Pollution à la paraffine sur les côtes du Nord : d'où vient -elle et est-ce vraiment inoffensif ?

par Claire CAMBIER
Publié le 26 mars 2019 à 20h58, mis à jour le 28 mars 2019 à 7h40
Pollution à la paraffine sur les côtes du Nord : d'où vient -elle et est-ce vraiment inoffensif ?
Source : KIMO Denmark

À LA LOUPE - A la mi-mars, des blocs de paraffine ont envahi les plages de la Somme et du Pas-de-Calais. Une pollution maritime qui n'est ni exceptionnelle (au grand dam des élus), ni même (toujours) illégale (au grand dam des écologistes). A quoi cela est-il dû et surtout quelles en sont les conséquences ? LCI fait le point.

À la mi-mars, de petits blocs blancs, friables au toucher, ont échoué sur les plages du nord de la France. "Découvrir cela sur nos côtes ! ", se rappelle Jeanine Bourgau, maire du Crotoy, une petite commune de la baie de Somme, "ce n'est pas un élément naturel alors forcément on était inquiets". Au total, plus d'une centaine de kilomètres de côtes touchées, depuis cette commune jusqu'à Marck, dans le Pas-de-Calais. Même si cet arrivage est "une première" pour la commune de Mme Bourgau, l'édile sait très bien de quoi il s'agit : des boulettes de paraffine industrielle. Une pollution de plus en plus visible dans les Hauts-de-France.

"La paraffine est le résultat d'un raffinage  du pétrole, cela sert à plein de choses, à faire du plastifiant pour PVC, des gélifiants, on en retrouve jusque dans la confiture", nous explique Nicolas Tamic, le directeur adjoint du Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE). "On le transporte sous forme liquide, dans des cuves de navires" transporteurs de produits ou de navires chimiquiers. Ces bateaux ont la capacité de chauffer la paraffine pour conserver cet état liquide, mais ils sont utilisés pour transporter bien d'autres produits. "Une fois que la cargaison est livrée, s'ils veulent transporter d'autres produits, les transporteurs nettoient les résidus avec de l'eau chaude." Une opération qui peut se faire dans un port, où les résidus seront traités, mais également en pleine mer. C'est ce qu'on appelle des dégazages.

"C'est légal", confirme Nicolas Tamix. Mais il y a toutefois des conditions à remplir : "avancer à plus de 7 noeuds, avoir une certaine profondeur d'eau, éjecter les résidus sans mécanisme de pression et être en dehors des eaux territoriales". Or dans la Manche, les bateaux se retrouvent à équidistance entre le Royaume Uni et la France et ont tout à fait le droit de procéder à ces dégazages. Conséquence : ces résidus se solidifient une fois dans l'eau et peuvent atteindre les côtes du Nord. 

"C'est un phénomène très fréquent", analyse Ingrid Parrot, porte-parole de la préfecture maritime de la Manche. "On en a retrouvé dernièrement vers Courseulles-sur-mer (dans le Calvados, ndlr), bien plus au sud. Ça concerne toutes les côtes de la Manche." Pourtant, les autorités assurent qu'il n'y a "aucune danger pour la santé publique ou pour la faune et la flore". Et pour cause nous disent-elles, la législation encadre également le type de paraffine autorisé à être rejeté.

Une paraffine non toxique, sans risque particulier
Direction départementale des territoires et de la mer de la Somme – DDTM 80

Il en existe trois types, comme le rapporte l'association Sea-Mer, basée à Wimereux dans le Pas-de-Calais : des paraffines fortement chlorées (paraffines à chaînes courtes - SCCP) de moins en moins utilisées dans l'industrie mais très nocive pour l'environnement et cancérogène, des moyennement chlorées (paraffines chlorées à chaînes moyennes - MCCP), utilisés pour remplacer les SCCP et un peu moins toxiques et les faiblement chlorées et non toxiques (paraffines chlorées à chaînes longues - LCCP). Les navires ne peuvent pas effectuer de dégazages pour des résidus de SCCP.

A chaque pollution, des tests sont effectués pour le vérifier. A la demande de la Direction Départementale des territoires et de la mer de la Somme (DDTM 80), le CEDRE a donc analysé plusieurs échantillons de la pollution survenue en ce mois de mars. Bilan : "il s'agit d'une paraffine non toxique, sans risque particulier".

Jeanine Bourgau, qui est la première maire à avoir porté plainte contre X en ce mois de mars, avoue avoir été "soulagée" à cette annonce. "On se montre extrêmement vigilants mais au final, ce n'est pas un gros problème comme on peut s'y attendre avec le Grande America", estime-t-elle.

Les écologistes doutent

Jonathan Hénichart, le président de l’association Sea-Mer, ne cache pourtant pas ses doutes. Tout d'abord, des solvants peuvent être utilisés pour le nettoyage des cuves des navires et se mélanger aux rejets.  Mais c'est surtout les résultats des analyses de débris qu'il remet en question : "l'association a déboursé 1500 euros pour effectuer des tests de son côté. Cela a pris trois semaines, et les conclusions ne sont pas si optimistes. Il est impossible d'assurer que ce n'est pas toxique", assure-t-il. 

Lui qui nettoie les plages depuis une dizaine d'années estime que les épisodes de pollution de paraffine ont explosé depuis 2016. "J'aimerais comprendre pourquoi". Quand on avance l'augmentation du trafic maritime - des centaines de bateaux qui circulent par jour, 3 millions de tonnes de paraffine transportées par bateau chaque année - il reste sceptique.

Un coût conséquent

Dans la commune de Fort-Mahon, le maire est aussi en colère mais pour une autre raison : le coût économique de cette pollution. Débarrasser ces plages des boulettes de paraffine "est un boulot de titan. C’est centimètre par centimètre. Les agents ramassent tout à la main car la cribleuse de plage n’est pas adaptée à ce type de ramassage. Vu la taille de boulettes de paraffine, nous allons en avoir pendant des mois", rapporte Alain Baillet à nos confrères du Courrier Picard. Si au Crotoy, seuls 2 m3 ont été ramassés, ici on parle de centaines de kilos. Dix jours après la découverte, il nous confie d'ailleurs que le nettoyage est toujours en cours. Une autre ampleur.

Alain Baillet aussi a décidé de porter plainte contre X : "Ça permettra peut-être de retrouver le bateau pollueur et d'être indemnisé, je ne pense pas qu'ils aient le droit de jeter autant de paraffine comme ça", nous dit-il. "Cette pollution mobilise une dizaine d'agents, cinq heures par jour, sans compter l'utilisation d'engin et de bennes, cela représente au moins 4 à 5000 euros de frais pour la commune. On s'occupe déjà du nettoyage des plages tous les jours de l'année, si en plus on a de la paraffine, on arrivera jamais à faire face !"

A la DDTM 80, on nous explique cependant qu'il ne faut pas avoir trop d'espoir : "C'est symbolique, ça permet de marquer les esprits mais quant à se faire indemniser..." Il faudrait pour cela pouvoir prouver que le pollueur a enfreint les règles, l'avoir pris en flagrant délit de dégazage hors de la zone autorisée ou prouver que les résidus sont toxiques puis arriver à comparer la signature chimique des résidus au stock transporté par un bateau passant par là. Un beau défi. 

Est-ce possible ? "Oui", nous dit-on mal assuré, "je n'ai jamais connu une telle situation mais ça arrive". Ingrid Parrot le reconnait plus ouvertement : cela n'est pas facile. "Une fois que la paraffine est dans l'eau de mer, la composition change donc c'est extrêmement plus compliqué de retrouver le bateau qui en est à l'origine", regrette la porte-parole de la préfecture maritime de la Manche.

Pourtant, cumulés, les coûts de nettoyage engendrés par ces différents échouages explosent. Selon le KIMO, une organisation environnementale internationale regroupant des communes du littoral de la mer du Nord, cela représente des dizaines de milliers d’euros.

Des risques bien réels mais peu étudiés

"Le coût du nettoyage, c'est le seul argument qui marche", regrette de son côté Jonathan Hénichart. Il y aurait pourtant d'autres raisons de s'inquiéter, et notamment les conséquences sur la faune locale. Même au CEDRE, on reconnait que ces rejets de paraffine ne sont finalement pas complètement sans danger. 

"Des gros oiseaux marins peuvent les ingérer accidentellement et cela va boucher leur estomac", alerte Nicolas Tamic. "On a retrouvé plusieurs cadavres d'oiseaux complètement amaigris, ils meurent de faim". Difficile d'évaluer cet impact et de savoir si des mammifères marins ne sont pas aussi concernés, mais un scientifique tente d'étudier ce sujet. 

Le biologiste Jan van Franeker de l'université de Wageningue aux Pays-Bas a découvert au début des années 2000, alors qu'ils étudiaient l'ingestion de plastique par les oiseaux marins  que des fulmars boréaux présents dans les mers du nord pouvaient avoir de la paraffine dans leur estomac. C'était le cas pour 20% des cadavres autopsiés.

Il tente depuis d'alerter sur les conséquences des rejets de paraffine en mer (et d'huile végétale de type huile de palme) mais les fonds manquent. Dans un article publié il y a quelques jours, il l'expliquait simplement : la paraffine n'est pas considérée comme un déchet dans la réglementation maritime. si depuis des années, des données sont collectées sur le plastique on n'en trouve aucune sur la paraffine.

Une lueur d'espoir : l'évolution de la législation ?

S'il faudra du temps avant que les scientifiques ne puissent nous en dire plus, les autorités assurent qu'elles n'attendront pas avant d'engager des mesures. "La réglementation est en train d'évoluer au niveau de l'Organisation Maritime Internationale (OMI)", assure Ingrid Parrot. Contacté, l'OMI  nous indique de son côté que "le Comité de la protection du milieu marin (MEPC) a approuvé, en octobre dernier, le projet d'amendements à l'Annexe II de MARPOL", un protocole internationale initiée en 1978 pour la prévention de la pollution par les navires.

Que vont changer ces amendements ? "Ils introduiront une exigence de prélavage pour les navires-citernes pour produits chimiques déchargeant des substances flottantes persistantes à viscosité élevée et / ou à point de fusion élevé dans les ports d'Europe occidentale et de la mer Baltique, quelle que soit la température de déchargement." En clair ils obligeront les navires à nettoyer leurs cuves, contenant certaines huiles végétales et des cargaisons paraffiniques, dans les ports et de manière encadré.

Ces amendements doivent maintenant être adoptés lors de la prochaine session du MPEC, qui se tiendra en mai 2019. Si tel est le cas, "ils devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2021". 

"C'est une bonne chose, c'est sûr", salue le président de Sea-mer. Pour autant, il se montre prudent. "Il faudrait qu'il y ait plus de contrôles, qu'on surveille les cuves des bateaux quand ils reprennent la mer. On voit bien qu'aujourd'hui, il y a des dégazages illégaux qui restent impunis. En juillet dernier, on a retrouvé 30 tonnes de paraffine sur les côtes du Nord, clairement c'est bien plus que des fonds de cuve." Quelque soit la décision de l'OMI, la vigilance devra rester de mise.


Claire CAMBIER

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