SECURITE - Le régime de l'état d'urgence, activé il y a deux ans par François Hollande, prend fin mardi soir à minuit. C'est la loi antiterroriste promulguée lundi qui va prendre le relais. Les Français y verront-ils vraiment une différence ?
Clap de fin pour l'état d'urgence, décrété il y a presque deux ans. A partir de mardi, minuit, le régime d'exception mis en place au lendemain des attentats du 13 novembre laisse place à un nouveau dispositif légal qui pérennise certaines mesures jusqu'ici dérogatoires, tout en redonnant une certaine marge de manoeuvre au pouvoir judiciaire, garant des libertés publiques.
Malgré les critiques - une partie de la droite réclamait le maintien de l'état d'urgence, et une partie de la gauche, dont La France insoumise, juge le texte "liberticide", la nouvelle loi "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" a été votée par 415 voix sur 577 à l'Assemblée nationale le 3 octobre.
Si le texte contient des mesures ayant des conséquences importantes en termes de liberté publique et de surveillance, les Français ne verront pas toujours la différence entre les deux régimes. Lundi, lors de la promulgation, Emmanuel Macron a déclaré que la loi "permettra de renforcer nos moyens dans la lutte contre le terrorisme, en particulier dans les lieux qui auront vocation à rassembler du public". Que va-t-il se passer concrètement ?
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L'opération Sentinelle maintenue
La levée de l'état d'urgence n'entraînera pas la disparition des patrouilles des forces de sécurité sur le territoire. Mi-septembre, les ministres de la Défense et de l'Intérieur, Florence Parly et Gérard Collomb, avaient confirmé le maintien des dispositifs de l'opération Sentinelle après la sortie de l'état d'urgence, avec 7.000 militaires déployés sur le terrain, et 3.000 fonctionnaires en plus en cas d'urgence absolue.
En revanche, ces effectifs doivent être réorganisés afin de permettre une plus grande "souplesse" dans la durée. Une partie des 7.000 hommes se concentrera sur la sécurisation permanente des lieux les plus sensibles, tandis que l'autre pourra être mobilisée ponctuellement lors d'événements réunissant un public.
Assignation à résidence élargie
Sous le régime de l'état d'urgence, 600 assignations à résidence ont été prononcées contre des individus, dont 41 assignations sont toujours en vigueur. La nouvelle loi prévoit, à partir de novembre, que le ministre de l'Intérieur puisse, après en avoir informé le procureur de la République, assigner l'individu non plus à son domicile, mais dans un périmètre déterminé "qui ne peut être inférieur à la commune" et qui puisse lui laisser la possibilité de "poursuivre sa vie familiale et professionnelle".
Comme sous le régime de l'état d'urgence, il pourra lui être demandé de se présenter périodiquement aux services de police, y compris le week-end. Cette assignation serait limitée à trois mois mais renouvelable sur décision motivée. Elle serait justifiée lorsque les autorités ont "une raison sérieuse de penser" que le comportement de l'individu "constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public". Le Sénat a tenté en juillet de plafonner l'obligation de pointage au commissariat à trois par semaine, mais la possibilité d'un pointage quotidien (sous l'état d'urgence, c'était jusqu'à trois fois par jour) a été rétablie le 13 septembre avec l'adoption d'un amendement de la majorité à la commission des lois.
Perquisition administrative
Autre mesure héritée de l'état d'urgence : la possibilité pour le préfet de procéder à une perquisition administrative "en tout lieu", y compris au domicile d'une personne. Mais au lieu de "notifier" simplement cette décision au procureur de la République, le texte exige une "autorisation" du procureur avant la perquisition. Celle-ci intervient en principe entre 6 heures et 21 heures, sauf dans des cas exceptionnels, qui devront être motivés.
Surveillance électronique
L'une des dispositions les plus polémiques du texte prévoit la possibilité pour les autorités, sur la base d'une simple suspicion, de placer "sous surveillance électronique mobile" (autrement dit le bracelet électronique) une personne. Il faudra, précise le texte, que l'intéressé donne son accord "par écrit" pour être placé sous une telle surveillance.
Accès aux identifiants personnels
Le projet de loi intègrait des mesures concernant les données personnelles des personnes assignées à résidence. Mais la commission mixte paritaire a supprimé l’obligation pour ces personnes de déclarer leurs numéros d’abonnement et identifiants électroniques.
Lors de la perquisition en revanche, il sera possible d'accéder aux données contenues dans un ordinateur, en attendant a posteriori l'autorisation du juge des référés du tribunal administratif d'exploiter les données.
Périmètre de protection
Le texte mentionne la possibilité pour le préfet de continuer à déterminer par arrêté, sur simple notification au procureur de la République, un périmètre précis "de protection" limitant la circulation des personnes, notamment lors des grands événements. A l'intérieur de ce périmètre, les forces de sécurité, y compris la police municipale, pourront procéder à des palpations de sécurité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages.
Mardi matin, le ministre de l'Intérieur a précisé que de nouveaux périmètres seront ouverts, citant notamment la prochaine édition de la Fête des lumières, à Lyon, et du marché de Noël de Strasbourg.
Fermeture des lieux de culte
La loi de juillet 2016 relative à l'état d'urgence avait déjà facilité la possibilité de fermeture provisoire des lieux de culte par les autorités administratives lorsque seraient tenus des propos provoquant à la haine, à la violence ou à la commission d'actes terroristes.
La nouvelle loi pérennise cette possibilité, prévoyant que le préfet puisse par arrêté fermer un lieu de culte dans la limite de six mois, avec une possible procédure contradictoire et un recours suspensif devant le juge, en cas de diffusion "d'idées ou de théories" jugées dangereuses, et non simplement de propos faisant l'apologie du terrorisme.
Contrôle aux frontières
Les contrôles aux frontières ont été rétabli le 13 novembre 2015, non dans le cadre de l'état d'urgence, mais en application de l'article 25 du "code frontières" de l'espace Schengen, qui prévoit cette mesure d'exception en cas de "menace grave" pour le pays. En l'état, le contrôle aux frontières ne peut être maintenu que jusqu'au 31 octobre 2017. "Le rétablissement des contrôles a permis la surveillance et l'interception de très nombreux individus signalés dans les bases de données européennes et nationales", argumente le cabinet de Gérard Collomb dans une note adressée aux médias.
La loi entend "maintenir", au-delà du 1er novembre, "un niveau important de possibilités de contrôle", avec notamment l'élargissement de la zone de contrôle aux abords des gares internationales, l'extension de 6 à 12 heures de la durée légale de ces contrôles, et l'élargissement des contrôles dans certains points de passage frontaliers "désignés par arrêté en raison de leur fréquentation et de leur vulnérabilité". Ce qui inclut les ports et aéroports jugés sensibles. Pas question, cependant, d'assurer un "contrôle systématique", comme cela était possible depuis deux ans par dérogation aux accords de Schengen.