Ils ne se représenteront pas en 2020 : deux maires nous expliquent pourquoi ils jettent l'éponge

Publié le 15 novembre 2018 à 17h53
Ils ne se représenteront pas en 2020 : deux maires nous expliquent pourquoi ils jettent l'éponge
Source : JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

ILS RENONCENT - Manque de moyens, relations difficiles avec l'Etat et leurs administrés... : un maire sur deux ne se représentera pas en 2020. Deux élus de communes rurales de l'Eure nous ont expliqué pourquoi.

Selon une étude réalisée par le Cevipof et l'Association des maires de France rendue publique ce jeudi 15 novembre, un maire sur deux envisage de ne pas se représenter en 2020. La première raison avancée est la volonté de se concentrer sur sa vie personnelle et familiale (70,8%), quels que soient l'âge, la situation matrimoniale de l'édile ou la taille de la commune. Des élus l'expliquent à 52,5% par le sentiment d'avoir rempli leur devoir civique, particulièrement dans les communes de moins de 5.000 habitants. A 36,7%, ils citent les "difficultés à satisfaire les demandes" de leurs administrés. Ils sont 33,9% à estimer ne plus ou pas avoir les moyens financiers de leurs actions. 

Les deux maires que LCI a interrogé invoquent les mêmes raisons. Après deux mandats, Nicole Normand, maire de Le Troncq, commune de 176 habitants, et Alain Hébert, maire de Sainte-Colombe-La-Commanderie, un peu plus de 820 habitants, souhaitent passer le relais.

LCI : Pour quelle(s) raison(s) ne souhaitez-vous pas vous représenter en 2020 ?

Alain Hébert : "Je pense avoir apporté à la commune tout ce que je pouvais apporter. J’ai œuvré à l'installation d'un médecin et d'infirmiers, à la création d'un jardin public, à l'amélioration de l’accessibilité de la commune aux handicapés, à la restauration des monuments communaux et religieux. Mais de plus en plus j'ai l’impression que l’Etat, le département et la communauté de communes se désengagent. Nous, petits maires de la ruralité sommes le premier échelon, l’échelon de proximité. Donc nous prenons le mécontentement des habitants en pleine face. Et lorsque nous demandons une aide technique ou spécifique, les collectivités qui sont au-dessus de nous et ont des moyens supérieurs nous font comprendre que nous les embêtons. On laisse au maire rural les ennuis que personne ne veut."

Nicole Normand : "La raison première c'est mon âge : j’ai aujourd’hui 75 ans et un troisième mandat me pousserait à m'engager jusqu'à 83 ans. Mais l'autre contrainte est que nous avons de moins en moins de dotations, et donc que nous ne pouvons plus faire de travaux dans le village. Cela fait deux ans que je ne fais plus de gros travaux. Nous manquons de fonctionnement mais je refuse d'augmenter sans arrêt les impôts. En fait nous n'avons plus que les embêtements, j'ai parfois l'impression de passer mon temps à résoudre les problèmes de chiens qui s'évadent ou qui aboient."

Je souhaite bon courage à ceux qui se présenteront en 2020."
Alain Hébert

LCI : Vous avez l'impression d'être de moins en moins utiles, de ne plus pouvoir agir autant qu'auparavant notamment par manque d'argent ?

Alain Hébert : "Effectivement, nous avons de moins en moins de dotations de l'Etat. Mais on nous oblige à dépenser de plus en plus. L’Etat encaisse toujours des sommes astronomiques mais se désengage. J’ai l’impression que même la petite communauté de communes à laquelle j'appartiens commence à nous rétrocéder des compétences que nous leur avions données. De notre côté, nous avons beau essayer de restreindre nos budgets et de faire attention, nous n’avons plus d’argent. Or il faut bien entretenir les églises et les écoles. Si j’avais eu en face de moi des services de l’Etat et des services départementaux plus compréhensifs, plus aidants, je serais peut-être reparti pour un troisième mandat. Cela me paraissait possible. Mais comme je suis entier et pleinement investi dans mon village, je vois que c’est de plus en plus difficile. Je souhaite bon courage à ceux qui se présenteront en 2020. Je sens que les maires vont s’essouffler, se fatiguer, et que l’avenir des petites communes jusqu’à un millier d’habitants, va être difficile."

Nicole Normand : "Je m’aperçois que nous ne pouvons plus rien faire. Lors de mon premier mandat, j’ai par exemple pu faire des enfouissements de réseaux. J’ai un château dans la commune, tout le tour a été fait en enfouissement de réseau, ce qui est plus propre. J’aurais voulu faire pareil près de la mairie mais je ne peux pas, je n'ai pas l’argent pour le faire. La baisse des dotations fait également que nous ne pouvons plus prendre d'artisans pour faire des travaux. Nous n’avons pas non plus de personnel d’entretien. Je fais appel à un extérieur pour la taille et la tonte, mais pour le reste je dois me débrouiller, pleurer pour que quelqu'un me fasse des petits travaux bénévolement."

J'aspire maintenant à une vie personnelle plus reposante, sans contraintes."
Nicole Normand

LCI : L'étude du Cevipof et de l'AMF explique également que les rapports entre les maires et leurs administrés ont changé, se sont tendus. Vous le constatez ?

Alain Hébert : "C'est incontestable. Les rapports sont de plus en plus durs, de moins en moins compréhensifs. Certains font tout pour nous titiller, nous critiquer. Je constate régulièrement que je me fais dézinguer sur Facebook. Il y a peu de temps, je suis allé dire à une mère de famille mal garée de faire attention et d'utiliser les places de parking. Elle m’a littéralement envoyé ch.... Voilà comment on parle aux maires aujourd'hui."

Nicole Normand : "Dans les petites communes rurales, nous avons de plus en plus de jeunes qui viennent s'installer. Les personnes âgées s’en vont en ville parce qu’ils n’ont pas de véhicules et qu'il n’y a pas de transports pour leur permettre de se déplacer. Mais ces populations plus jeunes sont exigeantes, notamment sur les questions d'accès à internet et les transports scolaires. Et puis même si ce n'est pas le coté le plus désagréable de la fonction, on nous appelle souvent pour le moindre soucis, parfois le week-end ou en pleine nuit. J'accepte, c'est le rôle du maire. Mais j'aspire maintenant à une vie personnelle plus reposante, sans contraintes."


Justine FAURE

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