Lutte contre la bétonisation grimpante en France : mais où en est-on aujourd'hui ?

par Claire CAMBIER
Publié le 8 mai 2019 à 21h29, mis à jour le 18 mai 2019 à 10h48
Lutte contre la bétonisation grimpante en France : mais où en est-on aujourd'hui ?
Source : iStock

À LA LOUPE - Après avoir reçu une délégation d'experts de l'ONU sur la biodiversité, le chef de l'Etat a annoncé une série d'actions pour protéger les espèces vivantes. Parmi elles, la lutte contre l'artificialisation des sols. A La Loupe fait le point sur la situation actuelle.

Un million d'espèces animales et végétales menacées d'extinction, c'est la terrible conclusion de l'IPBES - une plate-forme intergouvernementale regroupant plus de 130 pays, chargée de fournir des évaluations sur la biodiversité. Le rapport alarmant de ces experts sur l'état des milieux naturels a été publié ce lundi 6 mai. Dans la foulée, ils étaient reçu à l'Elysée.

Après avoir reçu la délégation, Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures soulignant que "ce qui est en jeu est la possibilité même d'avoir une Terre habitable". Parmi les actions annoncées : la lutte contre l'artificialisation des sols. "J'ai demandé un bilan pour se fixer des objectifs en matière de lutte contre l'artificialisation et une réhabilitation de 25% des sols agricoles dégradés par l'utilisation passée de phytosanitaires",  a indiqué le président. Il souhaite également porter "à 30% la part de nos aires maritimes et terrestres protégées, en pleine naturalité" d'ici 2022.

Le défi s'annonce colossal, car la France est loin de se montrer bon élève en la matière. Chacun à son échelle a pu observer la bétonisation rampante du territoire : ici, un supermarché et ses centaines de places de parking qui viennent remplacer un champ, là des maisons pavillonnaires qui ont poussé comme des champignons et grignoté une forêt. "il faut bien loger les Français", diront certains. En réalité, la part des sols artificialisés a augmenté bien plus vite que la population ces dernières années. De 2006 à 2015, la part des surfaces bétonnées a ainsi grimpé de 13% en France métropolitaine, soit 1,4% en moyenne par an, quand la population progressait à peine de 5% (0,5% par an). Selon le gouvernement, cette artificialisation des sols a ralenti toutefois depuis 2008, pour atteindre un rythme de +0,8% par an à partir de 2010.

Selon les derniers chiffres disponibles, l’artificialisation des sols représentait 9,4% du territoire métropolitain en 2015 contre 8,3% en 2006. Cela représente tout de même 5,16 millions d’hectares, soit 800m² par habitant. Pour visualiser un peu la chose, cela correspond à la disparition d'un département de la taille de la Drôme ou encore du Loir-et-Cher tous les 10 ans.

Chaque année, nous bétonnons 65.800 hectares. Si l'on poursuit la comparaison, nous bétonnons l'équivalent de 90.559 terrains de football tous les ans, rien qu'en métropole.

Des disparités régionales

Cela ne se fait pas de manière homogène sur tout le territoire. L’Île-de-France est évidemment la région où le taux d'artificialisation est le plus important, mais certaines régions rattrapent petit à petit leur retard. "Dans une quarantaine de départements, l’artificialisation a progressé plus de quatre fois plus vite que la population", rapporte Le Monde. En Corrèze par exemple, la population a augmenté de 0,4% tandis que l’artificialisation des sols a grimpé de 13%, entre 2006 et 2015. Dans l'Hérault, la Ligue pour la protection des oiseaux rapporte qu'une génération a autant urbanisé que les 33 précédentes

Les premiers terrains touchés sont les terrains agricoles (2/3 des espaces grignotés), le tiers restant sont des zones boisées, humides ou recouvertes d’eau. La première cause d'artificialisation des sols est l'extension des zones périurbaines et la construction de logements (50% de la consommation de surface), suivent la création de zones d’activités économiques et les transports (routes, aéroports, etc.)

Une bétonisation supérieure à la moyenne européenne

Nos voisins sont-ils meilleurs élèves ? Oui, répond l'Insee dans son dernier rapport datant d'octobre 2018. L'institut de statistiques se base pour cela sur les données d'Eurostat (Enquête LUCAS). La définition retenue est un peu différente de celle du gouvernement français. Selon Eurostat, les sols artificialisés recouvrent les sols bâtis et les sols revêtus et stabilisés (routes, voies ferrées, parkings, chemins...). En France, la définition se veut plus large et recouvre également les chantiers, les terrains vagues, ou encore les espaces verts artificiels. Eurostat estime donc l’artificialisation des sols s’établit à 5,4% en France en 2015 (contre 9,3% selon la définition française).

La moyenne européenne se situe un peu en deçà, à 4,2%. La grande hétérogénéité entre les pays est en grande partie liée à leur densité. Les pays les plus peuplés ont ainsi une artificialisation supérieure à la France : 23,7% pour Malte, 7,4% pour l'Allemagne ou encore 6,5% pour le Royaume-Uni. A l'inverse, la Bulgarie, la Finlande, la Lettonie ou la Suède ont des taux inférieurs à 2%.

Agir en France, comme dans le reste de l'Europe, contre cette artificialisation des sols est un des leviers indispensables pour protéger la biodiversité. Tout d'abord parce que les espaces naturelles favorisent la protection de nombreuses espèces. "Mais aussi parce que le sol, même utilisé par l’agriculture, est un écosystème indispensable", souligne dans les colonnes de l'Obs, Frédéric Denhez, auteur de "Cessons de ruiner notre sol" : "D’abord, c’est une éponge qui sert à absorber les pluies. Ensuite, c’est un puits de carbone naturel." Le sol retient donc une grande partie des émanations de dioxyde de carbone. "Sa 'transpiration' permet (également) de rafraîchir la température de l’air, une fonction plus cruciale que jamais avec le réchauffement climatique."

Les annonces d'Emmanuel Macron vont donc dans le bon sens. Encore faut-il s'y tenir. Le "plan biodiversité" présenté en juillet 2018 fixait déjà un objectif de "zéro artificialisation nette", autrement dit pour tout nouvel hectare artificialisé, un hectare de terre devra être naturalisé, par exemple en réhabilitant des terres agricoles dégradées. Plus de 10 ans auparavant, en 2006, l’Agence européenne de l’environnement présentait dans un rapport l’étalement urbain "comme l’un des défis majeurs auxquels les espaces urbains européens doivent faire face". Et en 2010, les conséquences environnementales et climatiques du phénomène d’artificialisation des sols étaient d'ailleurs reconnues explicitement comme préoccupation politique de l’Union européenne. Reste que la biodiversité attend toujours.

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Claire CAMBIER

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