Propos polémiques d'Emmanuel Macron : les (vrais) Gaulois étaient-ils si "réfractaires au changement" ?

Publié le 30 août 2018 à 12h49, mis à jour le 30 août 2018 à 12h59

Source : Sujet JT LCI

HISTOIRE - En ironisant mercredi sur les Gaulois "réfractaires au changement", Emmanuel Macron a colporté, comme d'autres avant lui, une image de l'ancien peuple empruntant davantage à la BD "Astérix et Obélix" qu'à la réalité historique. Ce que rappellent inlassablement les spécialistes du sujet.

Les bons vieux Gaulois contre le reste du monde. Au détour d'un discours tenu mercredi au Danemark, Emmanuel Macron s'est lancée dans une comparaison - sous forme de "trait d'humour", a-t-il assuré le lendemain - entre ses compatriotes et le peuple danois, "ce peuple luthérien qui a vécu les transformations de ces dernières années", tout le contraire de ces "Gaulois réfractaires au changement". 

On comprend qu'à travers le terme "gaulois", le chef de l'Etat parlait plutôt de la France et des Français d'aujourd'hui. Il avait déjà affirmé à plusieurs reprises, par le passé, que les habitants de l'Hexagone n'aimaient pas les réformes, ajoutant qu'ils préféraient les véritables "transformations". 

Objet politique

Malgré tout, c'est encore une image des Gaulois - les peuples qui ont occupé notre territoire, l'ancienne Gaule - qui est véhiculée dans le discours du chef de l'Etat. Un objet décidément très politique, réemployé maintes fois, de Napoléon III à Nicolas Sarkozy en passant par la IIIe République. D'où cette question légitime : ces Gaulois dont on parle tant étaient-ils si réfractaires au changement qu'on voudrait le faire croire ?  

Rien n'est moins sûr, à écouter ou à lire les spécialistes du sujet. Sénateur communiste mais aussi archéologue au CNRS, spécialiste d'histoire économique et sociale des Gaules romaines, Pierre Ouzoulias s'en confie à LCI. Pour le chercheur, les peuples de Gaule étaient tout le contraire d'une population renfermée sur elle-même et rétive aux changements. "Un peuple ouvert aux échanges internationaux, au Sud comme au Nord", assure-t-il, rappelant que les Gaulois n'ont pas attendu la conquête romaine pour créer, au deuxième siècle avant JC, une nouvelle monnaie leur permettant d'échanger avec l'Italie, "une sorte d'euro" avant l'heure. 

Une population qui, loin des clichés sur les chasseurs de sanglier repliés dans leur forêt, fondait volontiers des villes, avait développé les techniques d'agriculture les plus modernes et se montrait "très avancée sur le plan technologique", dépassant par exemple les Romains dans la construction des chars ou des armements. "En réalité, explique Pierre Ouzoulias, il s'agissait de deux peuples au même stade de civilisation mais avec des organisations politiques différentes."

Ouverture au monde

Bien avant la colonisation romaine, la Gaule était particulièrement sensible aux échanges économiques. En témoigne notamment l'intensité du commerce de vin, importé massivement au départ par les marchands grecs puis par les Romains. 

Grand spécialiste de la Gaule, Christian Goudineau, professeur honoraire au Collège de France décédé en mai 2018, avait lui aussi mis son énergie à battre en brèche l'idée d'une civilisation sclérosée. "Si la romanisation a marché, c'est parce que le monde gaulois y était prêt", avait-il insisté dans un entretien en 2015. "Il s'était déjà rapproché du monde méditerranéen, contrairement à ce qu'on nous raconte la plupart du temps. L'idée d'une Gaule farouche, résistante, sans lien avec les Romains qui surgiraient tout d'un coup avec à leur tête le vilain César, est totalement fausse."

Pour Pierre Ouzoulias, l'image des "Gaulois réfractaires" "renvoie plus à Astérix et Obélix qu'à une réalité historique". "Ce qui est triste, c'est que depuis trente ans, les archéologues ne soient parvenus à contrer ce discours politique malgré un énorme travail de médiation." Et comme le souligne l'archéologue, la fameuse bande dessinée de Goscinny et Uderzo racontait probablement moins la vie des Gaulois d'autrefois que celle d'une certaine France des années 1960-1970, confrontée aux premiers stigmates de la mondialisation.  


Vincent MICHELON

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