Coronavirus : la CGT a-t-elle refusé de prêter un château pour les Français mis en quarantaine ?

par Claire CAMBIER
Publié le 14 février 2020 à 18h06
Coronavirus : la CGT a-t-elle refusé de prêter un château pour les Français mis en quarantaine ?
Source : AFP

A LA LOUPE - La CGT est accusée d'avoir refusé "de prêter l'un des nombreux châteaux qu'elle possède" pour en faire un centre d'hébergement pour les ressortissants français revenus de Wuhan, une affirmation démentie par le syndicat. Explications.

La CGT pas si solidaire ? C'est en tout cas ce qu'affirme un article de Valeurs Actuelles. Publié le 12 février, celui-ci indique que le syndicat a refusé de mettre à disposition l'un de ses "nombreux châteaux" pour héberger les ressortissants français de retour de Wuhan et placés en quarantaine. Matignon se serait donc tourné, par défaut, vers le centre de vacances de Carry-le-Rouet, dans les Bouches-du-Rhône.

Aucune information n'est donnée sur le château en question. L'hebdomadaire évoque simplement "l'un des 15 (environ) châteaux qu'elle possède."

La CGT dément

L'accusation est-elle véridique ? Le syndicat, lui, dément fermement : "La Confédération CGT n’a pas été sollicitée par le gouvernement, tout simplement car nous ne possédons aucun château", nous dit-elle. "En employant ce terme de 'châteaux' accolé au terme 'nombreux' Valeurs actuelles entretien l’idée que notre organisation vit peut-être dans un conte de fées mais ces éléments relèvent tout simplement de la fable."

Si Valeurs Actuelles évoque une sollicitation de Matignon, le cabinet du Premier ministre n'a "aucune trace" d'une telle requête. "Nous n'avons aucun élément qui permette de valider" cette affirmation. Au ministère de la santé, cette affirmation n'est pas non plus connue du service de communication. Nous n'avons pas obtenu, à l'heure de la publication de l'article, d'informations plus détaillées sur les éventuels sites envisagés pour héberger les ressortissants français.

Un élément toutefois, les centres mis à disposition des Français placés en quarantaine ont été réquisitionnés. La loi autorise les réquisitions "en cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige". Le refuser n'est pas vraiment une option : "le refus d'exécuter les mesures prescrites par l'autorité requérante constitue un délit qui est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende." 

La mairie de Carry-le-Rouet disait d'ailleurs à nos confères de 20 minutes ne pas avoir eu le choix : "Ce sont les services de l’État qui nous ont imposé ça". Difficile de croire qu'il en aurait été autrement avec la CGT.

Des châteaux détenus par des CE d'entreprise

Quels est donc cette quinzaine de châteaux évoquée ? Sur internet, de telles accusations ont déjà été portées par le passé. En 2012, Wikistrike se demandait dans un article "Que faire de ces magnifiques châteaux vides appartenant aux syndicats ?" et de lister 16 châteaux appartenant à des syndicats ou des comités d'entreprise (CE), "intégrés" depuis le 1er janvier au comité social et économique (CSE). Il s'appuyait sur un diaporama photo réalisé par le Journal du Net en 2011 portant sur "La vie de château des syndicats et comités d'entreprise".

Pourtant, l'ensemble de ses propriétés n'appartient pas aux syndicats, la plupart sont en réalité détenus par des comités d'entreprise de différentes sociétés dont EDF, la SNCF ou la Banque de France. La CGT nous fait ainsi part d'une possible "confusion (...) avec des centres de vacances gérés par des comités d’entreprise parfois ou la CGT est majoritaire , type CCAS (action sociale des électriciens gaziers)".

Les syndicats ne sont pas propriétaires des biens détenus par les CE ou CSE, quand bien même ils seraient majoritaires. Un des rôles de ces comités est de proposer des actions sociales et culturelles à l'ensemble des salariés de l'entreprise (et non aux seuls membres des syndicats). Cela peut se présenter sous la forme d'avantages négociés auprès de partenaires commerciaux mais aussi par le biais de services, comme la mise à disposition de ces petits châteaux aménagés en centres de vacances.

Ces biens immobiliers font l'objet d'un encadrement. Lorsqu'un CE disparaît, seules deux options sont possibles. En premier lieu, "donner ses biens à un comité qui continuera à les utiliser au profit, principalement, des anciens salariés de l’entreprise dissoute. Sont alors visés les comités d’entreprise et/ou d’établissement dans lesquels ont été mutés les salariés de l’entreprise disparue", détaille Me Dimitri Monforte, avocat spécialiste du droit du travail. L'autre possibilité est de donner ces bien à une "institution sociale d’intérêt général". Les syndicats qui géraient ces biens par le biais des comités d'entreprise ne peuvent en aucun cas les récupérer.

La CGT possède bien deux "châteaux"

Malgré cette confusion qui donne régulièrement lieu à des attaques sur "la vie de château" des syndicats, affirmer que la CGT possède des châteaux n'est pas entièrement faux, mais doit être nuancé. Selon nos informations, l'organisation syndicale en possède au moins deux.

Le premier est le château de Courcelle-sur-Yvette, situé en réalité à Gif-sur-Yvette (Essonne). Interrogé à ce sujet, Nathalie Verdeil, secrétaire confédérale, reconnait que "ce bien est propriété de la CGT". Le syndicat l'a renommé centre de formation Benoit Frachon. Il "héberge les adhérents de la CGT quand ils sont en formation syndicale", explique-t-elle, tout en nous invitant à jeter un œil au lieu. "Vous jugerez de vous-même si le terme de château est approprié", ajoute Mme Verdeil. Des photos sont disponibles sur le site de la CGT dédié à la formation syndicale. On y découvre un ensemble de bâtiments, dont des structures récentes, bien loi de l'image idylique d'un "château". 

Un document du Conseil régional d'Ile-de-France le confirme, ce terme "château" est quelque peu exagéré. Dans le cadre d'un diagnostic patrimonial, l'institution a réalisé une "synthèse communale sur Gif-sur-Yvette". La ville possède trois châteaux :  "le château du Val Fleuri, celui de l’Ermitage et le château de Button". Le deux premiers sont la propriété de la municipalité, le château de l'Ermitage comprend d'ailleurs les services de la mairie. Celui de Button appartient au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique.)

Un quatrième château est situé dans le hameau de Courcelles, aux côtés d'un moulin. "En août 1944, le château est investi par les Francs-tireurs et partisans (FTP) venus libérer la capitale. En 1947, il est finalement racheté par la Confédération Générale du Travail (CGT) et devient le centre de formation Benoît Frachon, du nom du secrétaire général du syndicat de 1947 à 1967, détaille la synthèse. Cette école professionnelle prépare les cadres de la confédération basée à Montreuil à leurs futures missions. De nombreux bâtiments (logements, salles de cours et bureaux) ont été élevés dans le parc. De part ces affectations successives, le moulin apparaît aujourd’hui très dénaturé. Il n’en subsiste que le bief et quelques éléments de maçonnerie difficilement lisibles". 

La propriété de la CGT correspondrait en réalité à l'ancien "moulin de Courcelles" et aux bâtiments qui l'entouraient, notamment "un corps de bâtiment surmonté d’un fronton triangulaire et cantonné de pilastres", peut-on lire. Un syndicaliste évoque d'ailleurs plutôt "un manoir". Le château, lui, aurait été "acheté en copropriété en 1953" et "divisé en plusieurs appartements". Il abrite d'ailleurs le siège social de l'association des locataires de la résidence du parc du château. 

Le deuxième "château" appartenant à la CGT est celui de Fontenay-lès-Briis (photo ci-dessous), également dans l'Essonne. La CGT précise que cette propriété "appartient à la CGT RATP et non à la confédération." Nathalie Verdeil ajoute qu'elle a été mise à disposition à titre gratuit "des œuvres sociales pour les salariés de la RATP", autrement dit au CE de l'entreprise, et ce "depuis 1948". "La CGT RATP n’en tire donc aucune ressource depuis cette date", nous assure-t-on. 

Château Fontenay-lès-Briis (Essonne)
Château Fontenay-lès-Briis (Essonne) - Véronique PAGNIER

Le parc naturel de la Vallée de Chevreuse nous apprend que "le parc et le château (ont été) rachetés par le syndicat du personnel de la TCRP (actuelle RATP)" en 1937. Si ce centre de vacances et ses infrastructures de loisir sont réservés au personnel de la RATP, un accord a été conclu entre le CE de l'entreprise et la mairie de Fontenay-lès-Briis pour que les habitants puissent avoir accès au château (chambres, repas, location de salles, courts de tennis, etc.)

Carry-le-Rouet pas choisi par hasard

Il convient de noter que ces deux propriétés se situent dans l'Essonne, or l'Etat a porté son choix sur les Bouches-du-Rhône pour les deux centres réquisitionnés  pour les ressortissants français. Un choix qui n'a pas été réalisé par hasard : "Il fallait des lieux vides à disposition, avec un grand nombre de chambres individuelles, et à proximité de l’hôpital, a indiqué la préfecture des Bouches-du-Rhône à 20 Minutes. Ils ont donc pensé aux centres de vacances, beaucoup plus nombreux chez nous, et en ce moment vides." 

A Marseille, figure un centre médical "récent et à la pointe sur le traitement des maladies infectieuses et tropicales, unique en son genre non seulement en France, mais en Europe", l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée. "Les Bouches-du-Rhône ont été choisies car elles constituaient un lieu idéal, abonde la direction générale de la Santé. Elle constituait un carrefour qui répondait à un cahier des charges, avec des lieux vides et pouvant accueillir des familles à proximité d’un centre hospitalier."

Pour clôre la polémique, Nathalie Verdeil tient à souligner que la CGT n'est pas fermée à une quelconque mise à disposition de l'Etat des biens qu'elle gère. Preuve en est, des centres de vacances appartenant à des CE où la CGT est majoritaire ont déjà été transformés en centre d'accueil. La CCAS avait ainsi accepté en 2015, à la demande de l'Etat', de participer à l’accueil de réfugiés dans ses centres de vacances.

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Claire CAMBIER

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