Fraudes à la Sécu de personnes nées à l'étranger : 14 milliards d'euros, un montant fantaisiste

Publié le 12 août 2020 à 13h35
Fraudes à la Sécu de personnes nées à l'étranger : 14 milliards d'euros, un montant fantaisiste
Source : DENIS CHARLET / AFP

À LA LOUPE – S'appuyant sur les estimations d'un ancien magistrat, le député de Debout la France Nicolas Dupont-Aignan a relayé à plusieurs reprises des chiffres sur la fraude aux "faux numéros de Sécu". Des estimations contredites par un rapport parlementaire publié l'an passé.

Même en période estivale, Nicolas Dupont-Aignan conserve certains de ses chevaux de bataille. Le député et président de Debout la France a dénoncé via sa page Facebook des fraudes présumées aux prestations sociales, qui coûteraient 14 milliards d'euros au contribuable. Il cite notamment le chiffre de "1,8 million de faux numéros de Sécu", et reprend en ce qui concerne le coût global de ces fraudes les estimations réalisées par "le magistrat Charles Prats".

Depuis janvier 2019, Nicolas Dupont-Aignan a pointé du doigt à plusieurs reprises ces fraudes, dont l'origine provient de numéros de Sécurité sociale attribués sur la base de faux documents administratifs à des personnes nées à l’étranger. Si la question a d'abord agité la classe politique, un rapport d'information sénatorial a éclairci la situation et remis en cause ce montant de 14 milliards brandi par le patron de Debout la France. 

Une estimation hasardeuse

La somme évoquée par Nicolas Dupont-Aignan a été avancée à l'origine par Charles Prats, ancien magistrat de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du Budget. Ce dernier, rappelle Libération, "affirme, sur la base de contrôles réalisés en 2011 (auxquels il avait participé), que 10,4% des numéros de Sécu attribués à des personnes nées à l’étranger l’avaient été sur le fondement de faux". Dès lors, en extrapolant à partir de l’échantillon, il mettait en avant "un enjeu potentiel de près de 14 milliards d’euros de dépenses sociales (RSA, allocations, assurance maladie, etc.) au profit des fraudeurs si ceux-ci passent tous effectivement au guichet".

Charles Prats est parti du principe que "ce taux de 10,4%" pouvait être "extrapolé à la totalité des numéros enregistrés", résume Libé, ce que la Caisse nationale d'assurance vieillesse a formellement contesté. Cette dernière a en substance expliqué que les contrôles effectués permettaient de mettre en lumière des irrégularités concernant des documents, mais que celles-ci n'étaient pas nécessairement synonymes de fraudes. Et de citer "une photocopie peu lisible, un document de naissance strié", comme des exemples de documents jugés irréguliers.

Par ailleurs, ces calculs spéculatifs s'appuyaient sur une enquête déjà ancienne, puisque les données recueillies dataient de près de dix ans. Marine Le Pen, qui s'était emparée du sujet à l'instar de Nicolas Dupont-Aignan, réclamait en décembre 2018 qu'une commission d'enquête parlementaire soit diligentée pour y voir plus clair. Le Sénat s'est finalement penché sur la question. 

200 à 800 millions d'euros en réalité

"La question de la fraude à l'immatriculation à la Sécurité sociale des personnes nées à l'étranger a surgi dans le débat public il y a quelques mois", écrivait au printemps dernier le Sénat, "certaines tribunes de presse en chiffrant à 14 milliards d'euros le préjudice pour les finances sociales. Le gouvernement, pour sa part, a toujours récusé ces estimations, parlant d'une fraude mineure."

Dès lors, "au vu du très grand écart entre ces évaluations et des enjeux potentiels en termes de finances publiques et de justice sociale, la commission des affaires sociales a chargé son rapporteur général de faire au plus vite la clarté sur ce sujet". Comment ? Par un rapport d'information d'information chapeauté par Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur du Pas-de-Calais. Un travail remis le 5 juin 2019 et qui offre une évaluation bien différente de ces fraudes, sur la base d'enquêtes réalisées auprès de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), du service administratif national d'immatriculation des assurés (Sandia), ainsi que de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), en charge de la gestion de l'immatriculation à la Sécurité sociale des personnes nées à l'étranger. 

Cette remise à plat a permis au rapporteur de dresser un constat rassurant. "Mon rapport se limite à l’impact de la fraude documentaire lors de l’inscription à la Sécurité sociale des personnes nées hors de France", a indiqué Jean-Marie Vanlerenberghe. "Les sommes évoquées pour ce seul type de fraude étaient tout de même énormes : 14 milliards d’euros. Or cette fraude coûterait a priori entre 200 et 800 millions d’euros."

Une fourchette large que le sénateur précise lors de la présentation de son travail en commission. "Les 800 millions d’euros sont un maximum ; a priori, nous sommes plutôt entre 200 et 300 millions d’euros." Pour autant, cette somme reste "un montant très élevé", si bien que des recommandations ont été effectuées pour tenter de le réduire. Soin apporté à la qualité des documents, échanges facilités entre institutions, contrôles améliorés, les pistes sont multiples.

Ce rapport sénatorial, qui présente en détail la manière dont a procédé la commission, a été rendu publique voilà un peu plus d'un an. Jean-Marie Vanlerenberghe, quand il a présenté la synthèse de son travail, a dénoncé une "estimation régulièrement reprise dans le débat public notamment par certaines formations d'extrême droite qui se complaisent à la citer pour stigmatiser 'l'étranger qui mange notre pain'". 

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Thomas DESZPOT

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