Remplacement de jours fériés chrétiens outre-mer : les intox du FN et de l'UMP

Publié le 23 février 2015 à 15h16
Remplacement de jours fériés chrétiens outre-mer : les intox du FN et de l'UMP

FACT-CHECKING – Du FN à l'UDI en passant par l'UMP, la droite est vent debout avec l'Eglise contre un amendement socialiste, voté la semaine dernière dans la loi Macron, qui permet aux territoires d'outre-mer de remplacer un certain nombre de jours fériés catholiques par d'autres. Metronews a soupesé leurs arguments.

Le jour férié de la Pentecôte remplacé par la fin du ramadan ? Réduit à ce genre de raccourci, le sujet a tout pour être explosif. L'UMP et le FN ne s'y sont pas trompés. Tous deux s'indignent en chœur avec les évêques depuis l'adoption, samedi dernier à l'Assemblée nationale, d'un amendement à la loi Macron donnant la possibilité aux territoires français d'outre-mer de remplacer un certain nombre de jours fériés correspondant à des fêtes catholiques par des "jours fériés locaux". Pour que chacun puisse se faire une idée, metronews passe au crible les arguments de ses opposants.

"Un délire laïcard"
C'est ainsi que l'amendement en question ( n°2992 ) a été qualifié dès mardi par la députée FN Marion Maréchal-Le Pen.

>> Les six députés d'outre-mer (5 PS et un divers gauche) à l'origine du texte relèvent bien, dans l'exposé expliquant leur démarche, "un paradoxe de fait dans une République laïque à donner ainsi dans le calendrier républicain un statut légal aux seules fêtes d'une religion". Mais partant de ce constat, ils ne proposent pas d'abolir les jours fériés pour motif religieux, mais justement de les adapter aux "spécificités culturelles, religieuses et historiques" des territoires d'outre-mer. Par exemple à Mayotte, on estime que 95% de la population est musulmane. A La Réunion, l'hindouisme est la deuxième pratique religieuse.

"A quand le jour de Noël ?"
Ainsi s'interroge, dans Le Parisien, Vincent Neymon, directeur de la communication de la Conférence des évêques de France. Un exemple également cité, dans le même journal, par le député UMP des Alpes-Maritimes Eric Ciotti  : "Noël est célébré aujourd’hui partout le monde, quelle que soit sa religion", relève-t-il pour illustrer le fait que la France soit "l'héritière dune civilisation judéo-chrétienne qui, au-delà d'une religion, a façonné une culture". Un héritage dont Marion Maréchal-Le Pen considère que l'amendement veut faire "totalement table rase".

>> Sur l'héritage chrétien et Noël, tout le monde est d'accord. Les auteurs de l'amendement relèvent ainsi, comme Eric Ciotti, que Noël est "largement sécularisé aujourd'hui". C'est pourquoi cette fête a été exclue de la liste précise des jours fériés dont ils proposent qu'ils puissent être remplacés (lundi de Pâques, Ascension, lundi de Pentecôte, Assomption et Toussaint). Simplement, relèvent-ils, "le fait et l"histoire religieux sont parfois de nature bien différente" en outre-mer qu'en métropole.

"On ne négocie pas avec la République"
La formule est d'Eric Ciotti, qui dénonce un amendement rompant "avec le principe fondamental d'unité de la République". Et d'asséner : "L'histoire de la France est une et indivisible".

>> Si la République est une, son histoire diverse donne déjà lieu, à l'heure actuelle, à des spécificités locales. L'exemple le plus connu étant celui du Concordat toujours en vigueur en Alsace-Moselle. Un droit local "fruit d'une histoire commune", explique l'administration . Ainsi, les départements de Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin disposent d'une liste à part de jours fériés , incluant le 26 décembre et le Vendredi saint. Outre-mer, le droit actuel prévoit également certaines dérogations au droit général. Par exemple, une loi du 30 juin 1983 y accorde une journée fériée pour célébrer "la commémoration de l'abolition de l'esclavage". A La Réunion, c'est le 20 décembre, jour travaillé en métropole. Enfin, l'amendement prévoit que la décision de remplacer ou non un jour férié catholique par un autre reviendra, après discussion avec la société civile, aux préfets de Région. C'est-à-dire aux représentants de l'Etat.

Une proposition "anticonstitutionnelle"
Le mot est cette fois de Jean-Christophe Lagarde , président de l'UDI, lors d'un déplacement à La Réunion. Et Eric Ciotti de promettre, si le Sénat ne supprime pas l'article, un recours de l'UMP devant le Conseil constitutionnel.

>> La Constitution, dans l'alinéa 1 de son article 73 , prévoit bien que "dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit" mais qu'"ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités". "La base juridique me paraît suffisante pour que cet article ne pose pas de problème constitutionnel", analyse le constitutionnaliste Didier Maus pour metronews.

"Rien à voir" avec la loi Macron
Eric Ciotti accuse l’article 83 d'être un "cavalier législatif", c'est-à-dire de n'avoir rien à voir avec le projet de loi initial. Ce qui, sur la forme, pourrait également justifier un recours devant le Conseil constitutionnel.

>> Sur ce point, le député UMP rejoint une préoccupation du ministre de l'Economie lui-même, qui a relevé lors de la présentation de l'amendement à l'Assemblée que son "lien avec la croissance de l'emploi" était "très indirect", soulevant un "risque constitutionnel". Là encore, Didier Maus est sceptique. "Les jours fériés sont du domaine du Code du travail", nous rappelle le constitutionnaliste. Or le chapitre III de la loi Macron, intitulé "Travailler", est bien une succession d'articles modifiant ce Code du travail, notamment pour les dimanches. Quant au lien avec l'emploi, les auteurs de l'amendement plaident que cette disposition serait un instrument favorisant "l’intégration économique des départements d'outre-mer dans leur zone géographique", notamment "en renforçant l'attrait touristique". Un argument qui rappelle celui utilisé pour le travail du dimanche... par le ministre de l'Economie.

Les territoires d'outre-mer "n'ont jamais eu cette revendication"
Dernier argument développé par Eric Ciotti : "Ces îles sont dans la République depuis des siècles et elles n'ont jamais eu cette revendication."

>> Le simple fait que six députés, représentant La Réunion, la Guadeloupe et Mayotte, aient déposé cet amendement, est en soi une réfutation de ce que dit le député UMP. "L'idée de créer de nouveaux jours fériés a été lancée dans les années 1970 à la Réunion", assure l'une d'entre eux, Ericka Bareigts, dans Le Parisien. Et c'est bien parce que cette question se pose à la société française au-delà de l'outre-mer que le rapport de la commission Stasi , chargée en 2003 par Jacques Chirac de réfléchir à l'application du principe de laïcité, l'avait abordée. Constatant que "le paysage spirituel français a changé en un siècle", celui-ci considérait que "la République s’honorerait donc en reconnaissant les jours les plus sacrés des deux autres grandes religions monothéistes présentes en France", proposant spécifiquement "Kippour et l’Aïd-El-Kebir".

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La rédaction de TF1info

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