Exiger un casier judiciaire vierge pour tous les élus, est-ce vraiment applicable ?

Publié le 14 août 2020 à 17h24, mis à jour le 17 août 2020 à 9h52
Mettre en place une telle mesure supposerait une réforme constitutionnelle.
Mettre en place une telle mesure supposerait une réforme constitutionnelle. - Source : Illustration OceanProd via iStock

À LA LOUPE – Des partis de tous bords ont tenté ou souhaitent encore empêcher des personnes ayant un casier judiciaire de se présenter à des élections. Une mesure qui s'avère pour autant compliquée à mettre en place, et que certains jugent plus démagogique que pertinente.

Dans le débat public, certaines propositions reviennent à intervalles réguliers. C'est le cas pour celle qui consiste à exiger des élus un casier judiciaire vierge. Défendue par des partisans d'une forme de "moralisation" de la vie politique, elle serait censée assurer aux citoyens une forme d'exemplarité de leurs représentants. 

Cette proposition n'est pas forcément teintée politiquement, puisque des partis de sensibilités différentes ont pu la défendre successivement. Ces derniers jours, c'est Nicolas Dupont-Aignan et son parti Debout la France qui ont remis le sujet sur la table, afin d'en "finir avec la corruption" et de "rétablir la confiance dans notre pays". Il s'agit d'une mesure "de bon sens" aux yeux du député, mais elle se révèle dans les faits bien plus difficile à mettre en application qu'il n'y paraît. 

Macron s'y est cassé les dents

Partisan d'une telle mesure depuis plusieurs années, Nicolas Dupont-Aignan n'est pas le seul à plaider pour sa mise en place. Emmanuel Macron lui-même l'avait inscrite en 2017 dans son programme pour la présidentielle. Une fois au pouvoir, l'ancien ministre avait pourtant fini par renoncer, craignant que le Conseil constitutionnel ne s'y oppose.

"Il faut savoir que l'inéligibilité est une peine accessoire accompagnant une peine principale et qui prive le condamné de se présenter à un mandat électif pendant un délai déterminé. Cette peine n'est pas automatique, et ne peut être décidée que par un juge", soulignait à l'époque le juriste Benoît Le Dévédec auprès du HuffPost.

En conséquence, "une loi ne pourrait alors ajouter indirectement cette peine complémentaire à des décisions de justice de manière automatique". Il est néanmoins possible de faire d'un casier judiciaire vierge une condition préalable à la candidature à un mandat, mais "il est très rare que la loi interdise purement et simplement d'exercer une profession sous prétexte que le casier judiciaire n'est pas vierge", ajoutait Benoît Le Dévédec. Un autre problème se présente également : "Exercer un mandat électif n'est pas une profession, et les élus n'ont pas d'employeur, sinon les électeurs."

Dans le droit pénal français, il faut par ailleurs souligner que les peines ne sont pas "éternelles", comme le soulignent l'initiateur du Projet Arcadie, plateforme de cartographie et de centralisation des informations concernant les députés et les sénateurs français. "Priver à vie une personne de la possibilité d'avoir un mandat (même celui de simple conseiller municipal à Trifouillis les 3 églises, 479 âmes) irait un peu à l'encontre de nos grands principes", résument-ils. Conscient du risque d'inconstitutionnalité du texte, le gouvernement d'Edouard Philippe avait alors renoncé à introduire la mesure sans son projet de loi.

Possible, mais vraiment utile ?

Dans l'absolu, imposer un casier judiciaire vierge pour devenir élu serait possible, mais une telle mesure supposerait l'adoption d'une réforme constitutionnelle. Un porte-parole de Debout la France explique que son parti en est conscient, et qu'il appelle de ses vœux "un référendum constitutionnel", une démarche bien plus lourde et complexe que l'adoption d'une loi plus "traditionnelle". 

Se pose néanmoins la question de l'intérêt final d'une telle mesure, puisque les élus accèdent à leurs fonctions par la voie du suffrage universel. Rien n'empêche ainsi les électeurs de voter pour des candidats qui n'auraient jamais eu à faire face à une condamnation. "A l'heure de la libre information via les réseaux sociaux et autres médias en ligne, nul ne peut aujourd'hui affirmer qu'il ne savait pas que le candidat pour qui il a voté avait eu une condamnation pénale", estime le juriste Benoît Le Dévédec.

Plutôt que d'opter pour l'obligation d'avoir un casier vierge aux élus, le gouvernement a décidé en 2017 de changer son fusil d'épaule. Comme le notait L'Express, "les députés ont choisi d'accorder au juge la possibilité de prononcer une peine complémentaire d'inéligibilité" lors d'une condamnation, d'une durée qui peut varier selon l'appréciation des magistrats. "Pour donner des gages supplémentaires, l'exécutif a élargi le champ d'application de cette sanction, initialement cantonnée aux crimes et aux atteintes à la probité et à la confiance publique", ajoutait l'hebdomadaire. C'est ainsi qu'en mars dernier, les époux Balkany ont été condamnés en appel à trois ans de prison ferme et dix ans d'inéligibilité pour fraude fiscale.

Si la loi ne permet actuellement pas d'imposer un casier judiciaire vide aux élus, force est de constater que des dispositifs permettent d'ores et déjà d'empêcher des personnes condamnées de prétendre à ces mandats électifs. Si une telle mesure devait être entérinée, il faudrait en passer par une révision constitutionnelle, ce qu'aucun gouvernement n'a jusqu'à présent souhaité mettre en œuvre.

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Thomas DESZPOT

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