Épisode 26 - Bret Easton Ellis : "Est-ce que je serais heureux en jouant à Final Fantasy XIV ? Je ne crois pas !"

Publié le 1 octobre 2019 à 14h09, mis à jour le 23 novembre 2020 à 16h37
Épisode 26 - Bret Easton Ellis : "Est-ce que je serais heureux en jouant à Final Fantasy XIV ? Je ne crois pas !"
Source : AFP

PODCAST - C'est l'écrivain américain le plus controversé de sa génération. Bret Easton Ellis dénonce le politiquement correct dans "White", un essai corrosif publié au printemps dernier chez Robert Laffont. De passage à Paris pour remettre le Prix du roman Fnac 2019, il s'est confié au podcast "Les Gens Qui Lisent Sont Plus Heureux".

Dans cet épisode, mon invité est une légende vivante de la littérature américaine : Bret Easton Ellis. J’étais encore adolescent lorsque j’ai découvert "American Psycho", son roman le plus célèbre, le deuxième sa carrière après "Les lois de l’attraction". Je me rappelle que le personnage de Patrick Bateman, le banquier serial killer, amateur de musique pop et de costume sur mesure, m’a autant envoûté qu’effrayé à l’époque. 

Avec ce livre hyper controversé, Ellis, qui n’avait que 27 ans lorsqu'il a été publié, portait un regard visionnaire et acéré sur les dérives de l’Amérique capitaliste.  De "Glamorama" à "Suites Impériales", ce Californien aussi dingue de littérature que de cinéma n’a eu de cesse de titiller la bonne conscience de son pays, avec le même mélange de violence et d’humour, de mélancolie aussi.

Paru au printemps dernier, son dernier livre intitulé "White" n’est pas un roman mais un essai où Bret Easton Ellis épingle le nouveau règne du politiquement correct qui gangrène d’après lui la société américaine. C'est, il faut le savoir, un prolongement du podcast qu'il a lancé, dès 2013. L’écrivain est revenu faire un tour en France en cette fin septembre, invité d’honneur du Salon Fnac Livres à Paris. 

Quelques heures avant de remettre le Prix du roman Fnac 2019 à la romancière Berangère Cournut pour "De pierre et d’os", paru aux éditions Le Tripode, Bret Easton Ellis m’a accordé un entretien que je vous livre sans filtre, ni trucage…

Sur le règne du politiquement correct

"Le nœud autour de la gorge des gens est de plus en plus serré. Les fake news, c’est de pire en pire. Il y a quelques jours, les médias ont relayé le témoignage d’une femme qui accuse le juge fédéral Brett Kavanaugh d’agression sexuelle… et puis la femme en question a affirmé qu’elle n’a jamais rien dit. Des gens se font virer pour des trucs qu’ils ont racontés dix ans plus tôt. C’est arrivé il y a quelques jours à un humoriste qui venait d’être embauché par le "Saturday Night Live" et qui a été dégagé à cause d’une blague qui était dans son spectacle depuis deux ans. Aujourd'hui tout le monde se demande où se trouve le point de rupture. Quand tout cela va-t-il s’arrêter ? Moi ça ne me dérange que Monsieur Trudeau (le Premier ministre canadien) soit allé à une soirée habillé en Aladdin. On peut discuter de savoir si le blackface est quelque chose de raciste. Mais si c’est ça l’actualité internationale, on ferait mieux de tous nous suicider !"

Sur les conséquences de l’affaire Weinstein

"Le mouvement #MeToo a commencé avec les meilleures intentions. Et puis il a été instrumentalisé pour devenir aussi négatif que les choses qu’il dénonçait. En off, les gens en Amérique disent maintenant que c’est devenu une blague. Et une blague dangereuse. 'Mon petit ami m’a attrapé le poignet il y a trois ans, il ne m’a pas laissé enregistrer un album, c’est de sa faute… et soudain le type se retrouver "MeTooisée". Et la plupart des hommes qu’on accuse servent en fait de doublure à Trump. Harvey Weinstein, Kevin Spacey, Charlie Rose, Matt Lauer, toutes les personnalités épinglées par #MeToo encaissent la haine qu’a suscité Trump pour avoir été élu et avoir dit qu’il était un homme à femmes. Je pense que ce mouvement n’aurait même pas existé si Hillary Clinton avait été élue parce que tout le monde aurait été très heureux. Le truc qu'il faut dire aussi sur Weinstein, c’est qu’il a toujours été considéré comme un connard. Mais je serai curieux de voir si les charges retenues contre lui vont tenir !".

Sur sa difficulté à écrire un nouveau roman

"J’ai toujours voulu réaliser des films. Ce que je n’ai toujours pas fait à 55 ans ! Mon plan, c’était de mettre à faire du cinéma après la trentaine. Mais j’écrivais aussi des romans. Et puis soudain j’en ai publié un, c’est "Les lois de l’attraction", qui s’inspirait de mes années au lycée et il a eu du succès. Ensuite je suis allé vivre à New York et j’ai écrit "American Psycho". C’est là que je suis devenu très ambitieux. Et j’ai passé 8 ans sur un roman qui s’appelle "Glamorama" que personne n’a lu ! Ensuite j’ai écrit "Lunar Park", et j’ai réussi à trouver de l’argent pour un faire film, "The Informers" (l’adaptation de son recueil de nouvelles "Zombies" - ndlr) mais je me suis perdu en chemin. Du désespoir que j’ai éprouvé est né "Suites Impériales". Dix ans se sont écoulés jusqu’à "White". J’ai travaillé sur des séries, des films. Et là je suis en train d’écrire quelque chose… mais je préfère ne rien dire."

Sur le bonheur que procure la lecture

"Moi je lis des livres, et je suis beaucoup plus heureux que mon petit ami qui ne lit pas de livres et qui passe son temps à jouer à des jeux vidéo. Parfois je me dis que le fait qu’il ne lise pas explique pourquoi il s’agite autant et pourquoi il est si triste. Parce que je pense que les livres vous forcent à vous poser, à vous concentrer. C’est une expérience active et ça vous donne de l’empathie. En ce moment je lis "Un autre pays" de James Baldwin. Ça parle de ce jeune musicien de jazz à New York, à la fin des années 1950, et c’est si fantastique de se retrouver dans la peau de ce personnage. C’est comme de la réalité virtuelle. Je vois les night clubs, je vois les rues, je vois les soirées. Je dois le créer moi-même. Et ça crée chez moi une intense proximité avec ce garçon qui est malheureux… et ça me rend heureux ! Est-ce que mon petit ami éprouve la même chose en jouant à "Final Fantasy XIV" ? Je ne sais pas. Mais est-ce que ça me rendrait heureux ? Je ne crois pas !".

>> Pour retrouver tous les épisodes du podcast "Les Gens Qui Lisent Sont Plus Heureux", c'est par ici !


Jérôme VERMELIN

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