Fraude fiscale : quel est ce "verrou de Bercy" qui divise la majorité REM et a provoqué la pagaille à l'Assemblée ?

Publié le 26 juillet 2017 à 18h02
Fraude fiscale : quel est ce "verrou de Bercy" qui divise la majorité REM et a provoqué la pagaille à l'Assemblée ?

DÉCRYPTAGE - Les députés de l'opposition ont tenté de faire adopter par amendement, mardi, la suppression du "verrou de Bercy" en matière de fraude fiscale. Dans la majorité, certains députés REM et MoDem ont soutenu la proposition, en vain. De quoi s'agit-il ?

C'est le sujet qui a mis le feu à l'Assemblée nationale mardi après-midi, provoquant échanges houleux et interruptions de séances. Les députés de plusieurs groupes politiques d'opposition ont déposé des amendements à la loi de "confiance dans la vie démocratique" visant à supprimer le "verrou de Bercy" en matière fiscale. 

Le Sénat avait déjà adopté le principe d'un déverrouillage "partiel" du dispositif fiscal, mais la majorité REM à la commission des lois de l'Assemblée a annulé cette tentative. Plusieurs amendements identiques ont donc été déposés successivement mercredi par les députés de six groupes, des Insoumis aux Républicains et UDI "constructifs". Ils ont été repoussés à seulement vingt voix d'écart, avec un fait nouveau : une brèche dans la majorité présidentielle, 12 députés REM s'étant abstenus, 12 autres ainsi que 30 députés MoDem ayant voté pour cette mesure contre l'avis du gouvernement. Pour se donner du temps, la présidente REM et la commission des lois et le président LR de la commission des finances, Eric Woerth, ont finalement annoncé la création d'une mission d'information parlementaire sur le sujet. 

De quoi parle-t-on ?

Le principe du "verrou de Bercy" (article L228 du Livre des procédures fiscales) consiste à donner à l'administration fiscale le monopole des poursuites pénales en matière fiscale. Il s'agit donc d'une dérogation importante au droit commun et au principe de séparation des pouvoirs, spécifique à la fraude fiscale, passible selon l'article 1741 du code général des impôts, outre les sanctions fiscales, d'une amende de 500.000 euros et de cinq ans d'emprisonnement. 

Conséquence concrète : un agent du fisc constatant un cas de fraude devra en référer à sa hiérarchie, avant de pouvoir saisir la justice. C'est au ministère public d'apprécier la nécessité de poursuites éventuelles et de permettre la saisie du parquet. Le 21 juillet 2016, le "verrou" a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, saisi par un particulier qui invoquait un dispositif "contraire au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et au principe de séparation des pouvoirs". Parmi les juges ayant participé à cette délibération figurait Nicole Belloubet, aujourd'hui ministre de la Justice, et hostile à la remise en cause du "verrou".

Quels arguments plaident en sa faveur ?

Mercredi matin, le président de l'Assemblée nationale François de Rugy a rappelé l'un des principaux arguments qui ont justifié le maintien de cette spécificité du droit, tout en reconnaissant qu'il peut y avoir débat. "La tradition française, c'est la recherche de l'efficacité pure et dure, avec un contrôle fiscal qui peut déboucher sur des amendes très élevées". 

Le pouvoir discrétionnaire de l'administration fiscale serait synonyme d'une forme de pragmatisme, mis en oeuvre par exemple depuis plusieurs années pour rapatrier la fortune des exilés fiscaux sur le territoire français. En 2016, près de 19.5 milliards d'euros de redressements fiscaux ont été enregistrés, un bilan malgré tout en baisse par rapport au record de 2015.

La suppression du "verrou" ne figurait pas dans le programme d'Emmanuel Macron, qui s'est contenté, en matière de fraude fiscale, de promettre "un alourdissement des sanctions".

Pourquoi est-il dénoncé ?

Le principal argument des détracteurs du "verrou de Bercy", "anomalie judiciaire" selon l'ex-magistrate et députée MoDem Laurence Vichnievsky, consiste à dénoncer, à travers le pouvoir discrétionnaire de Bercy, une inégalité grave de traitement des contribuables face à l'impôt. Pour les députés Insoumis et communistes, il permet à des sociétés multinationales de "négocier" leur situation avec l'administration, contrairement à "un artisan ou un commerçant". 

Dans un rapport sur la fraude fiscale rendu en 2013, la Cour des comptes estimait, dans ce sens, que "la politique de répression pénale des services fiscaux était ciblée sur des fraudes faciles à sanctionner et non sur les plus répréhensibles" :

Rapport de la Cour des comptes, 2013
Rapport de la Cour des comptes, 2013 - Cour des comptes

L'autre argument est celui de l'efficacité. La Cour des comptes estimait, dans le même rapport, que le "verrou" de l'administration fiscale était "préjudiciable à l'efficacité de la lutte contre la fraude", et, jugeant le nombre de poursuites trop "faible", recommandait "d'ouvrir aux parquets le droit de poursuivre certaines fraudes complexes". 

Enfin, les députés ont pointé un problème de morale, à l'heure même où ils sont saisis d'un texte sur la moralisation de la vie publique. "Faisons en sorte que cette loi ne soit pas entachée par votre manque de courage", a lancé le député UDI Philippe Vigier à la majorité. Pour l'heure, avec la création d'une mission parlementaire, le débat est renvoyé aux calendes grecques. 


Vincent MICHELON

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