INÉDIT - Deux militants écologistes qui avaient dérobé un portrait du président de la République dans une mairie de Lyon en février ont été relaxés par le tribunal correctionnel ce lundi. Le juge a reconnu le vol mais invoqué "l'état de nécessité" pour légitimer l'action des prévenus.
Ils ont dérobé un portrait d'Emmanuel Macron dans une mairie pour manifester contre "l'inaction climatique" du président et du gouvernement, mais ces deux militants écologistes ont été relaxés ce lundi par le tribunal correctionnel de Lyon. Pas parce que le vol n'a pas pu être caractérisé mais - chose inédite - parce que le juge a invoqué "l'état de nécessité" et le "motif légitime" dans sa décision.
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Les deux prévenus, Fanny Delahalle et Pierre Goinvic, comparaissaient pour vol en réunion le lundi 2 septembre, pour des faits qui remontent au 21 février 2019. Ce jour là, les deux activistes, âgés de 33 et 32 ans, avaient pénétré avec onze autres personnes dans la mairie du 2e arrondissement de Lyon puis décroché le portrait d'Emmanuel Macron, avant de l'emmener dans un lieu toujours inconnu.
Le parquet fait appel
Lors de l'audience du 2 septembre, la procureur avait requis une amende de 500 euros avec sursis contre les militants, estimant que "le vol est constitué et [qu']il ne règle en rien le dérèglement climatique". Dans sa décision, le juge a certes reconnu que le vol du portrait - qualifié d'objet "d'une valeur fortement symbolique" - était bien matérialisé, mais que plusieurs éléments permettaient de retenir l'état de nécessité pour relaxer les deux prévenus. Le parquet a annoncé lundi soir avoir fait appel de la décision.
Dans son jugement, publié par Reporterre, le magistrat explique que la réalité du dérèglement climatique "affecte gravement l'avenir de l'humanité", ce qui légitime "d'autres formes de participation" des citoyens, "dans le cadre d'un devoir de vigilance critique". Il estime également que l'intrusion d'une quinzaine de militants dans la mairie a troublé l'ordre public de manière "très modérée" et que cette action constitue une interpellation légitime du président de la République.
"Face au défaut du respect par l'État d'objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d'expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d'un devoir de vigilance critique", affirme le juge, qui ajoute que
"le décrochage et l'enlèvement sans autorisation de ce portrait dans un but voué exclusivement à la défense de cette cause (...) doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la république et le peuple".
Pour le mouvement Action non-violente-COP21 (ANV-COP21), qui a revendiqué le décrochage de plus de 130 portraits présidentiels en France, il s'agit d'une "décision historique" actant "le non-respect des objectifs climatiques de la France et la légitimité des actions de désobéissance civile face à l'urgence climatique".
Prochains procès le 9 octobre
À ce jour, 18 procès sont intentés à ces "décrocheurs". Le premier, qui s'est tenu fin mai à Bourg-en-Bresse, a valu à un militant une condamnation à une peine d'amende ferme de 250 euros, et une amende avec sursis aux cinq autres prévenus. Deux semaines plus tard, le tribunal correctionnel de Strasbourg a relaxé 3 militants qui avaient brièvement décroché un portrait d'Emmanuel Macron dans une mairie du Bas-Rhin. Mi-septembre, ce sont huit militants écologistes qui ont été jugés à Paris, et qui connaîtront la décision du tribunal le 16 octobre. Entre temps, d'autres audiences auront lieu, à Mulhouse et Nancy, le 9 octobre.
Pour la prévenue relaxée ce lundi, et qui a réagi à la sortie de l'audience, "c'est la reconnaissance de plusieurs années de militantisme". L'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot, avait défendu les prévenus à la barre début septembre, en évoquant "un acte citoyen au sens le plus noble du terme". Un scientifique du CNRS avait pour sa part exposé "l'indiscutable urgence climatique".
Plusieurs réactions politiques ont suivi l'annonce de cette décision inédite. Le porte-parole d'EELV Julien Bayou s'est réjoui d'une "victoire symbolique extrêmement forte", estimant que "le tribunal a reconnu à la fois l'insuffisance des politiques publiques et la légitimité des actions de décrochage de portrait dans une démocratie en panne." Jean-Luc Mélenchon a déclaré quant à lui que "cette décision doit sonner l'arrêt de l'acharnement judiciaire que Nicole Belloubet (la Garde des Sceaux, ndlr) et ses procureurs font subir depuis plusieurs mois aux militants écologistes".