Épisode 28 - Emma Becker a travaillé deux ans dans une maison close pour en faire un livre : elle raconte

Publié le 23 octobre 2019 à 10h29, mis à jour le 23 novembre 2020 à 16h38
Épisode 28 - Emma Becker a travaillé deux ans dans une maison close pour en faire un livre : elle raconte
Source : Pascal Ito / Flammarion

PODCAST - La jeune romancière française Emma Becker a vécu et travaillé plus de deux ans dans un bordel chic à Berlin. Une expérience qu'elle raconte dans un roman passionnant et engagé, "La Maison" (Flammarion). Elle est l’invitée du podcast Les Gens Qui Lisent Sont Plus Heureux.

Avec "La Maison", son troisième roman, Emma Becker a signé l’un des chocs de la rentrée littéraire 2019. Sur le fond, comme sur la forme puisque son auteure a vécu et travaillé pendant deux ans et demi dans une maison close, à Berlin, pour nourrir ce texte à la fois tendre, poétique, drôle et cru.

A l’heure du mouvement Me Too, Emma Becker, 30 ans, pose un regard inattendu sur les rapports hommes-femmes, la mécanique du désir et les relations sexuelles tarifées. Ses propos, très francs, lui ont déjà valu de vives critiques sur les réseaux sociaux.

Elle les assume et les réitère dans cet entretien sans concession qu’elle m’a accordé alors que "La Maison" figure parmi les favoris des grands prix littéraires de l’année.

Sur l’idée à l’origine de "La Maison"

"Je suis arrivée à Berlin en 2013 et dans ma recherche d’un nouveau sujet de livre, je passe un jour devant un bordel et je réalise que là-bas, c’est légal. En une fraction de seconde, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’aille voir comment ça se passait dedans. Et que j’y travaille. Il m’a semblé que pour écrire un bouquin qui soit juste sur ce thème, il fallait donner un peu de sa personne. C’est d’abord une question logistique. On ne peut pas rentrer et rester là à glander parmi les filles. C’est aussi une question d’honnêteté, de déontologie afin de comprendre ce qui se passe chez soi, en tant que femme, lorsqu’on fait ce boulot."

Sur le passage à l’acte

"Je pense qu’il faut être un peu tête brulée. Après, l’idée de me faire un mec contre de l’argent n’a jamais été pour moi un truc sacrilège. Je ne suis pas particulièrement progressiste. Mais ça ne produit par le bouleversement qu’on s’imagine, du moins chez moi ça n’a pas été le cas. Et puis quand on fait une expérience comme ça – le premier bordel dans lequel j’ai travaillé était à la limite de la légalité - il y a une forme de bravade qui fait que si on s’arrête deux secondes pour réfléchir, on ne le fait pas. Si je ne suis pas partie en courant, c’est parce que ça me fascinait autant que ça me terrifiait."

Sur la légalisation de la prostitution

"Il faut absolument légaliser. On ne pourra pas avancer sinon. Ce qui tue les Français dans le débat sur la prostitution, c’est cette espèce d’hypocrisie, de bien-pensance, qui n’est pas du tout en adéquation avec la réalité. On préfère faire semblant que toutes les putes sont des nanas qui n’ont pas le choix, qu’on fait travailler de force, en oubliant la part significative de femmes qui ont choisi de faire ce métier, qui en sont fières, qui le revendiquent, qui militent, se soutiennent les unes les autres. Ces femmes existent, il y en a beaucoup, et il faut qu’on leur donne la possibilité de faire leur métier dans des conditions dignes."

Sur les écrivains qui l’ont inspirée

"Il y a bien sûr Zola et Maupassant. Mais le roman qui m’a vraiment transformée, c’est "La Mécanique des femmes", de Louis Calaferte, que j’ai lu sans doute beaucoup trop tôt mais qui m’a fait un effet bœuf ! ll y a aussi Nicholson Baker, un auteur américain qui a écrit "Le Point d’orgue", un livre qui porte un regard très intéressant sur la question du consentement et qui pointe la différence fondamentale entre érotisme et pornographie et qui se trouve être l’attente, le délais."

Sur le bonheur que procure la lecture

"Je suis persuadée que la lecture ouvre des horizons que Netflix ou Facebook n’ouvrent absolument pas. Tous les moments où j’ai pu me sentir complètement déprimée, certaines fois à la Maison, Zola m’a sauvé. Relire les auteurs qu’on aime, c’est comme s’adresser à un pote. Ce sont des moments qu’on se crée en dehors du monde. Je ne sais pas si les gens qui lisent sont plus heureux... mais en tout cas ils ont plus de chances de l’être."

>> Pour retrouver tous les épisodes du podcast "Les Gens Qui Lisent Sont Plus Heureux", c'est par ici


Jérôme VERMELIN

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