notre bonne action et sauvé un peu le monde", estime Dalial Freitak, chercheuse à la tête du projet.
Alors que combat ce fameux vaccin et comment fonctionne-t-il ? Il s'attaque à la loque américaine, une des pires maladies bactériennes de l'abeille. Cette maladie très contagieuse s'attaque au couvain - c'est à dire l'ensemble des nymphes, des larves et des œufs protégés par les ouvrières d'abeilles. Elle est causée par la bactérie Paenibacillus larvae qui, par ses spores, contamine les aliments des larves entraînant la mort de toute la colonie.
Pour innoculer l'immunité face à cette maladie, les chercheurs se sont inspirés... de la nature ! Certains insectes arrivent en effet à se prémunir en ingérant des petites quantités de bactéries et à transmettre leur immunité à leur portée. Les chercheurs se sont donc intéressés à la nourriture.
Lorsque la reine se nourrit de pollen qui contient des spores de Paenibacillus larvae, elle les ingèrent et les stockent dans son tissu gras - l'équivalent de notre foie. Ce tissu gras contient une protéine très importante, la vitellogénine, qui sert à nourrir les oeufs. Sa prouesse : les bactéries se fixent dessus et lorsque les larves naissent, nourries avec cette protéine faiblement contaminée, elles sont immunisés.
Dalial Freitak et son collègue Heli Salmela ont donc mis leur "vaccin" dans des morceaux de sucre disposés à proximité des ruches. Un pari gagnant et une "très bonne nouvelle", pour Henri Clément.
Vers d'autres utilisations ?
Cette technique pourrait bien être étendue à d'autres maladies comme la loque européenne ou certains champignons. "À terme, nous pensons être capables de vacciner contre n’importe quel microbe", assure ainsi Dalial Freitak. Henri Clément aimerait bien notamment qu'un vaccin soit créé pour contrer les effets du varroa - un parasite invisible à l’œil nu particulièrement dévastateur pour les abeilles.
Au-delà des abeilles, ce mécanisme pourrait fonctionner pour toutes les espèces qui pondent des œufs contenant de la vitellogénine. cela concerne d'autres insectes, mais aussi des poissons, des reptiles, des batraciens et des oiseaux. Certains experts imaginent ainsi que cette vaccination pourrait supplanter les antibiotiques, pour les élevages de poulets par exemple.
Un combat perdu d'avance ?
Pourtant le porte-parole de l'UNAF tient à nuancer cette petite révolution. "C’est une étape très prometteuse mais il faudra du temps puisque les phases de mise sur le marché vont prendre 4 ou 5 ans", explique-t-il. Un "obstacle réglementaire" que reconnait aisément Mme Freitak. Ce délai de 4 à 5 ans serait même "une estimation optimiste", confie-t-elle à l'AFP.
Le frein majeur reste cependant sa portée. "Les maladies sont une des causes de mortalité des abeilles, c’est indéniable, mais ce n’est pas la cause la plus importante", assure Henri Clément. La loque américaine n'explique pas à elle seule les pertes conséquentes d'abeilles.
"La première cause de mortalité, c’est les pesticides", avance l'apiculteur. "Il y a également l’évolution du paysage - disparition des haies, agriculture intensive, manque de diversité des cultures - , les prédateurs comme le frelon asiatique, et puis un dernier paramètre à ne pas négliger : le bouleversement climatique." Les aléas météorologiques ont des conséquences désastreuses sur leur croissance. Le combat pour la survie des abeilles n'est donc pas terminé.