Rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires : utile ou inutile ?

Publié le 7 juillet 2017 à 12h34, mis à jour le 7 juillet 2017 à 12h50
Rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires : utile ou inutile ?

RÉGIME SEC - En annonçant le rétablissement en 2018 du jour de carence pour les fonctionnaires, le gouvernement renoue avec une mesure prise par Nicolas Sarkozy en 2012 (puis annulée par François Hollande) pour réduire l'absentéisme de courte durée dans la fonction publique et réaliser des économies. Que rapportera la mesure ? Est-elle juste ? LCI fait le point.

Pour les fonctionnaires, c'est la semaine des mauvaises nouvelles. Après l'annonce du gel du point d'indice (donc des salaires, hors progression dans la grille) par Edouard Philippe mardi, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé jeudi soir que le jour de carence allait être rétabli dès 2018.

Le jour de carence consiste à ne pas payer un agent le premier jour de son absence en raison d'une maladie ordinaire (hors maladie professionnelle notamment). Il avait été instauré par Nicolas Sarkozy en 2012 afin, d'une part, de réduire l'absentéisme de courte durée dans la fonction publique, qui perturberait l'organisation du service, mais aussi pour réaliser des économies dans un contexte de désendettement de l'Etat. François Hollande l'a supprimé à compter du 1er janvier 2014, alors que son gouvernement tentait de faire passer la pilule du gel des salaires. A l'époque, sa ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, justifiait le coup de pouce en invoquant un dispositif "injuste, inutile et inefficace". Vendredi matin, sur LCI, le patron de la CGT Philippe Martinez a réagi à l'annonce du rétablissement du jour de carence en le qualifiant "d'absurde". Qu'en est-il ?

Une économie à portée limitée

Si le gouvernement est à la recherche de sources d'économies, le rétablissement du jour de carence ne constituera qu'une goutte d'eau dans un océan. Gérald Darmanin a indiqué lui-même que cela représente environ 170 millions d'euros par an. A comparer aux 5 milliards d'euros que l'Etat dit rechercher en urgence pour réduire son déficit à 3%. Dans son rapport d'audit commandé par l'exécutif, la Cour des comptes, qui a inspiré ce fameux rétablissement du jour de carence, admet elle-même que cette mesure constitue la plus faible des mesures d'économies possibles sur la masse salariale dans la fonction publique.

Un effet sur l'absentéisme à clarifier

Au-delà de son aspect purement financier, le rétablissement du jour de carence est présenté comme un moyen de lutter contre l'absentéisme, et par conséquent la désorganisation des services. La Cour des comptes, dans son rapport d'audit, prend bien soin d'employer le conditionnel lorsqu'elle évoque les effets de l'introduction de ce jour de carence en 2012, puis de sa suppression en 2014 : 

Si l'instauration d'un jour de carence paraît avoir eu pour effet de faire baisser les arrêts maladie de courte durée, son abrogation aurait eu l'effet inverse
Audit de la Cour des comptes, juillet 2017

Car, comme le reconnait la Cour, cette mesure reste "imparfaite". Dans un rapport rendu en 2016 où elle prônait le retour du jour de carence, elle avait déjà mis des pincettes, reconnaissant "qu'il conviendrait d'en mesurer précisément l'impact sur la durée des arrêts". Dans la période 2012-2014, la proportion d’agents en arrêt de courte durée était passée de 1,2 % à 1 % dans la fonction publique d’État, de 0,8 % à 0,7 % dans la fonction publique hospitalière et avait stagné à 1,1 % dans la fonction publique territoriale. Des résultats pour le moins timides même si, localement, certaines administrations ont estimé que l'effet avait été beaucoup plus visible. 

Ses détracteurs estiment, de leur côté, que le jour de carence a même pu avoir des conséquences inverses. L'ex-ministre Marylise Lebranchu estimait ainsi que le non-remboursement d'une journée de maladie a incité à prolonger la durée de l'arrêt maladie. C'est d'ailleurs la conclusion d'une étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) publiée sur le sujet en 2015 et portant sur le secteur privé. Celle-ci estimait que le délai de carence "peut contribuer à réduire la probabilité de survenue des arrêts" mais aussi "contribuer à en accroître le durée". C'est, parmi d'autres exemples, le constat dressé début 2017 par la Chambre régionale des comptes dans un audit de la gestion du département de l'Aveyron

Certains salariés du privé sont mieux traités

Comme le soulignait Benoît Hamon vendredi matin sur RTL, le rétablissement du jour de carence peut enfin créer une situation d'inégalité entre les salariés du public et du privé. Ces derniers subissent certes trois jours de carence avant de voir se déclencher le versement des indemnités journalières de la Sécurité sociale. Mais selon cette étude de la Drees en 2015, deux tiers des salariés d'entre eux sont protégés contre la perte d'un revenu par le biais de la prévoyance d'entreprise, ce qui signifie qu'il ne subissent aucune perte de salaire.

L'étude concluait d'ailleurs que le délai de carence "ne semble pas constituer un outil de régulation des arrêts maladie". Bref, beaucoup de bruit pour un résultat qui n'a rien d'évident. 


Vincent MICHELON

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