Agnès Buzyn a-t-elle raison d'affirmer qu'en février, "il n'y avait pas d'expert qui alertait l'opinion publique ou les autorités" ?

Publié le 3 juin 2020 à 19h33
Agnès Buzyn estime avoir agi en suivant les recommandations des experts.
Agnès Buzyn estime avoir agi en suivant les recommandations des experts. - Source : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

À LA LOUPE – Repartie en campagne pour les élections municipales à Paris, l'ancienne ministre de la Santé continue à défendre sa gestion du coronavirus. Peut-on pour autant indiquer que les experts ne tiraient pas la sonnette d'alarme ? LCI a replongé dans les archives.

Alors que le second tour des élections municipales est prévu le 28 juin prochain, Agnès Buzyn repart peu à peu en campagne pour défendre sa candidature sous l'étiquette LaRem à Paris. Dans les interviews qu'elle accorde, l'ancienne ministre de la Santé défend son bilan, elle qui a été remplacée par Olivier Véran le 16 février. 

Parfois accusée d'avoir minimisé la dangerosité de l'épidémie de Covid-19, elle soutient avoir réagi à temps, et s'être fiée à l'avis des spécialistes pour adapter la réponse du gouvernement. En tant que ministre ou comme candidate, "il n'y avait pas d'expert en février qui alertait l'opinion publique ou les autorités", a assuré Agnès Buzyn au micro de RMC. Une déclaration dans la ligne de ses précédentes, dans lesquelles elle a toujours expliqué avoir (ré)agi en fonction de l'état des connaissances au moment présent.

De l'incertitude et une inquiétude croissante

Trois mois plus tard, alors que l'épidémie s'est propagée à travers le monde et que plus de 380.000 personnes sont décédées du virus à l'échelle du globe, il est difficile de se remémorer avec précision le contexte du mois de février, ainsi que le discours des spécialistes à l'époque. Passer en revue les archives permet donc d'y voir plus clair, et d'observer notamment que l'incertitude et la prudence étaient alors déjà récurrentes dans les discours.

Le 23 janvier, à l'issue d'une réunion de son comité d'urgence, l'OMS et son directeur général Adhanom Ghebreyesus se montraient réservés. "Je ne déclare pas aujourd'hui une urgence de santé publique de portée internationale", indiquait ce dernier, expliquant toutefois que cette position pouvait évoluer rapidement. "Ne vous y trompez pas, c'est une urgence en Chine", a-t-il averti. "Ce n'est pas encore une urgence sanitaire mondiale", mais "cela pourrait le devenir." Nous nous trouvions alors à la veille de la découverte de deux cas de Covid-19 en France, les premiers en Europe.

Président de l'association des urgentistes de France (Amuf), Patrick Pelloux déplorait fin janvier une "hystérie collective" ajoutant : "Ça ne sert à rien d'avoir peur." Même constat pour Didier Raoult pour qui le Covid-19 était "probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes", comme il s'en réjouissait dans une vidéo postée le 25 février. Une assurance qui tranchait avec les déclarations de chercheurs hong-kongais. "Nous devons nous préparer au fait que cette épidémie particulière devienne une épidémie mondiale", déclaraient-ils alors, assurant que "des mesures importantes et draconiennes pour limiter les mouvements de population doivent être prises, le plus tôt possible." À l'aide de modèles mathématiques, ils estimaient déjà que le nombre de cas était largement sous-évalué par les autorités. 

Le mois de février a marqué un tournant, puisque l'OMS a rapidement appelé à la plus grande vigilance. "Sans capacité diagnostique, les pays sont dans le noir : ils ne savent pas jusqu'où et pourquoi le virus s'est propagé et qui a un coronavirus ou une autre maladie présentant des symptômes similaires", lançait son directeur général, en faveur de dépistages massifs. C'est aussi en février que les experts mettent en avant les risques de contagion avant que ne se déclarent les symptômes, un constat justifiant à leurs yeux des mesures de surveillance préventives.

Un système de santé fragile

Jusque-là concentrée en Chine, l'épidémie a commencé à s'étendre à une multitude de pays à partir de février. La Corée du Sud ou l'Iran ont été touchés, mais aussi l'Italie du Nord, où s'est développé un important foyer de contamination. Face à la multiplication des cas hors du territoire chinois, l'OMS a alors émis des craintes, estimant qu'un "petit nombre de cas pourrait être l'étincelle à l'origine d'un plus grand incendie".

Interrogé le 23 février, l'épidémiologiste Eric D'Ortenzio, membre de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) estimait qu'une "nouvelle phase" avait été franchie dans l'extension du Covid-19. Il le justifiait par l'apparition dans les nouveaux pays touchés de "chaînes de transmissions à partir de cas non détectés". De quoi inciter à ses yeux une mobilisation plus important de l'Etat : "Il doit y avoir une vigilance qui augmente, il faut que les autorités renforcent la surveillance".

En visite le 27 février dans un hôpital parisien, Emmanuel Macron s'est entretenu avec des soignants. Des professionnels de santé qui n'étaient pas encore débordés par l'afflux de personnes contaminées, mais qui alertaient le président de la République sur leurs conditions de travail et lui faisaient part de leurs inquiétudes. "Sans injection de moyens rapides, nous ne pourrons pas faire face à ce type de crise", avait lancé le neurologue François Salachas, membre d'un collectif inter-hôpitaux. 

C'est enfin à cette même période que la question des masques à commencer à se poser. Si les autorités ont longtemps estimé que le port du masque n'était pas nécessaire, des spécialistes interrogés dans les médias jugeaient leur utilisation pertinente. "Les masques permettent de se protéger contre les infections mais aussi protéger les autres si l‘on est soit même infecté", soulignait auprès de Vanity Fair le data scientist Anton Camacho.

Au regard de ces différentes archives, il semble hasardeux d'affirmer comme le fait Agnès Buzyn d'affirmer que les experts n'alertaient pas en février sur la dangerosité du Covid-19. Pour autant, il faut aussi reconnaître que la communauté scientifique était loin de s'exprimer d'une seule voix, et que certains chercheurs ont longtemps pensé que l'épidémie ne ferait pas de dégâts hors de Chine ou dans des pays aux systèmes de santé développés. La question d'une responsabilité des membres du gouvernement dans la crise sanitaire pourrait en tout cas se voir tranchée devant la justice, puisqu'une soixantaine de plaintes au moins ont été déposées pour faire la lumière sur la manière dont les autorités ont géré la situation. 

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Thomas DESZPOT

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