Avec une nouvelle flèche sur Notre-Dame, les photographies seront-elles payantes ?

par Cédric STANGHELLINI
Publié le 21 avril 2019 à 11h00, mis à jour le 7 juin 2019 à 10h34

Source : Sujet TF1 Info

À LA LOUPE - Alors que les architectes du monde entier planchent sur le design que pourrait avoir la future flèche de Notre-Dame, une question se pose : quels droits ces artistes pourront-ils exercer sur la cathédrale ? À La Loupe vient démêler le vrai du faux.

Le Premier Ministre, Edouard Philippe, a annoncé qu'un concours international sera lancé pour proposer une nouvelle flèche pour Notre-Dame. Si pour l'heure aucune option n'est privilégiée entre une reproduction à l'identique ou l'implantation d'une structure contemporaine sur le toit de la cathédrale, À La Loupe s'est penché sur les droits d'auteur que pourraient peut-être faire valoir les architectes. Devra-t-on alors payer pour prendre en photo le monument si cher à Victor Hugo ? 

Que dit le droit ?

Comme n'importe quel artiste, l'architecte bénéficie de droits d'auteur sur ses œuvres. Les croquis, les plans, les maquettes du projet mais aussi la réalisation elle-même bénéficient d'une protection juridique au titre de la propriété intellectuelle. "L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous." Conséquences : l’architecte dispose de droits pour toute utilisation de son œuvre, et ce jusqu'à 70 ans après son décès pour ses héritiers. 

"Pour cela, il faut que la construction de l'architecte soit suffisamment originale, que l'on puisse distinguer la patte de l’artiste," nous explique Me Dalila Madjid, avocate. En revanche, dans le cas d'une reproduction à l'identique d'un édifice, "les architectes ne peuvent pas demander de droit d'auteur car il n'y a pas de création."  

Par conséquent, si le choix d'une flèche "moderne" est retenu, alors le futur architecte pourra bénéficier de droits d'auteur sur celle-ci. Cela ne dépend pas de l'appréciation visuelle de la réalisation, par exemple de tels droits s'appliquent pour l'Opéra Bastille ou le Centre Georges Pompidou. 

Des droits d'auteur peuvent également s'appliquer à des éléments beaucoup plus surprenants... comme l'éclairage de la tour Eiffel, par exemple. S'il est possible d'exploiter l'image de la Dame de Fer de jour, en revanche la nuit venue, son illumination est protégée. Et il faut rémunérer la Société d'exploitation du monument. De tels droits seront-ils aussi appliqués pour le futur éclairage de Notre-Dame ? N'oublions pas non plus le cas de la future protection qui recouvrira la cathédrale pendant les travaux. Imaginez si elle est recouverte d'une 'bâche artistique' créée pour l'occasion... 

Adieu les cartes postales de Notre-Dame ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, une carte postale ne peut représenter un édifice protégé par des droits d'auteur, sans un accord - sonnant et trébuchant - avec l'architecte. En 1990, la cour d’appel de Paris a qualifié de "contrefaçon" des cartes postales représentant la Géode de la Cité des Sciences à Paris, œuvre de l’architecte Adrien Fainsilber. Une décision similaire a été rendue pour l’Arche de la Défense. Pour être sereins, les éditeurs de cartes postales reproduiront peut-être la cathédrale rénovée, mais coupées au niveau du toit. C'est en tout cas ce qu'estime Yann Lorang, avocat à Lyon. Interrogé par LCI, il explique que l'image de la cathédrale pourra en théorie être exploitée si "l'objet de la photographie se limite à l'avant de la cathédrale, et à ses abords jusqu'à la base du toit". 

C'est déjà le cas, par exemple, de l'Opéra de Lyon datant du XIXe dont le toit a été modifié par Jean Nouvel en 1993. S'il est possible d'utiliser librement l'image de la partie basse, plus ancienne, en revanche il faut une autorisation si on aperçoit le toit moderne en verre. Contacté par LCI, les Ateliers Jean Nouvel nous précise tout de même qu'ils étudient "chaque demande individuellement, traitée au cas par cas selon l'utilisation" de l'image du toit de l'Opéra. 

Une limite à ces décisions a toutefois été apportée par le juge. A Lyon, l'architecte Christian Devret et l'artiste Daniel Buren s'opposaient à la vente de cartes postales représentants la place des Terreaux, dont ils avaient modifié la configuration. "Si on pouvait voir leur réalisation artistique sur les Terreaux, celle-ci n'était qu'un accessoire secondaire de la photographie qui représentait la place dans son ensemble," nous explique Me Madjid. Les juges ont finalement débouté les deux artistes en 1999. 

Daniel Buren est un habitué du fait et surveille de très près le devenir de ses réalisations. En 2008, l'artiste avait menacé de détruire ses fameuses colonnes du Palais Royal si aucune rénovation n'était effectuée. En 2015, il a demandé qu'on retire une installation artistique à proximité de ses colonnes car il n'avait pas été préalablement consulté. Tâchons de choisir un artiste moins tatillon pour la future flèche... 

Aucun problème pour vos photos de vacances

Les droits d'auteur des architectes s'appliquent seulement pour les utilisations commerciales de l'oeuvre : cartes postales donc, mais aussi publicités, films, site internet avec encarts publicitaires, etc. Les touristes et les passants pourront donc prendre en photo la future flèche autant de fois qu'ils le souhaiteront. Mais dans la limite de clichés publiés exclusivement dans le cadre personnel et familial. 

Une notion devenue totalement floue aujourd'hui avec les réseaux sociaux. Peut-on encore parler de diffusion dans un cercle restreint et familial pour des photos et vidéos partagées sur Instagram ou Facebook ? Une limite encore plus confuse pour les influenceurs qui ont des revenus grâce au partage de leur vie sur leurs réseaux. 

Les architectes peuvent renoncer à leurs droits

Dans le cas où la flèche ne sera pas une reproduction de l'oeuvre de Viollet-le-Duc mais une création originale, il existe une possibilité ultime : la cession des droits d'auteur. C'est ce que nous explique Me Anthony Bem, avocat : "Dès la commande du futur bâtiment, le commanditaire peut inscrire une clause de cession totale ou partielle de droits d'auteur." Dans ce cas, l'architecte candidat ne pourra pas exercer ses droits au titre de la propriété intellectuelle quand l'oeuvre sera réalisée. "Mais cette cession ne se fait jamais à titre gratuit, précise Me Bem. Les architectes ont une rémunération au titre de leur renoncement." Dans le cas particulier de la cathédrale, on peut envisager que cette cession de l'architecte se fasse pour une somme symbolique. Un acte de décence vis-à-vis de l'émotion suscitée. Imagine-t-on, par exemple, Louis Le Vau réclamer des royalties pour Versailles ?  

Toutefois, ni Me Bem ni les autres avocats spécialistes du droit de la propriété intellectuelle que nous avons contactés n'ont pu nous citer d'exemples qui ont renoncé à leurs droits d'auteur à titre gracieux. Espérons pour que Notre-Dame de Paris la nouvelle flèche ne rime pas avec business... 

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Cédric STANGHELLINI

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