Perquisitions au siège de la France insoumise : l'opération était-elle abusive ou non ?

par Antoine RONDEL
Publié le 18 octobre 2018 à 6h25, mis à jour le 18 octobre 2018 à 6h41
Perquisitions au siège de la France insoumise : l'opération était-elle abusive ou non ?

RETOUR SUR PROCÉDURE - Jean-Luc Mélenchon et ses proches ne décolèrent pas devant "l'opération politique" qu'ils jugent avoir subie, mardi 16 octobre, notamment au siège du mouvement, quand d'autres estiment que le leader de LFI est allé trop loin. Qu'en est-il exactement ?

Jusqu'où va l'insoumission de Jean-Luc Mélenchon ? Depuis le mardi 16 octobre, militants, sympathisants et dirigeants de la France insoumise s'indignent d'une seule voix contre la manière faite au mouvement et à leur cofondateur. Selon le député des Bouches-du-Rhône et ses alliés, la douzaine d'opérations ordonnées, notamment à son domicile et au siège de la France insoumise, ont tout de "l'acte politique", diligenté par le gouvernement. 

Voilà pour l'accusation globale, assortie de multiples reproches quant au non-respect de la procédure pénale. Des accusations qui interviennent alors que la France insoumise fait l'objet de deux enquêtes, l'une sur le financement de la dernière campagne présidentielle, l'autre sur des soupçons d'emplois fictifs sur ses assistants parlementaires au Parlement européen.

Une "opération de déstabilisation politique" ?

Le principal reproche formulé par la France insoumise vient du fait que, ces affaires en étant au stade de l'enquête préliminaire, c'est le parquet, dépendant du ministère de la Justice, qui a requis la perquisition - contrairement aux perquisitions des sièges du FN et du Modem dans les mêmes affaires, qui s'étaient faites dans le cadre d'une instruction judiciaire. "Cela atteste qu'il s'agit d'une opération de déstabilisation politique", assure le coordinateur du mouvement Manuel Bompard dans un message sur les comptes sociaux du mouvement. Sauf qu'en l'espèce, et le parquet l'a rappelé dans un message à la presse le lendemain des perquisitions, c'est un juge des libertés et des détentions, qui les a autorisées. Ce qui exclut l'idée d'une influence politique dans le traitement de l'affaire, explique une source judiciaire à LCI : "Ce juge est statutairement indépendant".

Avocat pénaliste, Me Frédéric Caulier confie à LCI "ne pas imaginer un seul instant que le parquet ou le juge d'instruction aient pris cette décision à la légère et sans revoir plusieurs fois leur plan d'action". Le fait que ce soit un juge de cet acabit qui soit à l'origine vient aussi contredire Jean-Luc Mélenchon quand il s'indigne de n'avoir pas été prévenu de la perquisition à venir : "Il peut l'effectuer en dépit de l'assentiment exprès des personnes concernées". De la même façon, perquisitionner le domicile d'un homme politique, fut-il président d'un groupe parlementaire d'opposition, ou le siège du mouvement auquel est affilié ce groupe, ne pose pas de problème, selon le code de procédure pénale.

Un "deux poids, deux mesures" en questions

Cela ne satisfera par les partisans des insoumis, qui jugent encore très durement le traitement judiciaire d'Alexandre Benalla, qui n'avait pas vu son domicile perquisitionné... faute d'avoir les clés. Ou l'absence d'enquête visant La République en Marche, elle aussi épinglée pour ses frais de campagne (à la différence près que la Commission des comptes de campagne avait estimé 

que les comptes de l'ancien candidat Macron ne comportaient pas "d'irrégularités"). Les cadres insoumis se sont plaints du nombre de policiers dépêchés - une centaine sur une douzaine de lieux - pour l'opération, qui était effectivement d'ampleur. "C'est à la police d'adapter ses effectifs en fonction de la taille des lieux et des difficultés qu'elle peut anticiper", poursuit notre source judiciaire, qui ne peut s'empêcher de constater que l'effectif prévu n'était pas démesuré au vu du désordre constaté une fois sur place.

Tout comme le fait que le leader de la France insoumise ait été empêché d'entrer dans les locaux : "Si le procureur ou le policier estiment qu'il y a un risque de déperdition des preuves, aucun problème pour ce blocage", précise Me Caulier. La présence du procureur repoussé par Jean-Luc Mélenchon n'obéit toutefois pas à une règle générale. Au contraire, c'est, nous dit-on, extrêmement rare et aurait tendance à montrer une certaine prévenance de la justice devant un dossier hautement explosif, et qu'on ne laisse pas être traité par les seuls policiers.

"Nous avons été traités comme une association de malfaiteurs, a pourtant pesté Alexis Corbière à l'Assemblée le 17 octobre. Des données personnelles, des photos de vacances, des fichiers. [...] Qui peut accepter qu'on saisisse des fichiers de sympathisants, de militants, hors de tout cadre légal ?" Une question à laquelle Laurence Blisson, du syndicat de la magistrature, a répondu avec prudence sur LCI : "Une perquisition, particulièrement dans un parti politique, c'est sensible. Néanmoins, il n'y a pas de zone en dehors du champ de la justice." Vient ensuite la question du procès-verbal, qui reste non tranchée à l'heure actuelle et dont la France insoumise se plaint de n'avoir pas eu copie. Si le procès-verbal est bien obligatoire, la transmission de sa copie ne l'est en revanche pas. 

Retour du débat sur l'indépendance du parquet

Malgré les protestations du gouvernement, et le fait que cette perquisition ne présente, selon cette même source, "aucun signe manifeste d'abus, d'acharnement ou d'agissements à des fins politiques", la question de l'indépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la Justice reste posée, juge Anne-Laure Maduraud, membre du Syndicat de la Magistrature. "Il suffit de voir comment se déroule le processus de choix du futur procureur de Paris", rappelle-t-elle, référence au fait que l'exécutif ait procédé à "des rencontres-entretiens" pour nommer Rémy Heitz en remplacement de François Molins.

Un "lien institutionnel" que la magistrate qualifie de "véritable poison qui fera toujours soupçonner, à tort ou à raison, que le parquet agit aux ordres du gouvernement". Et qui nécessite donc, sinon une rupture, au moins un débat, poursuit la coordinatrice de la Revue délibérée, qui rappelle d'ailleurs que la France insoumise milite justement pour que ce lien de subordination soit questionné. Cela sera-t-il suffisant pour cesser d'alimenter les soupçons ? "On observe que, même quand les enquêtes sont menées par des magistrats du siège, les accusations d'appartenance à un "cabinet noir", de servilité, continuent d'exister." Et cette fois, la dépendance du parquet n'aura rien à se reprocher.


Antoine RONDEL

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