Ruraux, dépendants de la voiture, "France des fins de mois difficiles"... Qui sont les Gilets jaunes ?

Publié le 28 novembre 2018 à 17h11, mis à jour le 28 novembre 2018 à 17h17
Ruraux, dépendants de la voiture, "France des fins de mois difficiles"... Qui sont les Gilets jaunes ?
Source : AFP

SOCIOLOGIE - Une publication de la Fondation Jean-Jaurès dresse le portrait-robot des Gilets jaunes. Selon ses auteurs, ceux qui se mobilisent représentent "la France des fins de mois difficiles", les habitants des petites villes et des campagnes.

Qui sont les Gilets jaunes ? Vaste question, à laquelle peu de réponses ont été apportées en raison de la nature du mouvement lui-même : disparate, sans leaders ni représentants officiels, aux revendications diverses. Mais dans une publication de la Fondation Jean-Jaurès, le directeur du département "Opinion et stratégies d'entreprise" de l'Ifop, Jérôme Fourquet, et le géographe-cartographe Sylvain Manternach apportent des éléments de réponses. 

Des Français dépendants de la voiture

Tout d'abord, les deux auteurs précisent que la colère des Gilets jaunes a pris racine dans la mobilisation contre les 80 km/h, et que ceux qui soutiennent le mouvement sont les Français les plus dépendants de la voiture. Selon un sondage Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio réalisé les 13 et 14 novembre, parmi les sondés qui se disent très dépendants de leur véhicule, le taux de soutien aux Gilets jaunes atteint 59%. A contrario, seulement 32% des personnes se disant peu ou pas dépendantes de la voiture soutiennent le mouvement.

Bien sûr, ceux qui s'estiment les plus dépendants sont les résidents des zones rurales. 88% des Français habitant à la campagne se disent très ou assez dépendants à la voiture, contre 77% de ceux des agglomérations de 2 à 20.000 habitants, 71% des Français vivant dans les agglomérations de 20 à 100.000 habitants, 63% de ceux vivant dans les agglomérations de 100.000 habitants et plus, et 52% des habitants de l’agglomération parisienne.

Des Français habitant de petites et moyennes villes ou des zones rurales

Si tous les départements français ont connu des points de blocages samedi 17 novembre pour le premier jour de mobilisation des Gilets jaunes, tout le pays n’a pas pour autant été touché de manière uniforme. "On constate une forte densité de points de rassemblement dans la grande périphérie des principales métropoles", écrivent les auteurs. "Parallèlement au processus d’étalement urbain, se dessinent également sur la carte les grands axes de circulation : vallée du Rhône, de la Garonne, de la Seine et une partie de celle de la Loire, ainsi que les littoraux héraultais et varois. Ces espaces sont à la fois densément peuplés (facteur permettant une meilleure mobilisation) et le cadre d’une intense circulation, d’où l’extrême sensibilité à la question du prix des carburants."

Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach poursuivent : "Les habitants des zones rurales excentrées subissent eux aussi de plein fouet l’augmentation des prix à la pompe, d’où des actions dans des villages et de petites villes peu habituées aux mobilisations syndicales". Selon les chiffres de la Fondation Jean-Jaurès, 97 communes de moins de 2000 habitants ont subi au moins un point de blocage (14%), 131 de 2000 à 5000 habitants (19%), 291 de 5000 à 20.000 habitants (42%), 116 de 20.000 à 50.000 habitants (17%), 31 de 50.000 à 100.000 habitants (4%), 34 de plus de 100.000 habitants (4%).

Des Français aux "fins de mois difficiles"

La publication explique également que les Gilets jaunes représentent "la France (...) des fins de mois difficiles". "Ce sont ces Français qui ne parviennent pas ou tout juste à boucler leur budget du fait des dépenses contraintes (loyer, assurance, chauffage…) qui ne cessent d’augmenter", écrivent les auteurs de l'étude. Le fait de ne pas pouvoir se payer un cinéma ou un restaurant dans le mois participe au sentiment de déclassement de ces Français qui ne maîtrisent plus souverainement leur vie.

"Pour ces membres des classes moyennes et populaires, l’augmentation des prix à la pompe constitue l’illustration la plus criante de cette hausse subie des dépenses contraintes. Elle est d’autant moins supportable que beaucoup de ces Français perçoivent la pompe à essence comme le principal collecteur de taxes. (…) Il n’est dès lors pas étonnant de constater un très net clivage de classe concernant l’attitude à l’égard de cette mobilisation des Gilets jaunes."

Ainsi, le mouvement des Gilets jaunes ressemble également à une "lutte des classes". D’après un sondage réalisé les 13 et 14 novembre par l'Ifop, 29% des cadres et professions intellectuelles supérieures soutiennent le mouvement, 35% des professions intermédiaires, 50% des retraités, 54% des travailleurs indépendants, 56% des employés, 56% des chômeurs et 62% des ouvriers. Les 20 et 21 novembre, ces chiffres étaient tombés à 20% pour les cadres et professions intellectuelles, 30% pour les professions intermédiaires, 56% pour les employés, et 61% pour les ouvriers.

Des Français politiquement proches des extrêmes

Enfin, politiquement, les électeurs de Marine Le Pen (68%) et Nicolas Dupont-Aignan (65%) apparaissent comme les plus en pointe dans le soutien aux Gilets jaunes. "La dénonciation du matraquage fiscal et la défense des automobilistes sont des thématiques travaillées depuis longtemps par ces partis", écrivent Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach. 45% de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon est également favorable au mouvement, même si "l’impôt, permettant de financer les services publics et de réduire les inégalités de richesse, apparaît comme pleinement légitime dans la culture de gauche". L’impôt ayant moins bonne presse à droite, et malgré le peu d’appétence de l’électorat de droite pour les mouvements sociaux, 42% des électeurs de François Fillon soutiennent les Gilets jaunes. 

Les électeurs de Benoît Hamon et Emmanuel Macron adhérent moins (28% et 29%) : "Comme les électeurs de droite, ils sont légalistes et ils se méfient des accès de colère qui peuvent déboucher sur du désordre et des violences" écrivent les auteurs. Pour eux également, l’impôt est légitime et "sa contestation s’apparente à leurs yeux à du populisme grossier".


Justine FAURE

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