"Si être Gilet jaune (...) c'est vouloir que les Français vivent mieux (...), alors je suis Gilet jaune" : les confidences d’Emmanuel Macron à TF1/LCI

Publié le 1 février 2019 à 11h14, mis à jour le 1 février 2019 à 11h19

Source : JT 20h Semaine

CONFIDENCES - Le président de la République s’est confié longuement ce jeudi à quelques journalistes dont Adrien Gindre, chef du service politique de TF1/LCI. L’occasion de livrer son analyse sur la colère des Gilets jaunes, son image auprès des Français après 20 mois à l'Elysée, ses erreurs et son cap pour une sortie de crise.

"Comment transformer l’essai ?" Alors que la crise des Gilets jaunes secoue la France depuis bientôt trois mois, voici la question à laquelle Emmanuel Macron a tenté de répondre ce jeudi, en se confiant à quelques journalistes parmi lesquels Adrien Gindre, chef du service politique de TF1/LCI. Un entretien - inédit sous cette forme depuis le début du quinquennat - qui s’est déroulé en présence d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, Ismaël Emelien, conseiller en stratégie, et Sibeth N’Diaye, conseillère en communication. 

L’occasion d’"échanger, de clarifier certaines choses, de réécrire en partie l’histoire, de dire ce qu’il a vécu, la manière dont il a vécu les choses depuis le 17 novembre, de dire ce qu’il estime avoir bien fait et ce que, peut-être, tous les autres n’ont pas bien fait", décrypte Adrien Gindre. 

"Si être Gilet jaune (...) c'est vouloir que les Français vivent mieux (...), alors je suis Gilet jaune"

Le soutien des Français aux Gilets jaunes, souligné par des sondages successifs, Emmanuel Macron "n’y croit pas". Le chef de l’Etat estime que "le terme 'Gilets jaunes' est impropre car polymorphe". Il s’explique : "Quiconque a une colère est Gilet jaune. Si être Gilet jaune, c’est vouloir une réduction du nombre de parlementaires, que les Français vivent mieux, un Etat bienveillant, je suis Gilet jaune." 

"Je ne pense pas qu’un retrait de la taxe carbone plus tôt aurait changé quelque chose", déclare encore Emmanuel Macron, jugeant néanmoins "très bien que ça sorte", ajoutant que "c’est un mouvement profond" qui "vient de loin." Le gouvernement aurait-il "pu aller plus vite", en particulier sur l’annulation de la taxe sur les carburants, s’interroge le président ? " J’ai réfléchi à une annonce d’un moratoire. Mais j’ai écouté. On me disait : 'Si on cède sur la taxe, on cédait à la rue et on sera dans l’impossibilité à agir.' La réflexion s’est posée dès le 17 novembre d’arrêter la taxe. Le gouvernement et les parlementaires ne le souhaitaient pas."

"Je dois redonner du sens", poursuit-il, considérant que "nous sommes un pays attaché à l’égalité mais obsédé par la fiscalité pour traiter l’égalité". Il prend l'exemple de l’ISF, "faussement symbolique", et souligne qu'il faut "redonner un projet d’égalité des chances". "Le moment que nous sommes en train de vivre va durer très longtemps. C’est une crise des démocraties occidentales. 

"Auprès d'Eric Drouet, dans les services de sécurité, il y a de vrais fascistes"

Le président de la République dresse le constat d’un "mouvement social, politique, sans revendication fixe, sans leader, qui a subi plusieurs mutations". "C’est caractéristique de ce phénomène", souligne-t-il. Evoquant "la violence politique" de l’extrême-droite et l’extrême-gauche, notamment sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron estime à "40.000 à 50.000" le nombre de "militants ultras" en France. Parmi eux figurent ceux qui ont commis les violences sur l’Arc de Triomphe. 

"Auprès d’Eric Drouet, dans les services de sécurité (des Gilets jaunes, ndlr), il y a de vrais fascistes", déclare-t-il, fustigeant également les militants "anarcho-libertaires" - il cite pêle-mêle "le groupe de Tarnac, Nuit Debout, la loi Travail, ceux qu’on a vu prospérer à Notre-Dame-des-Landes" - qui, d’après lui, ont "vraisemblablement brûlé France Bleu Isère".

"François Ruffin a eu des attitudes séditieuses, factieuses"

"L’ultra-gauche, dès le début, veut la coagulation des luttes", déclare encore Emmanuel Macron. "C’est théorisé par Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin. François Ruffin a eu des attitudes séditieuses, factieuses", poursuit le chef de l’Etat, rappelant les propos tenus par le député de la Somme dans une vidéo tournée le 2 décembre aux abords de l’Elysée. 

Le président s'en prend également à Marine Le Pen, estimant que "son ambiguïté entre les casseurs et les policiers" n'avait pas été assez relevée. "Il faut être lucide, la parole désinhibée, c’est naturellement bon pour les extrêmes." 

"Je ne fais jamais de petites phrases"

Emmanuel Macron esquisse également un semblant de mea cupla, "C’est peut-être le seul : sur la manière qu’il a eue, lui, de s’exprimer", explique Adrien Gindre. "Ça a nourri un procès en personnalisation", estime le président, jugeant toutefois que "ça n’a pas été un élément déclencheur ou amplificateur" du mouvement des Gilets jaunes. "Je ne fais jamais de petites phrases. C’est injuste de dire ça", déplore le chef de l’Etat, citant le célèbre "Casse-toi pauv' con" de Nicolas Sarkozy au salon de l’Agriculture comme exemple de "petite phrase". 

"Il faut que ces séquences (les petites phrases, ndlr) soient plus rares", reconnaît-il cependant. "Je fais beaucoup plus attention. C’est un travail sur moi. Quand on est Président, il y a une part de symbolique. J’ai beaucoup appris de ces 20 derniers mois", souligne Emmanuel Macron. "Je pense que moi-même j’ai fait des erreurs. Quand les gens voient de la distance, de l’arrogance, de la déconnexion… J’aurais tort de ne pas penser que cela ne nécessite pas de travail sur soi."

"La politique c’est aussi montrer à voir ce qu’on décide", poursuit le chef de l’Etat, récusant le fait de faire seulement de la communication. "On met de la communication dès qu’il y a une intentionnalité politique. François Ier, Napoléon ne faisaient que de la communication dans ce cas." Il ajoute : "Je dois beaucoup plus donner de sens", estime-t-il. "Cette fonction a changé. Elle ne peut pas s’exercer dans l’isolement, et pas non plus dans le gaspillage de la parole. Mais il faudra continuer à s’exprimer."

"Ça ne me fait rien les gens qui demandent ma tête"

Est-il touché, blessé par les attaques personnelles dont il est la cible, les appels à la démission ? Emmanuel Macron assure que non. "Les commentaires ne correspondent pas à la réalité", estime le chef de l'Etat. "Je connais ces moments. J’ai souvenir des temps de la campagne, avec la brutalité. Ça m’a fait penser aux jours après le premier tour, avant Whirlpool avec une fascination pour l’inconcevable et la violence sur le terrain."

"Ça ne me fait rien les gens qui demandent ma tête", affirme-t-il, expliquant néanmoins avoir été ému au Puy-en-Velay par "le préfet, le commandant de gendarmerie qui pleurent parce qu'ils ne comprennent plus", après l'incendie de la préfecture. 

Le 1er décembre (journée de manifestations marquée par des violences, ndlr), il y a des activistes et des gens normaux, pris par l’hystérie collective", poursuit le président, pour qui les "nous sommes un peuple violent". Il ajoute : "C’est à ce moment-là que je décide de ne pas parler et d'attendre le 10 décembre. J’associe le silence au régalien. Il faut de l'autorité. Il y a des moments où la parole ne s’entend plus. Si le président de la République s’exprime et qu’il n’y a pas d’effet, il n'y a plus de recours."

"Le débat sur LBD, ce n’est pas à moi de le purger"

Sur la question épineuse du maintien de l'ordre, et notamment de l'utilisation du lanceur de balle de défense (LBD) par les forces de l'ordre, Emmanuel Macron estime qu'"il y a des choses qui doivent être revues dans l'organisation". Mais souligne que "le débat sur le LBD, ce n'est pas à [lui] de le purger. "Moi je crois qu’il faut un contrôle du juge." "Enlever le LBD aux forces de l’ordre alors que certains viennent pour tuer avec des fusils… Drôle de responsabilité", déclare encore le chef de l'Etat, jugeant "très bien" les caméras dont sont équipés certains policiers et gendarmes.  

Edouard Philippe "n'a pas vocation à être un fusible"

Interrogé sur ses relation, parfois présentées comme tendues, avec son chef de gouvernement, Emmanuel Macron assure qu'il n'y a "jamais eu" de discorde depuis le début du quinquennat. Même sur la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires : "Il ne l’a pas fait contre moi", souligne le chef de l'Etat, pour qui il ne peut y avoir de tensions entre le président de la République et le Premier ministre. 

"Après, on a des différences", reconnaît Emmanuel Macron. "Il est pas membre de LaRem. Il n'a pas même culture politique. Il n'y a pas la même approche." Edouard Philippe a-t-il vocation à rester à la tête de l'équipe gouvernementale ? "Il n'a pas vocation à être un fusible." Le locataire de l'Elysée exclut d'ailleurs l'hypothèse d'un remaniement, indiquant n'avoir "jamais été obsédé par ce signal". 

"Ce que je dis en Conseil des ministres n’a pas vocation à être dans le Canard enchaîné"

"J’ai dit aux ministres qu’ils devaient diriger leur administration. (…) Ce que je dis en Conseil des ministres n’a pas vocation à être dans le Canard enchaîné mais dit aux administrations", indique encore le locataire de l’Elysée. Emmanuel Macron estime d’ailleurs que "le gouvernement n’a pas mis suffisamment de force et de pression" dans sa conduite du pouvoir. De quoi le pousser à dire à ses ministres de "faire moins de lois" mais de "diriger différemment". Et de résumer : "C’est une pression que je dois mettre sur le gouvernement. Les choses ne changent pas du jour au lendemain." 

Les confidences d'Emmanuel Macron à TF1/LCISource : Sujet TF1 Info

"La vie des gens n’a pas suffisamment changé"

"La vie des gens n’a pas suffisamment changé", juge encore Emmanuel Macron, soulignant néanmoins qu’aucun gouvernement "n’a fait autant de réformes législatives", citant les exemples de Parcoursup, de la SNCF ou de la réforme fiscale. "Nous sommes une société conservatrice. C’est pour cela que, depuis 20 ans, on ne réforme pas. Et cela n’a pas changé car l’Etat n’a pas changé." "Quand la vie des gens change, la crédibilité de la parole se reconstruit", poursuit-il. "Nous n’avons pas assez réussi les 20 premiers mois", insiste-t-il.  "Je veux faire la réforme de la fonction publique, déconcentrer le management et que chacun se sente responsable. On est en train d’y travailler."

Pour ce qui est de la réforme des institutions, le président de la République assure que des décisions seront apportées quant à l'instauration de la proportionnelle, la prise en compte du vote blanc, la réduction du nombre de parlementaires et sur le référendum d'initiative partagée. "On s’en sortira en transformant l’Etat profond, avec la démocratie délibérative et avec des résultats. S'il n'y a pas de résultats, il ne peut pas y avoir de traitement du mécontentement." Une nouvelle République pourrait-elle voir le jour ? "Peut-être que c’est ce qu’on va inventer." Emmanuel Macron dit par ailleurs réfléchir à "une décentralisation recomposée", qui pourrait voir les départements pourvus de plus de compétences. "Je doute beaucoup de donner plus de pouvoir aux régions."

Selon lui, une part de la réponse à la crise passera également par l'échelon supranational. "Pour moi, le cœur de la réponse aux Gilets jaunes, c’est comment on reprend le contrôle de nos vies, de l’Etat, de l'Europe. Reprendre le contrôle c’est pas forcément fermer les frontières."

"Il y a un conflit entre démocratie directe et démocratie représentative"

Alors que les Gilets jaunes réclament largement l'instauration du référendum d'initiative citoyenne (RIC), Emmanuel Macron suggère plutôt une "amélioration" du référendum d'initiative partagée, déjà existant. "Je pense que la France n'est pas faite pour le modèle suisse (où existe le référendum d'initiative citoyenne, ndlr). C’est inadapté à 66 millions de Français", fait-il valoir. 

Reste que le chef de l'Etat ne ferme pas la porte à un scrutin référendaire dans un futur proche, à savoir le 26 mai, jour des élections européennes. "Ça fera partie des sujets discutés", affirme-t-il, pour qui cela peut néanmoins "occulter les Européennes" ou, à l'inverse, "amener à faire voter". "Est-ce que les sujets du Grand Débat National sont des sujets de référendum ? Moi je crois au référendum en démocratie."

"Aujourd’hui, il y a un conflit entre démocratie directe et démocratie représentative", analyse le président, selon qui ce conflit est est imputable au revirement suite au référendum de 2005 sur la Constitution européenne. "C’était une faute profonde. Ça a donné le sentiment que les élites savaient mieux que le peuple." 

"Les journalistes ont contribué à déconstruire la confiance"

Concédant être "le produit" de l'affaiblissement des partis politiques, Emmanuel Macron déplore la désyndicalisation, qui s'accélère selon lui avec la crise des Gilets jaunes, et la société d'information qui a conduit et installé cet affaiblissement. "On ne tirera pas les leçons de cette crise si il n'y a pas d'interrogation des journalistes", estime le président de la République, pour qui les journalistes "ont contribué à déconstruire confiance". Le chef de l'Etat, qui pointe une "éditorialisation" du débat public depuis avril dernier, dénonce le fait que "les quotidiens suivent les chaînes d'information qui suivent elles mêmes les réseaux sociaux". 

"L'une des fonctions des journalistes, c’est de hiérarchiser l’info. C’est en train de s’effondrer. Ce qui compte, c’est le nombre de vues. (...) Or, aujourd’hui, Benalla comme les Gilets jaunes, c’est la fachosphère, la russosphère." Comment y remédier ? "Il y a un travail sur ce que sont la presse, les élus de terrain et les syndicats", souligne Emmanuel Macron, pour qui "le complotisme nourrit l’autoritarisme".

Darmanin ministre et candidat à Tourcoing ? "Ce sera l’un ou l’autre"

Questionné sur l'éventualité d'une candidature de son ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin à la mairie de Tourcoing, Emmanuel Macron rappelle qu'"il n'y a pas de changement de jurisprudence". "Ce sera l'un ou l'autre. Les deux, non. C'est très clair dans son esprit et très clair dans le mien"

Les élections européennes ? "Il ne faut pas faire trop de tactique"

Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pourrait-il prendre la tête de la liste de la majorité pour les élections européennes ? Le chef de l'Etat assure ne pas savoir et souligne qu'"il ne faut pas faire trop de tactique". Il estime cependant que "ce sera la seule liste qui sera claire" pour "changer l’Europe". "C’est mon discours de la Sorbonne", rappelle-t-il, affirmant croire "en la capacité à transformer l’Europe". 

"Contrairement à mes prédécesseurs, je fais des propositions européennes. Je prends ma part de risque. La France doit être celle qui propose. C’est notre grande force", poursuit-il, évoquant "une initiative" en vue du scrutin avant fin février au plus tard. 


La rédaction de TF1info

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