18 millions de migrants en Europe en cinq ans ? On a vérifié les propos de Nicolas Dupont-Aignan

par Claire CAMBIER
Publié le 5 avril 2019 à 15h46, mis à jour le 7 avril 2019 à 17h13
18 millions de migrants en Europe en cinq ans ? On a vérifié les propos de Nicolas Dupont-Aignan
Source : AFP

À LA LOUPE - La tête de liste de Debout la France a affirmé que 18 millions de migrants étaient entrés en Europe depuis 2014, lors du débat opposant les têtes de listes aux européennes, jeudi 4 avril sur France 2. Un chiffre astronomique qui a interpellé, et pour cause : Nicolas Dupont-Aignan s'appuie sur les données des flux migratoires incluant les flux intra-européens. Dans la soirée de vendredi, il a apporté de nouveaux chiffres pour maintenir sa démonstration en se basant non plus sur les entrées dans l'UE mais sur les titres de séjour. Explications.

En évoquant la somme de 18 millions d'immigrés en Europe depuis 2014 lors du départ opposant les têtes de listes aux européennes, Nicolas Dupont-Aignan en a fait bondir plus d'un. Mais le chef de file du parti Debout La France était sûr de lui : "Vous avez failli me faire douter, mais non, c'est bien cela d'après les chiffres d'Eurostat", a-t-il répété un peu plus tard dans la soirée, sur le plateau de France 2. Sur les réseaux sociaux, ses partisans se sont empressés de venir à son secours en publiant la source : un tableau issu des statistiques d'Eurostat, un organe de la Commission européenne (voir le tweet ci dessous).

Nous nous sommes donc plongés dans ce tableau. Tout d'abord, la liste des pays évoqués (32) dépasse la seule Union européenne. Y figurent également la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein, tout trois membres de l'Espace économique européen, mais pas de l'Union, ainsi que la Suisse. Nous parlons donc d'entrées en Europe. Si l'on cumule le nombre de migrants de chacun de ces 32 pays de 2014 à 2017, le total est bien de 18 millions pour ces quatre ans (entre 4 et 4,8 millions chaque année). Mais ce calcul ne correspond aucunement au nombre d'entrées, puisqu'Eurostat agrège tous les entrants de chaque pays, y compris les mouvements intra-européens (par exemple un Belge s'installant en France) et les retours dans les pays d'origine (c'est-à-dire un Français ayant résidé à l'étranger et revenant vivre en France).

Les 18 millions avancés ne correspondent donc pas aux flux d'immigrés (personnes nées à l'étranger et s'installant en Europe), encore moins aux flux de migrants venus hors d'Europe.

Nos confrères de CheckNews détaillent ce que signifient, pour l'année 2014, les 340.000 entrées sur le territoire français. Elles "sont constituées pour 126.000 d'entre elles…. de ressortissants nationaux revenant en France (soit un gros tiers du total), indiquent-ils. Et sur les 214.000 non-nationaux, 83.000 sont des citoyens d’autres pays de l'UE."

Il en est de même pour les autres années. D'après le tableau ci-dessous, sur les 370.000 entrées en France en 2018, 84.800 sont Français, soit 22,9%. Il reste donc 285.200 étrangers dont 75.600 (20,4% du total) sont issus d'un pays de l'UE. Le nombre exact d'immigrants de pays tiers est donc de 209.600, soit 56,6% du total.

Eurostat

Certains internautes se sont moqués des propos de Nicolas Dupont-Aignan en mettant en avant le nombre de migrants entrés en Europe par la Méditerranée, soit 1,8 millions de 2014 à 2018. "La ponctuation c'est important", s'amuse Mina Mou. "C'est 1,8 millions, et pas 18 millions de migrants". La donnée tirée des statistiques du Haut Commissariat des Nations unies pour les  réfugiés (HCR) est vraie. Si l'on ajoute les nouveaux migrants arrivés entre juin 2018 et aujourd'hui, on arrive à 1,9 million. Après un pic en 2015, les flux se sont fortement taris. 

Cependant, ces chiffres n'englobent qu'une partie des migrants venus en Europe.

Alors combien de migrants originaires de pays tiers sont véritablement entrés dans l'Union européenne ces dernières années ? Eurostat (encore lui) nous livre la réponse. D'après les dernières statistiques disponibles, en 2017, ils étaient 2,4 millions, en 2016, 2 millions, en 2015, 2,4 millions et en 2014, 1,9 millions, soit 8,7 millions de 2014 à fin 2017. Le chiffre de 2013 est lui de 1,4 million. Soit de 2013 à 2017 : 10,1 millions. 

Au 1er janvier 2018, on comptait par ailleurs 22,3 millions de migrants issus de pays hors UE dans toute l'Union, soit 4,4% de la population des 28 pays. 17,6 millions de citoyens de l'UE vivaient quant à eux dans un autre pays de l'Union que le leur.

"Mon équipe a réagi à chaud"

Dans la soirée de vendredi, Nicolas Dupont-Aignan a apporté plusieurs éclairages nouveaux sur les chiffres qu'il avait avancés la veille. Le mélange des flux d'extra-européens et d'intra-européens dans le tableau d'Eurostat partagé par son équipe de campagne ? "Mon équipe a réagi 'à chaud' en indiquant qu’il s’agissait de l’ensemble des migrations en Europe ces quatre dernières années, y compris des nationaux revenant dans leur pays (par exemple, un Français résidant à Londres revenant en France)", indique ainsi Nicolas Dupont-Aignan dans un communiqué. Mea culpa, donc ? Pas vraiment. "Je n’ai donc absolument pas donné de "fake news" lors du débat", soutient-il. Comment ? 

Le candidat aux élections européennes s'appuie désormais sur des données différentes - et toujours issues d'Eurostat : non plus les entrées de migrants originaires de pays tiers, mais, cette fois, les permis de séjours et les demandes d'asile. 

Que disent ces autres chiffres d'Eurostat  ?  "En 2017, quelque 3,1 millions de nouveaux permis de résidence ont été délivrés dans l’Union européenne (UE)", indique le document. S'il on cumule sur les cinq dernières années de statistiques disponibles (2013 à 2017), on obtient 13,4 millions de permis de séjour. Ajoutez à cela le chiffre des demandes d'asile (3,6 millions de 2014 à 2018), Nicolas Dupont-Aignan arrive donc à un total de 17 millions de personnes qu'ils qualifient "d'immigrés arrivés en Europe en 5 ans". 

Ce chiffre, s'il ne correspond toujours pas aux 18 millions affirmés sur France 2, appelle plusieurs remarques : 

- Nicolas Dupont Aignan a bien parlé de "18 millions de migrants" sur France 2 et dans son communiqué au lendemain de l'émission, il parle désormais "d'immigrés" ce qui ne signifie pas la même chose. On ne compare ainsi plus la même chose lorsque l'on évoque les migrants  (Un migrant, selon Eurostat est un personne qui réside ou a l'intention de résider dans le pays pendant au moins 12 mois) et les permis de séjour, dont la durée peut être de 3 mois ou plus, et qui dans certains cas - par exemple chez les travailleurs saisonniers - sont assortis d'une obligation de conserver son domicile habituel à l'étranger.

- Un permis de séjour ne vaut que dans un seul pays de l'UE. Si un ressortissant extra-communautaire a demandé un permis de séjour en Allemagne, il est obligé dans la plupart des cas de demander un nouveau permis de séjour s'il veut travailler ou résider dans un autre pays de l'UE. Ainsi, un même "migrant" peut effectuer plusieurs "premières demandes" de permis dans plusieurs pays de l'UE.

- Autre difficulté non signalée par Nicolas Dupont-Aignan : il est difficile de cumuler demande de permis de séjour et demandes de droit d'asile car elles peuvent être faites... par la même personne. Un migrant débouté du droit d'asile peut en effet effectuer par la suite une demande de permis de séjour ... et l'obtenir. Ce qui est assez fréquent. 

Ainsi, ce ne sont pas "17,1 millions d'immigrés arrivés en Europe en 5 ans" - comme l'écrit Nicolas Dupont-Aignan-  mais 13, 4 millions de titres de séjour et 3,6 millions de demandes d'asile accordés par les pays de l'UE sans que ces 2 chiffres ne soient réellement cumulables. Parfois plusieurs demandes de permis de séjour sont effectuées par une même personne et parfois pour des personnes arrivées en Europe bien avant 2013. Parfois, un demandeur d'asile effectue ensuite une demande de permis de séjour. Même si les chiffres, pris séparément sont exacts, l réalité est donc plus complexe que ce que cherche à présenter Nicolas Dupont-Aignan.

Le chiffre de  10,1 millions de migrants extra-communautaires arrivés en UE entre 2013 et 2017 (sans compter les sorties) est donc logiquement bien inférieur au nombre de permis de séjour et de demandes d'asile effectués pendant cette même période. 

Note de la rédaction : après une première version mise en ligne vendredi 5 avril à 15h46, cet article a été complété vendredi soir suite à la publication de nouveaux chiffres par Nicolas Dupont-Aignan. 


Claire CAMBIER

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