Bientôt une serre tropicale géante en plein Pas-de-Calais ? Le projet Tropicalia divise

par Charlotte ANGLADE
Publié le 15 novembre 2019 à 11h56, mis à jour le 15 novembre 2019 à 18h04
Bientôt une serre tropicale géante en plein Pas-de-Calais ? Le projet Tropicalia divise
Source : ® Octav Tirziu Atelier

MOBILISATION - Après EuropaCity, les associations écologistes sont de nouveau vent debout. Leur cible ? Tropicalia, une serre tropicale gigantesque qui doit s'implanter, au printemps 2022, sur la Côte d'Opale. Nous avons interrogé les détracteurs et les porteurs du projet.

Une serre tropicale dans le Pas-de-Calais ? Pour les associations de protection de l'environnement, il en est hors de question. Depuis plusieurs semaines, une vingtaine d'entre elles se mobilisent contre le projet baptisé Tropicalia, qui doit s'implanter sur la Côte d'Opale, non loin de Berck-sur-Mer. Dévoilé en 2018 et développé par le cabinet Coldefy & Associés architectes urbanistes, il comprend la création d'un dôme de 20.000 m2, ce qui en fait la plus grande serre tropicale au monde. Les 500.000 visiteurs annuels attendus pourront y découvrir tout l'écosystème propre à l'Amazonie, grâce notamment, au maintien d'une température comprise entre 26 et 28 degrés toute l'année.

Un "non-sens absolu" pour ses détracteurs, qui ont conjointement signé un communiqué le 5 novembre, demandant l'annulation du projet dont le permis de construire a été accordé mi-octobre. Développé par le cabinet Coldefy & Associés architectes urbanistes pour un budget estimé de 50 millions d'euros, il devrait voir le jour au printemps 2022. Alain Vaillant, président de l'association Nord Nature Environnement, fédérée à France Nature Environnement, et deux des porteurs du projet, Cédric Guérin et Nicolas Fourcroy, nous exposent leurs arguments.

Un projet néfaste pour la biodiversité locale ?

Pour le défenseur de la nature Alain Vaillant, c'est tout d'abord le manque de cohérence de la serre qui pêche. "Ce gros projet touristique veut soit disant protéger la biodiversité tropicale, alors que le problème central est en premier lieu de protéger la biodiversité à l’endroit où l’on vit", lance le président de l'association. "La biodiversité française est fortement menacée, donc c’est elle qu’il faut protéger et non pas aller chercher une biodiversité tropicale pour la mettre sous globe." D'autant que, reprochent les associations dans le communiqué, le projet s'implanterait sur 9 hectares de champs. "L’artificialisation des terres agricoles est l’une des causes principales de la perte de notre biodiversité, inutile d’en rajouter pour le profit de quelques-uns", écrivent-elles.

Des arguments qui ne tiennent pas, selon Cédric Guérin, initiateur du projet, et Nicolas Fourcroy, l'un des actionnaires de Tropicalia. "Nous ne sommes pas sur des terres agricoles, mais sur une ZAC !" rétorquent-ils. "Si Tropicalia ne se fait pas, ce seront des entrepôts et des entreprises tertiaires qui vont s’y installer." En l’occurrence, la création de cette ZAC, située à cheval sur les communes de Rang-du-Fliers et Verton, a été bel et bien approuvée en 2010. Le terrain de 71 hectares doit accueillir progressivement plus de 300 logements, des installations de PMI/PME, de tertiaires et de services, des équipements communautaires, ainsi qu'un programme à destination des loisirs et du tourisme, qui se matérialise donc avec le projet de Tropicalia. "Si les associations écologistes avaient vraiment eu envie de ne pas voir ces terres agricoles disparaître, il aurait fallu qu’ils réagissent au moment de la création de la ZAC", lancent-ils.

Concernant la préservation de la biodiversité locale, les porteurs du projet ont là aussi réponse à l'opposition : "Nous n'allons prendre que 40% de la surface réellement construite, puisque nous avons aussi prévu, en dehors du dôme, des aménagements paysagers avec des bosquets et des espaces naturels pour faire venir la faune locale." Avec le projet de création d'une clinique vétérinaire sur le site, les entrepreneurs assurent également qu'ils seront "en mesure d’aider des associations comme la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux)", qui fait partie des opposants. Ils indiquent également avoir l'intention de faire de l'élevage de papillons locaux, "en voie de disparition", et de proposer aux enfants des chrysalides afin qu'ils relâchent les papillons, une fois éclos, dans l’environnement. "Toutes ces petites choses que l’on souhaite mettre en place participeront de façon détournée à la biodiversité locale."

28 degrés toute l'année dans le Pas-de-Calais, une aberration ?

L'autre point qui ulcère les associations est le maintien à environ 28 degrés toute l'année de cette gigantesque serre. "Une aberration, quelques soient les prouesses techniques, alors que le réchauffement climatique nous menace", reprochent-elles. Pour Cédric Guérin et Nicolas Fourcroy, le projet est au contraire on ne peut plus vertueux. "Contrairement à ce que certains peuvent penser, nous ne serons pas chauffés par des énergies fossiles, mais à l'énergie solaire", expliquent-ils. Et contrairement à toutes les structures de ce type, où la chaleur parvenant au sommet du dôme est relâchée dans la nature via de petites aérations, leur système se veut révolutionnaire. L'étanchéité thermique de la structure sera assurée par un "double dôme", tandis que l’air chaud sera récupéré grâce à une innovation de la société Terraotherme, dans les Hauts-de-France.

"Il s'agit d'un échangeur thermique air/eau, qui va nous permettre de récupérer 90% du gisement de chaleur, là on serait classiquement autour de 50% avec un échangeur thermique classique. La chaleur est ensuite transformée en eau et se posent alors deux solutions : soit on la réinjecte dans la serre pour la maintenir à température, soit on la stocke dans des grands bassins qui nous permettent d’avoir des réserves de chaleur quand il n’y a pas de soleil. C’est comme si on avait un très gros thermos dans lequel on allait puiser notre chaleur en fonction de nos besoins", développent Nicolas Fourcroy et Cédric Guérin. Selon leurs calculs, leur système produirait même un excédent de chaleur de 2.000 MWh, ce qui devrait leur permettre de "satisfaire tous les besoins en eau chaude de l’hôpital voisin entre avril et octobre". "Nous devrions pouvoir en faire de même pour la clinique qui est à côté de nous", ajoutent-ils.

Si Alain Vaillant, de Nord Nature Environnement, ne remet pas en cause l'efficacité de la quasi-autonomie énergétique de Tropicalia, il dit simplement regretter qu'une telle technologie bénéficie "à un endroit complètement artificiel plutôt qu'aux logements des habitants de la région des Hauts-de-France, qui sont pour la plupart mal isolés et consomment des hydrocarbures pour se chauffer". 

Un nouveau lieu de captivité animale, une bonne chose ?

Les associations se posent enfin la question de la pertinence du maintien en captivité d’oiseaux, de papillons, de reptiles, de poissons, etc. "Est-il en phase avec la préoccupation de plus en plus marquée et légitime de notre population envers le respect des animaux ?" interrogent-elles. En témoigne, en effet, le score inédit du Parti animaliste aux européennes, en mai dernier. Celui-ci avait obtenu 2,2% des suffrages. Le 13 novembre, le député LaREM azuréen Loïc Dombreval, qui préside le groupe d’étude sur la condition animale à l’Assemblée, a estimé dans les colonnes de Nice-Matin que l'interdiction de la captivité d’animaux sauvages en France n'était plus qu'une question de "délai".

"Ce ne sera pas un endroit avec des animaux en cage. Il faut imaginer une petite vallée avec des animaux en liberté", répondent les porteurs du projet. "Et que fait-on de tous les jeunes animaux nés dans les parcs, pour certains dans une démarche de sauvegarde de l’espèce ?" questionnent-ils en retour.

Tropicalia, ce n’est pas Europacity.
Nicolas Fourcroy, l'un des actionnaires de Tropicalia

Deux semaines après la publication de leur communiqué, les associations réfléchissent à la suite de leurs actions. Une pétition a, en attendant, été lancée pour demander l'abandon du projet. Elle a reçu depuis mars dernier près de 14.000 signatures. De leur côté, Nicolas Fourcroy et Cédric Guérin regrettent que les opposants refusent tout dialogue avec eux, malgré leurs tentatives. "Tropicalia, ce n’est pas Europacity. Il ne faut ni se tromper de projet, ni de dimension, ni d’intention", lance Nicolas Fourcroy.


Charlotte ANGLADE

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