"C'est fini, le temps de l’école à la Pagnol" : après le suicide de Christine Renon, des directeurs d'école racontent leur quotidien

Publié le 5 octobre 2019 à 10h09

Source : JT 20h Semaine

TÉMOIGNAGES - Le 23 septembre dernier, Christine Renon, directrice d'école de Pantin se suicidait, "épuisée" par son travail. Ce jeudi, plusieurs de ses collègues feront grève pour dénoncer leurs conditions de travail. LCI a contacté trois directeurs et directrices d'école, ils nous racontent leur quotidien et ses difficultés.

"C’est fini le temps de l’école à la Pagnol" a glissé à LCI Olivier*, directeur d’école francilien. Qu’ils exercent en ville, en zone rurale ou en REP, le malaise est grand chez les directeurs et directrices d’écoles. Le 23 septembre dernier, l’une d’elle a été retrouvée morte dans le hall de son établissement de Pantin. Dans une lettre envoyée à quelques uns de ses confrères, elle évoque le "mal-être" ressenti par la profession, lié à l’isolement et à un manque de reconnaissance.

"Les directeurs sont seuls", écrivait l'enseignante de 58 ans. Vrai, approuvent les directeurs d'école contactés par LCI. "J'exerce dans une circonscription avec un super inspecteur et des conseillers pédagogiques à l'écoute", commence Patrick*, directeur d'une école de 9 classes dans le Loiret. "Mais je comprends que si on n'a pas ce soutien, ça devient compliqué. Contrairement aux directeurs de collèges, nous n'avons pas de statut juridique, pas d'autorité hiérarchique. Le chef d'établissement d'une école maternelle ou primaire, c'est l'inspecteur. Donc si un directeur a un problème et que l'inspecteur n'y répond pas, il se retrouve seul face à un problème qui peut être lourd à gérer", continue celui qui occupe cette fonction depuis 17 ans.

Des directeurs et directrices "fliqué(e)s"

Une position délicate qu'Olivier illustre avec cette anecdote : "L’année dernière, une enseignante de CP n’a pas souhaité faire passer les évaluations obligatoires de début d’année à ses élèves. Je me suis pris un blâme car je n’avais pas fait remonter l’information à l’inspection d’académie. Or, c’est elle la supérieure hiérarchique de ma collègue, pas moi. C’est à elle de vérifier que tous les professeurs de CP font leurs évaluations."

"Nous sommes fliqués par l’inspection d’académie, nous ne sommes pas soutenus par elle", continue celui qui gère une école de quatre classes, pour 103 élèves. "Les inspecteurs, plutôt que d’être dans l’accompagnement, la proposition de solutions, l’aide, ne sont que dans la critique et les reproches. Par exemple, si un inspecteur vient jeudi dans ma classe, il ne va pas tenir compte du fait que nous sommes à un moment de l’année (le mois d'octobre, ndlr) où les enfants sont fatigués", avance-t-il. La raison en est simple, d'après lui : ce sont rarement d'anciens enseignants eux-même.

L’Education nationale nous donne des ordres, mais ce sont les mairies qui nous financent."
Olivier

Les directeurs d’école doivent également sans cesse jongler entre les directives de l’Education nationale et les problématiques locales. "L’Education nationale nous donne des ordres, mais ce sont les mairies qui nous financent. Nous sommes tiraillés entre notre chef et notre trésorier. Car ils ne sont pas toujours d’accord entre eux", explique Olivier. "Par exemple, sur l’obligation d’apprendre à nager aux enfants : la mairie pense parfois que c’est plutôt aux parents de prendre cela en charge. Et, comme c’est à elle de réserver les créneaux dans les piscines, elle va parfois tout faire pour ne pas en trouver. Or, derrière, l’inspection d’académie va nous taper sur les doigts car nous n'emmenons pas les enfants à la piscine."

Des décharges insuffisantes

Les directeurs et directrices doivent continuer à exercer leur métier d'enseignant. Or, rien n'est fait pour leur faciliter la tâche, et soulager leur charge de travail. Ils bénéficient normalement d'un temps de décharge pour diriger leur établissement, mais il est rarement suffisant. "En septembre, alors que j'ai eu plus de temps de décharge que d'habitude, je suis revenu à l'école tous les week-ends", explique ainsi Patrick, qui grâce à son expérience sait pourtant anticiper les choses et s'organiser. "Il a notamment fallu remplir des documents administratifs, faire des comptes. Tout ce que je n'arrive pas à faire pendant les heures de cours, même lors de mes jours de décharge. Ces jours-là, il a y toujours des parents à rencontrer, des éducateurs à accueillir. Hier, je devais envoyer un courrier aux communes alentours pour obtenir des subventions à l'ouverture d'une classe cirque, je n'ai pas eu le temps" raconte-t-il. "Je ne rentre jamais avant 19h chez moi, le soir. C'est dur de ne pas être présent pour mes enfants en fin de journée, au moment des devoirs", continue celui qui a vu ce problème s'aggraver depuis la suppression de son aide à la direction.

Mathilde*, directrice d'une école rurale de trois classes depuis quatre ans, n'a même pas cette chance. Car une décharge régulière est prévue seulement pour les écoles de quatre classes et plus. "Je ne bénéficie pas d'une décharge hebdomadaire, mais d'une par mois. La circonscription envoie un remplaçant, mais malheureusement pas toujours le même. Donc soyons clair, un remplaçant qui débarque cinq ou dix minutes avant la classe dans un triple niveau ne fait pas des miracles ! C'est moi qui prépare tout en amont. Conclusion : pour moi, ce n'est pas une journée de décharge mais de surcharge. Et bien sûr, il m'est arrivé plusieurs fois de ne pas avoir de remplaçant. Donc dans ces cas-là, on prend la classe, et on fait notre travail de directrice après."

Un salaire supérieur de 7% aux enseignants

Une meilleure reconnaissance de leur travail et une meilleure rémunération pourrait peut-être améliorer les choses. Mais en l'état, Olvier gagne "106 euros de plus que ses collègues enseignants", et Patrick estime ce bonus entre "200 et 300 euros". "Ce n'est pas cher payé par rapport aux difficultés que l'on peut rencontrer", estime-t-il. Mathilde, elle, est payée "environ 2000 euros nets par moi, pour plus de 20 ans de carrière et un Bac+4. Ridicule au regard des responsabilités qui nous engagent", estime celle qui envisage une reconversion professionnelle. L'an dernier, l'OCDE a appelé la France à clarifier et revaloriser le rôle et le statut des directeurs et directrices d'école pour renforcer l'attractivité de cette fonction. En France, un directeur d'école primaire gagne en moyenne 7% de plus qu'un enseignant. Un écart qui grimpe à 41% en moyenne dans les autres pays de l'OCDE.

* Les prénoms ont été modifiés


Justine FAURE

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