GAUCHE-DROITE - Leurs affrontements sont restés célèbres lors des débats d'entre-deux tours des présidentielles de 1974 et de 1981. Entre Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, "les rapports n'étaient pas simples", se souvient Jack Lang. Mais bien qu'adversaires sur les idées, ils éprouvaient une "estime" réciproque selon Frédéric Mitterrand.
Elle figure en bonne place dans les archives de la vie politique. Le 10 mai 1974, lors du débat de l'entre-deux tours de la présidentielle, Giscard interrompt son adversaire de la gauche avec cette phrase : "Vous n'avez pas le monopole du cœur, monsieur Mitterrand, vous ne l'avez pas". Une formule qui marque les esprits.
Plus de quarante après, elle est d'ailleurs toujours aussi célèbre, tout comme la réplique de Mitterrand à Valéry Giscard d'Estaing, le président sortant, lancé sept ans plus tard : "On m'a dit que vous étiez l'homme du passé et vous êtes l'homme du passif".
"De deux univers différents mais du même monde" selon Frédéric Mitterrand
Invité politique de LCI ce jeudi 3 décembre, Frédéric Mitterrand se dit très sensible à la confiance que l'ancien président de la République lui témoignait : "C'est quelque chose qui s'est construit assez lentement" raconte-t-il. "Un Mitterrand a priori, pour Giscard n'était pas un avantage et en vérité ça s'est retourné, j'étais presque devenu son chouchou. Son Mitterrand préféré. Mais sa relation avec François Mitterand était, en vérité, profonde."
L'ancien ministre de la Culture explique que Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand "appartenaient à deux conceptions philosophiques très différentes de la politique voire adverses" : "Jusqu'au bout, Giscard était l'adversaire politique des idées de François Mitterrand" assure-t-il. Cependant, ajoute-il, Valéry Giscard d'Estaing "se considérait dans la même catégorie que lui". Entre eux, "il y avait plus que du respect, il y avait de l'estime" précise-t-il. "Une estime qui était constituée par la manière dont ils exerçaient la fonction présidentielle." Rien à voir avec la relation entre François Mitterand et Jacques Chirac, selon lui : "On savait bien que les deux hommes ne s'aimaient pas, ont fini par se haïr" rappelle-t-il.
Par ailleurs, Valéry Giscard d'Estaing "était sensible aux marques de respect que François Mitterrand témoignait à un ancien président de la République", affirme Frédéric Mitterrand, "à tel point que lors de l'inauguration du Musée d'Orsay, en 1986, initié par Valéry Giscard d'Estaing dans le domaine culturel, ils l'ont inauguré ensemble. Il y avait une forme de connivence, ils étaient de deux univers différents mais du même monde".
Frédéric Mitterrand note aussi que la culture reliait les deux hommes, "la littérature surtout", assure-t-il. "Giscard d'Estaing en avait une vision peut-être plus classique, qui s'arrêtait aux grands romanciers des années 30 (...) tandis que François Mitterrand, c'était peut-être plus étendu. Mais c'était aussi profond chez l'un que chez l'autre."
"Pas d'atomes crochus" selon Jack Lang
"Il fut en effet un adversaire de la gauche et la gauche l'a combattu avec vigueur", se souvient de son côté Jack Lang, ministre de la Culture puis de l'Éducation nationale sous Mitterrand. "Les rapports entre les deux hommes n'étaient pas simples. Ils n'avaient pas d'atomes crochus pour parler de manière simpliste", poursuit-il sur LCI.
Pour Jack Lang, les deux hommes n'avaient pas grand-chose en commun. "François Mitterrand respectait les engagements européens de Giscard. En même temps, il le trouvait un peu étrange, un peu particulier. Et je pense que Giscard d'Estaing avait, à l'inverse, une sorte de mépris pour un personnage qui venait de la quatrième République, et qui l'avait à plusieurs reprises moqué", raconte encore l'ancien ministre soulignant qu'"avec le temps, les choses s'étaient un peu transformées". "Finalement, je crois que les deux hommes se sont mieux connus, ou mieux respectés, ou mieux compris", ajoute-t-il.
Jack Lang se remémore des souvenirs contrastés de Valéry Giscard d'Estaing, mais se garderait bien de résumer la vie "d'un homme d'État de cette envergure" à ces chicaneries. Car si l'on doit retenir quelque chose de son œuvre, c'est avant tout "sa passion européenne", dit-il, qui "mérite d'être saluée". "C'est lui par exemple qui a instauré l'élection au suffrage universel du Parlement européen. C'est lui qui a ouvert la voie à l'Euro en mettant en place le système monétaire européen. Il était aussi très réservé sur le Traité d'Amsterdam qui était un traité de retrait", détaille-t-il.
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Jack Lang est aussi revenu sur les avancées démocratiques accomplies par Valéry Giscard d'Estaing au début de son septennat. "Le droit de vote à 18 ans, l'IVG, et d'autres changements importants", souligne-t-il. En revanche, il se montre moins prolixe sur la seconde partie de son septennat. "Elle fut marquée parfois par une méthode de gouvernement qui suscitait la réaction populaire, et du coup le mouvement que François Mitterrand avait organisé autour de lui a été d'une certaine manière facilité par cette attitude un peu hautaine de l'ancien président", se rappelle-t-il même s'il préfère garder l'image de l'homme "des grandes avancées vers les libertés".