Maires omniprésents, gauche "gênée", populisme en déclin... les conséquences politiques de la crise sanitaire

Publié le 1 avril 2020 à 17h13, mis à jour le 1 avril 2020 à 17h44
Maires omniprésents, gauche "gênée", populisme en déclin... les conséquences politiques de la crise sanitaire
Source : AFP

INTERVIEW - Pourquoi des maires de droite prennent-ils des arrêtés instaurant des couvre-feux ou entreprennent-ils de désinfecteurs les rues de leur ville ? Pourquoi la gauche se fait silencieuse ? Quelles conséquences aura la crise sanitaire sur le paysage politique ? Réponses avec le politologue Philippe Moreau-Chevrolet.

La crise sanitaire que traverse la France ne sera pas sans conséquences, y compris d'un point de vue politique. Actuellement, il est déjà possible d'observer quelques différences dans l'occupation de l'espace médiatique entre la droite et la gauche, cette première étant moins silencieuse que la seconde. Ces derniers jours, de nombreux maires, majoritairement LR, ont également décidé d'agir au niveau local, pour instaurer des couvre-feux ou mettre en place la désinfection des rues. Comment expliquer ces différences ? Quelles conséquences aura cette épidémie de coronavirus sur le paysage politique dans le futur ? Le politologue Philippe Moreau-Chevrolet a répondu aux questions de LCI. 

LCI : De nombreux maires, très majoritairement républicains, ont fait le choix d’instaurer des couvre-feux et/ou de désinfecter leurs rues. Les maires de droite gèrent-ils la crise sanitaire différemment de ceux de gauche ?

Philippe Moreau-Chevrolet : Je ne suis pas sûr qu’il faille y voir un clivage droite/gauche. En revanche, il existe deux types de maires. Ceux qui jouent la carte de la protection maximale de leur population avec des mesures régaliennes (couvre-feux, désinfection des rues, repli sur le local), et ceux qui sont dans une forme de gestion passive de la situation et se contentent d’appliquer les mesures gouvernementales. Aujourd'hui, la situation exacerbe le 'sauve-qui-peut', le chacun pour soi. Les élus locaux sont sous pression. Je ne sais pas si cela répond à un clivage droite/gauche, mais ce qui est sûr, c’est que les maires conservateurs sont beaucoup plus à l’aise avec les mesures de privation ou de restriction de libertés que les maires de gauche. 

Est-il important d'avoir en tête que nous sommes toujours en période de campagne électorale, et que cela peut avoir une influence sur la façon d'agir des édiles ?

Oui, pour certains cette crise est effectivement un moyen de faire campagne. La majorité de la population l'a oublié mais les élus ont bien en tête le calendrier des élections (le gouvernement a proposé que le second tour des élections municipales se tienne le 21 juin prochain, ndlr). Ainsi, lorsque Rachida Dati réclame inlassablement la désinfection des rues à Paris, il faut y voir à la fois une visée électorale et une demande sécuritaire. De la défiance s’installe vis-à-vis des autorités sur la gestion de la crise. Des politiques s’y engouffrent en disant : ‘Vous n’en faites pas assez, vous n’êtes pas à la hauteur’. Ainsi, la pression sur une maire comme Anne Hidalgo pour faire nettoyer les rues est forte.

C'est compliqué pour la gauche d'appréhender positivement le confinement, synonyme de restrictions de liberté."
Philippe Moreau-Chevrolet

Force est de constater que l'opposition de droite est plus présente que la gauche, plutôt silencieuse. Comment l'expliquer ?

La gauche est gênée parce qu’elle n’a pas de logiciel pour lire une telle crise et les conséquences qu'elle implique. C’est compliqué pour elle d’appréhender positivement le confinement, qui est une privation de liberté, assortie d'une mesure de surveillance extrême, et qui pourrait même aller jusqu'à la surveillance électronique. A droite, le fait le plus marquant est peut-être la cristallisation d'un pôle pro-chloroquine, mélangeant des membres des Républicains, de l'extrême-droite et des complotistes. C’est intéressant de voir que le clivage populistes/élites qui aurait pu s'évanouir à la faveur des événements n’a pas disparu : il s’est recyclé dans les pro et anti-chloroquine.

Pensez-vous que les cartes seront rebattues à la fin de la crise ?

Oui, certainement. Paradoxalement, je pense qu'elle ne va pas profiter au clan populiste. A l'épreuves des faits, les gestions de Donald Trump et Boris Johnson risquent de s’avérer catastrophiques et lourdes de conséquences. Les gens miseront sur les valeurs refuges, notamment le Président en exercice ou le Premier ministre, qui connaissent une forte hausse de leur popularité. Les gens n’ont pas envie d’ajouter de l’incertitude à l’incertitude. Ils ont besoin d'être rassurés, de compter sur des gens capables de gérer d’une manière plus rationnelle. Cela ne veut pas dire que ça bénéficiera à Emmanuel Macron, mais je pense que nous ne sommes pas condamnés à aller vers le populisme proposé par Marine Le Pen. Je n’ai pas une vision abominable de l’avenir politique. Sans la crise, nous aurions été assez rapidement vers un leader populiste. Mais paradoxalement, je pense qu'elle va nous faire dévier de ce chemin, surtout si la sortie de crise est gérée intelligemment au niveau économique.


Justine FAURE

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