Appelés à "défendre l’intérêt" du pays, les musulmans de France s’inquiètent d’une surenchère

Publié le 27 octobre 2020 à 6h45
Appelés à "défendre l’intérêt" du pays, les musulmans de France s’inquiètent d’une surenchère
Source : MATTHIEU ALEXANDRE / AFP

RELIGION - Un appel au boycott des produits français d’un côté, un appel à défendre l’intérêt de la France de l’autre… Dans la foulée des déclarations d’Emmanuel Macron sur les caricatures de Mahomet et de la réaction du président turc, les musulmans de France craignent la surenchère partisane.

L'appel au boycott de produits français au nom de la défense de l'islam lancé dimanche par une partie du monde arabo-islamique fait redouter à la communauté musulmane de France une "surenchère", dans un climat politique, religieux et identitaire perçu comme pesant.

Premier officiel à rompre le silence, Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a appelé lundi les musulmans de l'Hexagone à "défendre l'intérêt" de la France. "Nous savons que les promoteurs de ces campagnes disent défendre l'islam, et les musulmans de France, nous les appelons à la sagesse (...) Toutes les campagnes de dénigrement de la France sont contreproductives et créent de la division", a déclaré à l'AFP Mohammed Moussaoui, principal interlocuteur des pouvoirs publics français sur l'islam. "La France est un grand pays, les citoyens musulmans ne sont pas persécutés, ils construisent librement leurs mosquées et pratiquent librement leur culte", a-t-il tenu à mettre au point.

Le discours prononcé par Emmanuel Macron lors de l'hommage national rendu la semaine dernière à Samuel Paty, professeur décapité dans un attentat islamiste le 16 octobre pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves, a suscité de la colère dans le monde musulman. Le président y a notamment promis que la France continuerait de défendre la publication de ces caricatures au nom de la liberté d'expression.

Fer de lance de la fronde antifrançaise, son homologue turc Recep Tayyip Erdogan a appelé lundi au boycott des produits tricolores, après avoir mis en cause la "santé mentale" de M. Macron à deux reprises pendant le week-end.

Un boycott "complètement injustifié"

"La laïcité à la française reste très difficile à expliquer dans le monde arabe et musulman, avec des retours fréquents d'interlocuteurs qui nous demandent si on n’est pas martyrisés dans notre pays et des organisations qui font tout pour faire croire que les musulmans ne se sentent pas bien dans ce pays", note Mohammed Colin, éditorialiste et cofondateur du site communautaire Saphir News. "On trouve ce boycott complètement injustifié vis-à-vis de la situation de musulmans de France qui vivent bien dans ce pays. Une immense majorité des musulmans comprennent la démarche sécuritaire, sur des enjeux de terrorisme qui touchent tout le monde, y compris les musulmans", ajoute-t-il. 

Ismaïl Mounir, prédicateur musulman à succès aux 250.000 abonnés sur les réseaux sociaux, exprime également une méfiance vis-à-vis de toute injonction étrangère dans la structuration, en pleine mutation, du culte musulman en France. "Le fait de surenchérir et de passer au boycott est en train d'accroître les tensions, alors que cela serait dans notre intérêt à nous, pour les musulmans et tous les Français, de désamorcer cette crise", dit-il à l'AFP. 

Ligne rouge

Mais pour d'autre voix influentes de la communauté musulmane de France, notamment sur les réseaux sociaux, la multiplication des injonctions à embrasser une laïcité à la française, notamment au travers du projet de loi contre le séparatisme, ou la mise en avant des caricatures de Mahomet comme pilier de la liberté d'expression, franchissent une ligne rouge.

"Le climat est très anxiogène, on ne peut plus s'en cacher, on sent qu'un glissement a commencé : on a commencé par parler de terrorisme, puis d'islamisme et maintenant d'islam. Ce n'est pas la France universaliste ça, ce n'est pas la promesse républicaine", s'insurge Ali de son côté, un acteur associatif qui ne souhaite pas donner son nom de famille. "Qui dit exclusion dit recroquevillement. Ce ressenti peut être malheureusement bien plus fort que toute réalité sociologique sur l'état véritable de l'intégration des musulmans dans ce pays", avertit-il.


La rédaction de TF1info (avec AFP)

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