"Créateur de chômage", "ne protège que les salariés"... Stop aux idées reçues sur le Code du travail

Publié le 4 novembre 2015 à 10h30

FACT CHECKING - La ministre du Travail, Myriam El Khomri, présente ce mercredi ses pistes pour "rendre plus lisible le Code du travail". Un sujet explosif sur lequel bon nombre de lieux communs circulent, qui méritent d'être décortiqués. "Metronews" fait le point.

Haro sur le gros livre rouge. Alors que le gouvernement dévoile ce mercredi ses pistes de réforme visant à simplifier le Code du travail, son discours fait écho à celui tenu de longue date par les syndicats patronaux. En choeur, tous l'affirment : notre législation est devenue "illisible" (François Hollande), "inefficace" puisque les salariés "ne connaissent plus leurs droits" (Manuel Valls), "anxiogène" au point d'être devenue "le fléau numéro 1 des patrons français" (Pierre Gattaz, président du Medef). Mais faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Pour éclairer le débat, Metronews s'est penché sur 8 idées qui y reviennent souvent.

"Le Code du travail est obèse"
VRAI Disons-le tout net : oui, le Code du travail n'a fait qu’enfler tout au long de son histoire (qui remonte à 1910). Mais sur l'ampleur de cette prise de poids, l'intox est aisée. Selon le Medef, il aurait carrément triplé de volume rien qu'entre 1990 et 2010, passant de 1000 à 3000 pages. Sauf que le fameux gros pavé rouge auquel le syndicat patronal fait référence pour 2010, le Dalloz, est une version enrichie du Code. A telle enseigne que l'éditeur a fini par le baptiser "Méga Code du travail" dont la version 2016, avec "commentaires explicatifs" et "format plus grand pour un meilleur confort de lecture", atteindra même les 3580 pages. En revanche, quand il se réfère au Code de 1990, le Medef prend en compte une version sèche : l'édition Prat, 921 pages, montée à 1658 pages en 2010. Aujourd'hui, ce bébé-là affiche 1764 pages. Si l'on compare ce qui est comparable, on peut estimer que le Code a presque doublé de volume en 25 ans.

"Le Code du travail est devenu illisible pour les citoyens"
VRAI En prenant du volume, le bréviaire des travailleurs est forcément devenu plus difficile à comprendre. "Il est objectivement très complexe, très lourd, très mal construit, et pose de terribles problèmes de connaissance. Même les spécialistes ne s'y retrouvent plus !", reconnaît Emmanuel Dockes, professeur de droit à l’université Paris-X, pour metronews. Tout en soulignant un point : "La complexification touche tous les domaines du droit, qui dans son ensemble devient de moins en moins accessible aux citoyens". Avec 6,5 millions de caractères aujourd'hui, le Code du travail équivaut en effet à celui de commerce, qui en comprend 5,9 millions (à titre de comparaison, le Code civil est à 12 millions et le Code de la route à 1 million). "Sauf que seul le Code du travail, remarque Emmanuel Dockes, fait l'objet d'une telle attention quant à sa lisibilité..." En clair : ce Code-là concentre des enjeux politiques que les autres ne soulèvent pas.

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"Le Code du travail n'est pensé que pour les salariés"
FAUX
Si le Code a tant pris de poids, ce n'est pas forcément pour mieux protéger les salariés. Au contraire, nous affirme Emmanuel Dockes : "Il y a trente ans, il était beaucoup plus petit mais beaucoup plus protecteur". Que s'est-il passé ? "Depuis 1986, l'essentiel des lois qui l'ont amendé visaient à multiplier les dérogations, non pas pour offrir plus de droits aux salariés mais dans un sens de libéralisation". Autrement dit : c'est le patronat qui a fait gonfler le Code du travail, en exigeant toujours plus d'exceptions à la règle. Le meilleur exemple, c'est le temps de travail : "La règle des 35 heures tient en une ligne. Mais les exceptions pour y déroger, elles, font une dizaine de pages". Même chose pour l'interdiction initiale du travail du dimanche.

"Moins de protection pour les salariés, c'est aussi moins de chômage"
FAUX – Il est une équation que le Medef aime à répéter : "Code du travail : 1990, 1000 pages, 1 million de chômeurs. 2000, 2000 pages, 2 millions de chômeurs. 2010, 3000 pages, 3 millions de chômeurs". Alourdir le Code de 1000 pages, ce serait donc créer 1 million de chômeurs. Sauf que les chiffres sont faux. En 1990, l'Insee recensait très exactement une moyenne de 1,995 millions de chômeurs, soit le double de ce qu'avancent les patrons. Par ailleurs, tous les statisticiens connaissent cette règle élémentaire : corrélation ne vaut pas causalité. "A cet égard, les études réalisées aux Etats-Unis sont intéressantes, parce qu'elles concernent plusieurs Etats d'un seul pays, remarque Emmanuel Dockes. Et elles montrent que les différences de droit du travail entre les Etats n'expliquent pas leurs différents taux de chômage". Par exemple, le Connecticut connaît plus de chômage (6,3%) alors qu'il ne donne quasiment aucune protection aux salariés, tandis que le Massachusetts voisin offre des protections sociales importantes et connaît un chômage moins fort (4,7%). "Le lien entre la quantité de règles et le chômage est inexistant", martèle le spécialiste.

► "Les employeurs n'embauchent pas parce qu'ils ont peur de ne pas pouvoir licencier"
SIMPLISTE – "C'est une fausse logique, pointe Emmanuel Dockes. Ce n'est pas parce que certains patrons affirment qu'ils ont cette crainte qu'il y a un effet global. Sur un marché donné, si dix employeurs ont peur d'embaucher, il y en aura toujours un onzième qui aura le courage de le faire et qui raflera la mise !" D'ailleurs, le patron de la CGPME (le principal syndicat des patrons de PME), Jean-François Roubaud, admet que si les entreprises n’embauchent pas, c'est avant tout parce que leurs carnets de commandes ne le leur permettent pas. Enfin l'Allemagne, souvent citée en exemple pour son chômage moins élevé, ne permet pas si facilement de licencier les salariés permanents. Si l'on en croit le classement de l'OCDE, elle protège même mieux l'emploi régulier que la France ! L'organisme relève ainsi que les contraintes de procédure pour un licenciement individuel "sont particulièrement lourdes" outre-Rhin.

► "Le Code du travail est un carcan"
FAUX "L’idée que le Code du travail régit tout est fausse", a admis l'homme que le gouvernement avait chargé d'un rapport sur sa réforme, Jean-Denis Combrexelle, en remettant sa copie en septembre. "La France est l’un des pays qui, en droit, a le plus renvoyé à la négociation collective", a-t-il développé. En 2014, le ministère du Travail a recensé 28 accords interprofessionnels, 951 accords de branche (dont la majorité sur les salaires) et 36.500 accords signés au sein des entreprises. Et des cas médiatiques prouvent que la règle n'est pas si rigide : chez Smart en Moselle, la direction est ainsi actuellement en train de négocier le retour aux 39 heures.

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"Simplifier le Code du travail, c'est mieux protéger les salariés"
A VOIR Si le Code a été rendu compliqué par les dérogations du patronat, l'alléger permettrait logiquement de revenir à une meilleure protection. Mais c'est justement là que réside le choix des politiques. Si tout le monde est à peu près d'accord pour dire que le Code est trop gros, chacun ne donne pas le même sens à sa "simplification". "Deux logiques s'affrontent, nous éclaire Emmanuel Dockes. Il y a la critique technique d'une législation qui mérite d'être clarifiée. Et il y a la critique au fond de l'existence même d'une protection des salariés". Entre le réécrire et le ramollir, il va falloir choisir...

► "La négociation collective est plus efficace que le Code du travail"
A VOIR Force est de constater que la quasi-totalité des rapports sur le sujet tirent tous dans le même sens, à des degrés divers : celui d'une plus grande place laissée aux négociations collectives en entreprise. "L’enjeu, c’est de faire en sorte que le dialogue social se rapproche de l’entreprise", a ainsi fixé comme cap François Hollande. Et de ce point de vue, c'est encore le modèle allemand qui fait référence. En fait, il n'existe pas à proprement parler de Code du travail outre-Rhin, où les normes de travail minimales sont établies par des lois isolées, complétées par les convections collectives, les conventions d'entreprises et la jurisprudence. Mais moins de lois, ce n'est pas forcément moins de droits, souligne Emmanuel Dockes : "Le modèle allemand, c'est aussi le poids des représentants des salariés, qui au sein du conseil d'entreprise ont un droit de veto et de gestion limitant le pouvoir de décision des employeurs. Or en France, les représentants de salariés n'ont qu'un rôle consultatif..." Comment faire pour instaurer en France un dialogue social mieux équilibré ? C'est le débat indissociable de celui sur le Code du travail.


La rédaction de TF1info

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