Incendie de Rouen : "Les habitants se méfient et ils ont raison"

par Mathilde ROCHE
Publié le 27 septembre 2019 à 16h59, mis à jour le 28 septembre 2019 à 22h25

Source : Sujet TF1 Info

ROUEN - L'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen a duré pendant de longues heures avant d'être maîtrisé par les plus de 300 sapeurs-pompiers mobilisés. Alors que les conséquences des fumées et des suies provoqués par les flammes inquiètent les habitants de la région, LCI s'est entretenu avec Guillaume Blavette, administrateur de France nature environnement (FNE) en Normandie.

Faut-il craindre une pollution toxique ? Alors qu'un violent incendie s'est déclenché dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre dans l'usine Lubrizol à Rouen, les flammes ont créé un important nuage de fumée et produit des suies qui se sont déposées dans un large périmètre autour de la ville. A cette heure, si les causes de l'incendie, désormais éteint, sont encore inconnues, les riverains et les associations s'inquiètent des conséquences. 

Quels sont les risques pour la population ? Les mesures de précaution prises sont-elles suffisantes ? Et à quoi faut-il s'attendre à présent ? Pour tenter d'en savoir plus, LCI a posé ces questions à Guillaume Blavette, administrateur de France Nature Environnement (FNE) en Normandie et membre du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst).

On s’étonne que les mesures de confinement n’aient pas été plus importantes
Guillaume Blavette

LCI : Y-a-t-il des risques pour les habitants exposés au nuage de fumée ?

Guillaume Blavette : Disons que de base, on a un établissement industriel qui utilise des solvants et produits chimiques à la toxicité notoire, au vu de sa classification Seveso "seuil haut". L’incendie a mélangé tous ces éléments chimiques. Un risque potentiel existe donc bel et bien. Encore à l’heure où je vous parle, cela sent mauvais dans les rues, preuve d’une accumulation dans l’atmosphère de ces polluants, qui ne sont peut-être pas toxiques, mais reste polluants. Ce soir, le préfet nous dit que les indicateurs de l’air sont en accord avec les réglementations en vigueur. Mais la France ne suit pas les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en matière de qualité de l’air, ce qui fait que même si les seuils français ne sont pas dépassés, du point de vue des associations, il y a quand même une inquiétude. 

Rouen a par ailleurs un passif de ville polluée, c'est une cuvette. Cette petite goutte de pollution tombe donc dans une coupe déjà pleine. Sauf qu'en plus d'être au mauvais endroit, cet événement intervient au mauvais moment : c’est l’automne, les nuages forment un dôme au dessus de la ville et la pluie est constante. Alors bien que le préfet communique en atténuant la gravité de la situation, les habitants se méfient et ils ont raison.

LCI : Les mesures de précaution prises par la préfecture ont-elles été suffisantes selon vous ?

Guillaume Blavette : Le problème est qu’il y a une grande contradiction entre la communication et les pratiques de la préfecture. Dans sa communication institutionnelle, le préfet assure qu’il n’y a pas de souci, mais dans sa pratique, il ferme les établissements scolaires. Et heureusement car c’est du bon sens ! Au niveau associatif, on s’étonne que les mesures de confinement n’aient pas été plus importantes. Et les riverains s’étonnent aussi, il suffit de regarder les réseaux sociaux, les gens se sont inquiété toute la journée et ont eu l’impression qu’on ne répondait pas à leurs préoccupations. Cela a d’ailleurs était propice à la divulgation de fausses rumeurs, comme le fait qu’il ne fallait pas consommer d’eau. Les gens avaient peur et n’ont pas été suffisamment rassurés ou pris en charge.

LCI : Que sait-on à propos des suies, qui semblent particulièrement inquiéter les habitants ? 

Guillaume Blavette : D’après les observations des membres de la fédération France Nature Environnement, l’incendie a produit des suies qui, emportées par le vent, se sont déposées dans un très grand périmètre autour de Rouen. Le préfet a expliqué, de façon peu honorable, que la présence de suie était normale. Oui, lors d’un incendie des suies se déposent aux alentours, mais rappelons que ce n’est pas un incendie banal ! Ce n’est pas un immeuble qui a brûlé mais une installation industrielle. 

Quelle est la composition chimique des suies qui se sont déposées dans la région ? C’est notre grande interrogation. Beaucoup d’habitants ont d’ailleurs constaté des retombées pas très rassurantes sur les sols, ce qui est une observation judicieuse du grand public car Rouen vit de captages d’eau à sa périphérie. Nous sommes dans une région - comme beaucoup d’autres - où tout ce qui arrive en surface se retrouve très rapidement dans les nappes phréatiques dont nous profitons. Cela ne doit pas entraîner de vent de panique, mais assurément susciter la vigilance. J’espère que nous en saurons plus très prochainement.

Il est indispensable que les écoles soient nettoyées
Guillaume Blavette

LCI : Maintenant que l’incendie est éteint, à quoi faut-il s'attendre ?

Guillaume Blavette : Nous avons beaucoup de questions à poser aux services de l’Etat, auxquels on fait confiance mais avec qui il a été impossible d’avoir un dialogue depuis 8h ce matin. Même les élus locaux ont eu du mal à avoir des informations de la préfecture avant la mi-journée. J’espère une mobilisation du ministère de l’Ecologie et de celui de la Santé, afin de faciliter les enquêtes sur les risques environnementaux et sanitaires. En 2013, lors du précédent incident de l’usine Lubrizol (un gaz toxique s’en était échappé, nldr), nous avions mis trois mois à avoir des résultats d’analyses complets et comprendre ce qu’il s’était passé, malgré l’implication très concernée de Delphine Batho. 

La réponse politique n’a pas été satisfaisante aujourd’hui et nous attendons plus pour les jours à venir. Sur le plan pratique, il est indispensable que les écoles soient nettoyées afin que les enfants puissent jouer en toute sécurité dans les cours. Et plus globalement qu’ils prennent des mesures post-accidentelles. Qu’ils appliquent tout simplement l’article 1 de la charte de l’environnement : il faut garantir le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.


Mathilde ROCHE

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