"400.000 personnes comme le tueur de Rambouillet" : la fausse affirmation de Philippe de Villiers

Publié le 29 avril 2021 à 14h35, mis à jour le 29 avril 2021 à 18h22

Source : TF1 Info

DÉFORMATION - Réagissant à l'attentat du 23 avril, Philippe de Villiers a assuré que le profil du terroriste de Rambouillet était similaire à celui de centaines de milliers d'autres individus en France. Une manipulation, dénonce l'auteur de l'étude dont s'inspirait l'ancien député.

Après l'attentat de Rambouillet le 23 avril, au cours duquel la fonctionnaire de police Stéphanie Monfermé a été tuée, les réactions politiques se sont multipliées. Aux hommages se sont rapidement superposés des débats autour de l'immigration, initiés par des figures politiques de droite et d'extrême droite. Ancien député et député européen, Philippe de Villiers a notamment réagi au micro de RTL, le 27 avril.

Au cours de cet entretien, il a estimé que l'on "ne peut plus dire qu’il n’y a pas de lien entre l’insécurité et l’immigration". Le profil de l'assaillant de Rambouillet, a-t-il poursuivi, un Tunisien radicalisé de 36 ans, ne serait pas singulier. Loin de là. Philippe de Villiers s'explique : "Aujourd’hui, selon El Karoui qui a fait un livre récemment, de l’Institut Montaigne, il parle de 400.000 personnes comme le tueur de Rambouillet. C’est-à-dire, ça peut nous arriver à tous, tous les jours." Ce message alarmiste repose-t-il sur des chiffres officiels ou des travaux sérieux ? Non, explique le chercheur, pour qui le créateur du Puy-du-Fou se livre ici à une forme de manipulation. 

Des travaux totalement déformés

Il est facile de remonter à la source du chiffre mis en avant lors de l'interview, puisque celle-ci est citée par Philippe de Villiers. Il s'agit d'un ouvrage cosigné par Hakim El Karoui (aux côtés de Benjamin Hodayé) et intitulé Les militants du djihad. Portrait d'une génération. Paru en décembre 2020, le livre propose de suivre l'itinéraire de plusieurs centaines de jeunes Français ayant basculé dans le djihadisme. 

Auprès de l'AFP, Hakim El Karoui décrit des individus faisant partie d'un groupe "très homogène" et qu'il décrit ainsi : "Des jeunes qui vivent dans les quartiers populaires, aux trois quarts d’origine maghrébine, avec un niveau de formation pas catastrophique". À quoi fait référence le chiffre évoqué par l'ancien eurodéputé sur RTL ? Précisément à ce groupe, dont l'auteur explique qu'il est estimé entre 300.000 et 400.000 personnes. Mais Hakim El Karoui met en garde : parmi tous ces gens, "on estime qu’il y a 10.000 djihadistes qui sont passés à l’acte ou pourraient le faire", ce qui apporte une nuance essentielle.

Cette dernière estimation avancée par le chercheur n'est pas effectuée au doigt mouillé. Elle s'appuie en effet sur les inscription au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Mis sur pied en 2015, sa mission première est de recenser les individus se trouvant "dans un processus de radicalisation",  et dont les autorités suspectent qu'ils "sont susceptibles de vouloir se rendre à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou de vouloir prendre part à des activités à caractère terroriste". Ce fichier, l'été dernier, comptait 8.132 personnes. Une information transmise de source sûre puisqu'elle avait été communiquée par le ministre de l'Intérieur en personne, Gérald Darmanin.

Il faut toutefois noter que la moitié des personnes ici listées sont des étrangers, clandestins pour 850 d'entre eux. Il est important de souligner que Jamel G., Tunisien de 36 ans et auteur de l'attentat de Rambouillet, ne figurait pas dans le FSPRT. Il ne correspondait d'ailleurs pas au profil des djihadistes exposé dans l'ouvrage de Hakim El Karoui. "Il est tunisien alors qu’on parle de jeunes Français", rappelle le co-auteur. Par ailleurs, "il est plus âgé et il n’habite pas dans un quartier populaire". Et d'évoquer auprès de l'AFP le "raisonnement nul" de Philippe de Villiers, l'accusant de vouloir agiter la peur.

En résumé, il est donc faux d'affirmer comme le fait l'ancien fondateur et président du Mouvement pour la France que l'on dénombrerait en France "400.000 personnes comme le tueur de Rambouillet". Les chercheurs qui ont avancé ce chiffre expliquent qu'il s'agit de données bien plus larges, ne correspondant pas au profil de l'assaillant ni même d'ailleurs à celui des djihadistes radicalisés. Ces derniers, selon des statistiques officielles compilées par le ministère de l'Intérieur, seraient un peu moins de 10.000, suivis et recensés dans un fichier spécifique.

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Thomas DESZPOT

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