Affaire Benalla et article 40 : Collomb, Strzoda, Delpuech, Castaner... auraient-ils du prévenir la justice ?

par Matthieu JUBLIN
Publié le 31 juillet 2018 à 14h19, mis à jour le 31 juillet 2018 à 14h27
Affaire Benalla et article 40 : Collomb, Strzoda, Delpuech, Castaner... auraient-ils du prévenir la justice ?

ENQUÊTE - L'article 40 du code de procédure pénale est au centre de l'affaire Benalla, car il oblige tout fonctionnaire ou toute autorité à dénoncer à la justice un délit dont il aurait connaissance. Le ministre Collomb, le préfet Delpuech, le directeur de cabinet Strzoda ou le ministre Castaner ne l'ont pas fait, et ils ont tenté de s'en expliquer devant la commission d'enquête parlementaire.

C'est un petit article du Code de procédure pénale qui se retrouve au centre de l'affaire Benalla. Il s'agit de l'article 40 de ce code, qui oblige - en théorie - tout fonctionnaire ou autorité à prévenir la justice d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance. Interrogés à ce sujet par la commission d'enquête parlementaire, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb et le préfet de police de Paris Michel Delpuech ont expliqué pourquoi ils n'ont pas prévenu le procureur de la République au moment où ils ont eu connaissance des actes d'Alexandre Benalla, ce conseiller d'Emmanuel Macron filmé en train de frapper des manifestants le 1er mai, sur la place de la Contrescarpe, à Paris.

Que dit l'article 40 exactement ?

Que dit cet article 40 du Code de procédure pénale ? "Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".

Toutefois, la loi ne prévoit pas de sanction pénale à cette obligation, ce qui signifie que celui qui ne la respecterait pas n'encourt qu'une sanction disciplinaire de la part de son supérieur hiérarchique. 

Les responsables bottent en touche

Devant les parlementaires, Gérard Collomb et Michel Delpuech ont affirmé que s'il n'ont pas prévenu le procureur en vertu de l'article 40, c'est parce qu'ils pensaient que ce n'était pas à eux de le faire. "Alexandre Benalla ne faisant pas partie des effectifs sous mon autorité, le cabinet du président de la République et la préfecture de police disposant de toutes les informations nécessaires pour agir, j'ai considéré que les faits signalés étaient pris en compte au niveau adapté", a d'abord expliqué Gérard Collomb.

Comme le ministre de l'Intérieur, le préfet de police Michel Delpuech a indiqué qu'"en pratique, on renvoie à l'autorité qui a la responsabilité hiérarchique. C'est en tous cas ce que j'ai pensé - peut-être à tort, mais je l’assume. Il y avait déjà pas mal de personnes informées quand je l'ai été moi-même, la liste serait longue s'il fallait dresser les autorités qui auraient pu saisir l'article 40. Dans ces conditions, ce n'était plus au préfet de prendre cette décision." 

Il rappelle également que "le préfet de police est une autorité importante, mais (...) est sous l'autorité des autorités exécutives", et qu'il a été "informé de cette affaire par le palais de l'Elysée". Le préfet indique enfin s'être "tourné vers le cabinet de l'Intérieur, qui m'a dit qu'il était déjà informé et gérait ça avec l'Elysée". Et de conclure : "Oui, je suis parti du principe que l'affaire était donc gérée par l'autorité hiérarchique compétente."

Patrick Strzoda, auteur des sanctions contre Benalla, a aussi botté en touche devant la commission d'enquête : "J'ai considéré qu'à mon niveau je n'avais pas assez d'éléments pour justifier un recours à l'article 40", invoquant même le fait que "cette scène a été signalée sur la plateforme de l'IGPN et analysée par des spécialistes", dont il est ressorti qu'"aucune information [n'allait] dans le sens de l'article 40". Puis, plus loin, visant - légèrement - ses supérieurs Alexis Kohler et Emmanuel Macron : "Si j'avais commis une mauvaise appréciation ou une erreur, on me l'aurait dit". Même chose pour Christophe Castaner, pourtant relancé à plusieurs reprises par les sénateurs sur le sujet, qui rappelleront cruellement qu'à peine informé des faits, le 19 juillet, le parquet ouvrira pourtant une enquête préliminaire pour violences volontaires.

Qui a vu la vidéo le premier ?

Interrogée par LCI, la professeure de droit à l'université Paris 10 Elisabeth Fortis estime que "l'article 40 ne dit pas de faire remonter l'information à son supérieur". Cet argument avancé par le ministre et les deux hauts fonctionnaires ne lui semble "pas valable", car cette remontée d'information s'effectue "sur un circuit politique, ce qui n'a rien à voir avec un circuit judiciaire".

Qui doit avoir la responsabilité de cette dénonciation ? Sur ce point "il est compliqué de connaître le périmètre d'application de l'article 40", explique Elisabeth Fortis. "Ce qui serait valable, c'est de faire porter la responsabilité de la dénonciation au fonctionnaire qui a eu une connaissance précise des faits en premier", estime la juriste. En d'autres termes : "Qui a vu en premier la vidéo en sachant qui était M. Benalla ?"

Gérard Collomb a avancé un second argument censé expliquer le fait qu'il n'ait pas dénoncé les agissement d'Alexandre Benalla. Le ministre de l'Intérieur affirme que l'article 40 ne s'applique par le ministère que pour certains délits liés à la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une pratique qui entre selon Gérard Collomb "dans la lignée de [ses] prédécesseurs", mais qui selon Elisabeth Fortis, ne "correspond pas" à ce que dit le texte de loi.

"La loi les oblige à dénoncer au parquet, il n'y a pas de pouvoir d'appréciation"

L'Élysée a employé une autre justification pour expliquer le non-usage de l'article 40. Le 20 juillet, le palais présidentiel disait ne pas voir de raisons de faire appel au parquet, ne voyant ni crime ni délit dans les faits incriminés. Pour Elisabeth Fortis, "la loi oblige normalement ces fonctionnaires à dénoncer les faits au parquet" car ces derniers "n'ont pas de pouvoir d'appréciation". L'argument de l'Élysée est battu en brèche : "Quand vous voyez quelqu'un frapper quelqu'un d'autre, il n'y a pas d’ambiguïté. Même dans le doute, il faut dénoncer, et c'est le rôle du parquet d'enquêter à charge ou à décharge pour savoir s'il y a effectivement eu infraction. Au moment de la dénonciation, il y a toujours un doute car l'affaire n'est pas jugée, donc cet argument n'a pas de sens". 

Alors que cet argument était à nouveau repris par le chef de cabinet de Gérard Collomb Jean-Marie Girier, en commission d'enquête parlementaire, il a également été balayé par le patron de ladite commission Philippe Bas. Malgré la "doctrine" adoptée par Gérard Collomb, le sénateur LR de la Manche a rappelé que "l'obligation pèse sur Gérard Collomb" de saisir la justice. Et, pour appuyer ses propos, rappelé que le procureur n'a pas estimé, une fois en connaissance des faits, que ceux-ci "étaient en dessous du niveau qui permette l'ouverture d'une enquête préliminaire puis d'une information judiciaire". Philippe Bas refera le même commentaire le 31 juillet à Christophe Castaner, qui estimait avoir rempli sa tâche en "information l'autorité de référence" de ce qu'il savait : "C'est au procureur de dire si les faits relèvent du délit ou non."


Matthieu JUBLIN

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