Baisse de la mortalité sur les routes : le délégué général de 40 M d'automobilistes ne démissionnera pas

par Matthieu JUBLIN
Publié le 28 janvier 2019 à 18h39

Source : Sujet JT LCI

INTERVIEW - Malgré la baisse de la mortalité routière en métropole annoncée par le Premier ministre, l'association 40 Millions d'automobilistes milite toujours pour le rétablissement de la limitation à 90 km/h. Son délégué général Pierre Chasseray avait même affirmé qu'il démissionnerait si la mortalité atteignait son plus bas historique. LCI lui a reposé la question.

"Je pose ma démission sur la table si, l'année prochaine, il y a moins de tués sur les routes qu’en 2013", avait affirmé Pierre Chasseray le délégué général de l'association 40 Millions d'automobilistes, en septembre 2018 sur Franceinfo. Alors que le Premier ministre a vanté ce lundi une forte baisse de la mortalité routière, 6 mois après la mise en place de la limitation à 80 km/h sur les routes secondaires, Pierre Chasseray conteste certains chiffres et défend toujours un retour aux 90 km/h.

Vous avez déclaré en septembre 2018 que vous poseriez votre démission sur la table s'il y a moins de tués sur les routes en 2018 par rapport à 2013. Or, le Premier ministre vient d'affirmer que c'est le cas.

Je ne crois pas, car le record de 2013 n'a pas été éteint, même si j'aurais aimé me tromper.

Vous affirmez en effet dans un communiqué qu'en prenant en compte les chiffres d'Outre-mer, le nombre de tués sur la route est plus important en 2018 qu'en 2013. Mais tous les DOM-TOM n'ont pas appliqué la réduction à 80 km/h, et le bilan de la sécurité routière montre que les DOM qui l'ont appliquée affichent une mortalité moindre qu'en 2013. Ça ne change pas votre raisonnement sur la question ?

D'abord, je n'ai pas ces chiffres. Ensuite, ce qui me gène dans ce débat autour des 80 km/h, c'est qu'on est dans une bataille de chiffres, alors qu'on en oublie la base, à savoir qu'on nous avait annoncé que la mesure sauverait 400 vies. Or ce n'est pas le cas. 

Mais la mesure n'a été mise en place qu'au 1er juillet, et la mortalité chute aussi fortement au deuxième semestre 2018.

Non, ce n'est pas vrai. La baisse de la mortalité au premier semestre 2018 est de 6,9% par rapport au premier semestre 2017. La baisse est moindre si on compare le deuxième semestre 2017 et le deuxième semestre 2018..

C'est effectivement très compliqué d'évaluer une mesure isolément
Pierre Chasseray

Votre argument est donc d'affirmer que la mortalité baissait déjà avant la mise en place des 80 km/h ?

Je dis qu'on attribue à cette mesure beaucoup plus d'impact qu'elle n'en a en réalité. On ne peut pas dire dans la même phrase que les 80 km/h sauvent des vies, tout en constatant que la mortalité a baissé de 6,9% avant sa mise en place, par rapport à l'année précédente. N'y a-t-il rien de choquant à voir le Premier ministre se féliciter d'avoir battu le record avec 3.259 au lieu de 3.268 ? 

Vous avez pourtant accepté d'entrer dans cette bataille de chiffres…

Ce n'est pas de ma faute si le gouvernement avait avancé le chiffre de 400 vies sauvées par cette mesure. Quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne, c'était l'objectif initial et, dramatiquement, il n'est pas rempli. Par ailleurs, le bilan avancé par le Premier ministre se base sur un bilan provisoire, or ils sont systématiquement revus à la hausse en juin. Je ne suis pas médium et j'aimerais me tromper, mais le prochain bilan définitif de la sécurité routière pour 2018 devrait faire état de chiffres supérieurs à 2013.

Et si, sur une année entière pendant laquelle les 80 km/h seraient appliqués, les objectifs étaient atteints, remettriez-vous votre poste dans la balance comme l'année dernière ?

Mais de toute façon, il n'y a pas d'expérimentation en France de la mesure sur 5 ans pour savoir si elle fonctionne. La courbe de mortalité baisse depuis 1972, donc si je prends un engagement sur deux ans, trois ans, il y aura moins de tués sur la route, ce que j'espère, mais comment peut-on savoir si cette baisse est due aux 80 km/h ?

Dans ce cas, le bilan des 80 km/h publié sur le site de 40 Millions d'automobilistes souffre de ce même défaut…

Oui, c'est effectivement très compliqué d'évaluer une mesure isolément. Mais à côté de ça, je pose la question des 18 mesures promises contre l'alcoolémie, car personne dans la rue ne se souvient d'une seule de ces mesures. Tandis que les 80 km/h ont une majorité de Français contre eux et ont motivé de nombreuses destructions de radars. Le but de la mesure est-il de mettre la France à feu et à sang ? Ça ne pourra pas marcher car ce qui existait avant était suffisant, la préfecture pouvant abaisser certaines portions de route à 70 km/h. C'est ce que nous proposions, en faisant un audit des petites routes.

Dans ce cas, le projet de laisser l'appréciation de la limitation de vitesse aux départements vous conviendrait-il ?

Oui et non. Oui car ça calmerait le jeu, mais faire au cas par cas serait compliqué car les départements pourraient adopter des politiques différentes. Sans parler du problème du nombre de variations des limitations de vitesse. Sur la route, ça change tout le temps. La solution est d'abandonner le 80 km/h. Le gouvernement en sortirait grandi. 

S'il est compliqué d'évaluer l'effet d'une seule mesure, et que la baisse de la mortalité routière est due à l'addition de plusieurs mesures au fil du temps, ne faudrait-il pas plutôt laisser sa chance à la limitation à 80 km/h ?

D'abord, toutes les mesures ne se valent pas. Obliger à porter une ceinture de sécurité, ce n'est pas comme abaisser la vitesse de 90 à 80 km/h. Nous ne nous opposons pas à tout. Et quand bien même il y aurait 400 morts de moins l'année prochaine, il y aura forcément un moment où la courbe remontera. Et là, baissera-t-on la vitesse à 70 km/h ? Je suis contre la surenchère, et certains pays européens n'ont pas besoin de cette mesure pour avoir de meilleurs chiffres sur la mortalité. Je serais prêt, par exemple, à soutenir une mesure consistant à faire souffler dans le ballon les apprentis conducteurs dans les auto-écoles, pour que ça devienne un réflexe. Ou imposer à chaque renouvellement du permis européen la fourniture de certificat d'opticien attestant de la bonne vue du conducteur.


Matthieu JUBLIN

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