Régionales en Paca : chronique d'une semaine de pagaille entre Renaud Muselier, LaREM et LR

Vincent Michelon et le service politique TF1/LCI
Publié le 7 mai 2021 à 21h07

Source : La Matinale LCI

POKER MENTEUR - Dimanche dernier, Jean Castex annonçait le retrait de la liste de Sophie Cluzel (LaREM) aux élections régionales en Paca au profit du président sortant Renaud Muselier (LR). Cinq jours plus tard, Sophie Cluzel est à nouveau candidate. Entretemps, LR s'est (encore) déchiré et Christian Estrosi a pris le large. Tout cela valait bien un récit, jour par jour, du psychodrame provençal.

La région Provence-Alpes-Côte-d'Azur sera-t-elle vraiment le laboratoire des élections, présidentielle et législatives, de 2022, comme certains le pensent ? L'hypothèse n'est pas vraiment rassurante, au vu de la semaine qui vient de s'écouler, entre tractations, reculades et déchirements au sein de la droite française. Une tragédie en plusieurs actes qui met en scène au moins trois principaux protagonistes, la majorité présidentielle, Les Républicains et Renaud Muselier, et un spectateur silencieux, le Rassemblement national, qui rêve de conquérir la région. 

Si l'affaire couvait déjà depuis de nombreuses semaines, c'est l'annonce par Jean Castex, dimanche dernier, d'un désistement de la liste LaREM au profit de Renaud Muselier qui a déclenché cette interminable séquence. Cinq jours plus tard, on apprend que, finalement, la tête de liste macroniste, la secrétaire d'État Sophie Cluzel, conduira bien sa propre liste. Entretemps, il s'est passé beaucoup de choses, surtout au sein de la droite. Rappel des faits. 

Jeudi 29 avril : Muselier esquisse un pas

Tout a débuté jeudi, quand Renaud Muselier a tendu la main à la majorité présidentielle, estimant que "le bon sens voudrait" que celle-ci "lui apporte son soutien". Dans cet appel, le ténor LR avait refusé tout "accord d'appareil"

En réalité, les négociations en coulisses, elles, sont nettement plus anciennes : selon nos informations, l'entourage de Renaud Muselier savait depuis "plusieurs jours" que l’annonce serait faite le week-end du 1er mai. L'entourage de Sophie Cluzel avait précisé qu'il s'agissait du fruit d'un "dialogue continu". La secrétaire d'État s'était d'ailleurs montrée favorable à un tel rapprochement dès le mois de février, dans les colonnes de La Provence. "On attendait que la porte s’ouvre du côté de Renaud Muselier", précisait-on dimanche dans l'entourage de la secrétaire d'État.

Dimanche 2 mai : l'annonce de Jean Castex

Personne n'attendait le Premier ministre, mobilisé par la crise sanitaire, sur ce terrain-là. Et pourtant, ce dimanche 2 mai, c'est Jean Castex qui a été missionné par l'Élysée pour annoncer la grande nouvelle au JDD. "La majorité présidentielle répond très favorablement à l’initiative de Renaud Muselier", explique le Premier ministre. Pour faire face au risque d'une victoire du RN conduit par Thierry Mariani dans la région, la liste LaREM de Sophie Cluzel va "intégrer le dispositif conduit par Renaud Muselier". Le chef du gouvernement y voit "un exemple de la recomposition politique" souhaitée par Emmanuel Macron. Renaud Muselier, lui, "prend acte" de la décision et salue "la voix de la raison et du bon sens"

"On a un intérêt à dépasser les clivages partisans, à faire travailler les gens raisonnables ensemble dans une région", plaidait ainsi un cadre de la majorité auprès de LCI.

"Ce n’est pas du tout comme ça qu’on avait prévu les choses", commente cependant ce vendredi, avec le recul, un député macroniste auprès de LCI. "Emmanuel Macron nous avait dit l’été dernier qu’il ne fallait surtout pas reproduire les erreurs des municipales. Il était prévu de monter des chefs de file régionaux et de présenter un projet de compétences, puis de discuter localement en Paca d’un rapprochement possible avec Muselier. Il n’était pas du tout question d’annoncer un accord national. Or c’est ce qui a été fait par Jean Castex dans le JDD, sous la pression de Cluzel et de quelques élus locaux..."

La déflagration, en tout cas, est immédiate. Dans les heures qui ont suivi l'annonce du Premier ministre, le député LR Eric Ciotti dénonce un "coup de poignard dans le dos". Parlant de "petites manœuvres électorales", le président de LR Christian Jacob annonce le retrait de l'investiture LR de Renaud Muselier. Le candidat RN, Thierry Mariani, se réjouit d'une "clarification".

Lundi 3 mai : le coup de gueule de Muselier

Pendant que la majorité savoure son accord surprise - le ministre de l'Economie Bruno Le Maire juge que "cet accord est l'acte de divorce définitif entre deux lignes irréconciliables" - Les Républicains fulminent et envisagent de créer une nouvelle liste aux régionales. Xavier Bertrand, qui lance sa campagne dans les Hauts-de-France (précision : il n'est plus chez LR) dénonce lui aussi "une terrible erreur" de la part de son homologue du Sud. 

Renaud Muselier, manifestement pris de court par les répercussions de l'annonce de Jean Castex, est très remonté. "Y'a pas de droite, y'a pas de gauche. En fait, j'en ai rien à foutre. Je suis de droite. Et alors ? Je suis fréquentable ou pas ? J'aime travailler avec les gens qui aiment travailler, avec des gens qui sont honnêtes, qui sont ouverts, qui ont une vision", lâche-t-il lors d'une inauguration. 

L'après-midi, il organise une conférence de presse aux côtés de Christian Estrosi, maire de Nice, mais aussi l'un des artisans du rapprochement régional avec la majorité présidentielle. Tout le monde attendait un divorce en règle avec LR. Mais les propos de Renaud Muselier sont plus sobres que le matin. "J'ai fait appel au soutien le plus large. Je pense que le dépassement est impératif pour des élections locales. Le Premier ministre a répondu positivement et annoncé le retrait d'une candidature gouvernementale. Cette liste sera d'abord celle de la majorité régionale actuelle, plurielle", explique-t-il. Puis il démine en partie les annonces du Premier ministre, invoquant sa "loyauté" envers sa famille politique.  "De nombreuses rumeurs, fake news, circulent sur la composition des listes. Ces listes ne sont pas faites et seront déposées le 17 mai. Aujourd'hui, il n'y a pas d'accord d'appareil, pas de fusion de liste. Je donnerai la priorité aux candidats qui s'engagent pour des mandats locaux, et non nationaux." Christian Estrosi, lui, ne pipe mot, mais il est particulièrement remonté contre les instances LR. 

Mardi 4 mai : le jour le plus long

Un conseil stratégique est organisé mardi matin pour tenter de sortir de la panade. Renaud Muselier ne devait pas y être : il s'y invite au dernier moment. Et pour cause :  l'aile droite du parti réclame sa tête et demande à Christian Jacob de prononcer son exclusion. Le sénateur Bruno Retailleau se dit favorable à la création d'une liste concurrente à celle de Muselier. "C'est une hypothèse", tempère Christian Jacob, "on est capable de le faire, mais on est dans un délai de dix jours [avant le dépôt légal des listes, NDLR], donc c'est compliqué. C’est une décision qui sera collective, donc on va se poser et réfléchir comme on doit le faire face à une situation complexe." Le président des Républicains est d'autant plus ennuyé de la situation qu'il est proche de Renaud Muselier. 

Un député LR résume l'embarras partagé à LCI : "Le temps manque. Comment bâtir en une semaine une liste avec 150 noms ? Si on fait un faible score on sera ridicule, si c'est haut on flingue Muselier et on fait passer le RN."

À l'issue de la réunion, le président de la région Paca s'exprime. Le ton a changé. "On a parlé, c'était très libre et très ouvert. Je veux montrer que je suis libre et indépendant. C'est moi qui décide. Ce n'est pas le Premier ministre, le président de la République qui décident pour moi. J'ai toujours été libre." Christian Jacob, aussi, calme le jeu : "Je suis convaincu qu'on va résister à ces tentatives de déstabilisation" de la majorité présidentielle, assure-t-il. "Je pense que Renaud Muselier a entendu le message de ses vrais amis politiques que sont Les Républicains. Il va faire une déclaration dans l'après-midi, et sur cette base nous prendrons nos décisions." Un cadre LR résume à LCI : il s'agit bien d'un gros coup de pression sur Renaud Muselier. "Ça a été une vraie discussion franche. On lui a dit les choses franchement : soit tu es clairement avec nous et on te soutient, soit tu fais une alliance avec En Marche et tu n'as plus ta place ici... Il a écouté, et je crois qu'il a compris."

Pendant ce temps, Jean Castex enfonce le clou : "l'opération a le mérite de poursuivre le dépassement et de mettre chacun devant des responsabilités", explique-t-il lors d'une réunion avec les cadres de la majorité LaREM.  

Il n'y aura pas d'accord avec En Marche
Renaud Muselier

Dans l'après-midi, un communiqué de l'équipe Muselier confirme ce revirement. Il n'est plus question d'accepter un ministre (en l'occurrence Sophie Cluzel) ou un parlementaire sur ses listes. "Il n'y a pas et il n'y aura pas d'accord à quelque niveau que ce soit avec En Marche, pas plus qu'avec d'autres appareils", dit-il. "Mais je suis sensible à tous les soutiens qui se manifestent. Il ajoute : "Je conduirai une équipe dont la colonne vertébrale sera naturellement Les Républicains." Renaud Muselier adresse aussi un message direct à Jean Castex. "Cette élection est régionale et ne peut en aucun cas, comme certains le souhaiteraient à Paris ou ailleurs, être l'occasion de préparer la présidentielle ou imaginer une quelconque recomposition politique. Ce n'est en rien mon combat." Après cette longue clarification, Christian Jacob annonce que Les Républicains soutiennent à nouveau le président sortant de la région. 

Ce n'est pas fini. Face à ce revirement, la majorité réagit. Mardi soir, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, martèle sur LCI qu'il y aura "bien sûr" des candidats LaREM sur la liste Muselier en Paca. 

Mercredi 5 mai : première démission

Le tour que prennent les choses ne font pas les affaires des artisans du rapprochement entre Muselier et les macronistes. Un proche du président de région, Hubert Falco, maire de Toulon et tombeur emblématique de l'ancien FN dans cette commune, annonce son départ de LR.

"Condamner sans équivoque tout soutien dans une région politiquement aussi sensible que la région Paca est irresponsable !", dénonce celui qui a décidé de reprendre sa "liberté". Pour ce proche d'Edouard Philippe, "ne pas être favorable à l'union alors que la menace de l'arrivée au pouvoir du Rassemblement National n'a jamais été aussi forte, revient à faire son jeu".

Pendant ce temps, Christian Jacob persiste : il n'y a pas de place pour Sophie Cluzel sur les listes LR en Paca. "Le sujet sur madame Cluzel est clair, elle n'a pas de place sur nos listes LR, cela a été tranché sans ambiguïté", assure le patron du parti.

Jeudi 6 mai : deuxième démission

Nouveau coup de tonnerre chez LR. Christian Estrosi, qui préparait sa sortie depuis le début de la semaine, finit par lâcher le morceau dans Le Figaro, jeudi après-midi. Il réaffirme son soutien à Renaud Muselier et fait pleuvoir les bombes sur les instances de son parti, qu'il quitte. 

"Ce qu'il s'est passé durant ces quatre derniers jours est d'abord la démonstration de la dérive d'une faction qui semble avoir pris en otage la direction du parti", dénonce-t-il. Exigeant "une clarification" des Républicains à l'égard du RN, il quitte son parti pour reprendre sa "totale liberté de parole". Christian Estrosi parle même de "reconstituer une grande formation politique moderne pour rassembler les gens de droite et du centre autour d'un vrai projet."

"Il veut se rendre utile à Emmanuel Macron et au dessein de ce dernier en vue de la préparation de sa campagne en 2022", persifle un cadre LR auprès de LCI. "Nous le savons tous : Christian Estrosi rêve de redevenir ministre." "Je regrette toujours les départs, mais cette décision a le mérite de la cohérence", réagit de son côté Christian Jacob.

Vendredi 7 mai : Sophie Cluzel à nouveau candidate

Énième rebondissement ce vendredi. Sur France Info, Sophie Cluzel annonce qu'elle est bel et bien "candidate", et que "la majorité présidentielle sera représentée au premier tour" en région Paca. Jugeant que l'accord conclu avec Renaud Muselier n'est plus respecté, elle repartira donc en campagne.

"La 're-candidature' de Sophie Cluzel, après une semaine de feuilleton interminable, est une logique étroite d’appareil politique !" lui répond Renaud Muselier sur Twitter. "Je reste fidèle à ma logique du rassemblement, avec des personnalités 100% engagées pour notre région."

Explication de texte d'un cadre LaREM auprès du service politique TF1/LCI : Sophie Cluzel "laisse la porte ouverte" et veut "laisser [les soutiens de Muselier] démêler les nœuds dans leur tête". Plusieurs députés LaREM sont très en colère après les déclarations de Sophie Cluzel. "On ajoute de l'amateurisme à une situation déjà complexe", tonne l'un auprès de LCI. "Elle n’annonce pas de liste, elle dit et répète que la majorité présidentielle sera présente au premier tour. Comprenne qui peut." "Je suis effondré par ces nouvelles déclarations", fustige un autre. "J’étais favorable à une liste avec Muselier, mais on s’y prend tellement mal..."

L'entourage de Renaud Muselier, lui, s'interroge. "Soit ils essayent de nous mettre un coup de pression et Emmanuel Macron bluffe, soit il a activé son plan B", explique-t-on à LCI.

Le psychodrame est loin d'être terminé. Un membre du premier cercle macroniste explique à LCI que la liste annoncée par Sophie Cluzel pourrait... Ne pas survivre aux prochaines 48 heures. 


Vincent Michelon et le service politique TF1/LCI

Tout
TF1 Info