Canicules à répétition : "C'est la manifestation directe du réchauffement", alerte le climatologue Jean Jouzel

Publié le 10 août 2020 à 19h40, mis à jour le 10 août 2020 à 19h46

Source : TF1 Info

VIGILANCE - Une fournaise qui n'en finit pas : la canicule qui accable la France depuis quatre jours va encore durer jusqu'à jeudi à Paris. Selon Météo-France, cette vague de chaleur devrait se situer parmi les cinq plus sévères connues par la France ces dernières décennies. Le point avec le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC.

40°C en France ! Cette barre extraordinaire il y a seulement un demi-siècle est aujourd'hui de plus en plus souvent dépassée. Selon Météo-France, elle ne l'avait été qu'une fois dans les années 1960 et une fois dans les années 1970. Dans les deux décennies suivantes, cette température encore rare est devenue plus fréquente.

Et dans un monde qui subit les effets de plus en plus visibles du réchauffement climatique, le XXIe siècle a vu les choses s'accélérer. Depuis 2008, au moins une station de mesure dépasse les 40°C chaque année (sauf en 2014). Et les étés 2019 et 2020 ont vu un véritable festival de 40°C, avec une extension vers le nord du pays.

Des épisodes caniculaires mois rares, mais aussi plus longs. La fin de celui-ci n'est d'ailleurs pas pour tout de suite : "une large et franche dégradation orageuse marquée devrait y mettre fin, par l'ouest à partir de mercredi", a précisé Météo-France. Mais "le rafraîchissement est repoussé à jeudi" à Paris, "qui vit sa semaine la plus épouvantablement chaude depuis 1873, hors août 2003 - l'épisode meurtrier qui avait fait 15.000 morts en France", a tweeté le prévisionniste de Météo-France François Jobard. 

"Une situation prévisible", nous dit le climatologue et ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, Jean Jouzel, auteur avec Baptiste Denis du livre : Climat : Parlons vrai, aux Editions François Bourrin. Interview.

LCI - Ces épisodes aussi intenses deux années de suite ne sont pas un simple hasard ?

Jean Jouzel - Ce sont malheureusement des épisodes qu'on est appelé à retrouver de plus en plus souvent. Je rappelle que ce que nous vivons actuellement, c'est ce que nous avions envisagé il y a une trentaine d'années, avec des événements plus extrêmes et plus précoces, et c'est exactement ce qui se passe. Cela veut vraiment dire qu'il faut en tenir compte. Il y aura peut-être des étés sans chaleur intense, mais la canicule de 2003 (qui a engendré plus de 15.000 morts), avec des pointes à 46°C ou 47°C, devrait se reproduire, et deviendrait même la norme après 2050, si on ne maîtrise pas le réchauffement climatique. 

Quelles seraient les conséquences ? 

Le principal message de ces événements, c'est qu'il faut prendre cela au sérieux. D'abord il y va y avoir des conséquences pour les glaciers, pas encore cette année, mais cela va commencer à devenir problématique. On constate d'ailleurs que les Alpes ont été placés en vigilance orange dimanche. Ensuite, on voit bien le lien entre cette canicule et une période très sèche, qui rend d'ailleurs le monde agricole très soucieux. Et puis, il y a aussi la difficulté pour les grandes villes de s'adapter à ces épisodes de chaleur et de trouver des moyens de rafraîchir l'atmosphère. Ce qui a des conséquences sur le bien-être des populations.

Vers des températures à plus de 50°C ?

Plus généralement, la météo estivale de l'Hexagone va-t-elle être désormais impactée par le réchauffement climatique ?

En fait, l'augmentation de la température moyenne se traduit par une intensification des records de chaleur. En gros, pour un réchauffement moyen de 1°C, les températures sont trois fois plus importantes le jour et deux fois plus importantes la nuit. Ce qui n'est pas une surprise : la conséquence des activités humaines se traduit naturellement par des vagues de chaleur plus intenses, plus fréquentes, et plus précoces. C'est ce qui s'est passé l'an dernier, avec une vague de chaleur dès le mois de juin. On est désormais dans un monde où on perçoit réellement l'impact du réchauffement climatique et ses conséquences.

Si on  ne fait rien, les températures dans la deuxième partie de ce siècle dépasseront les 50°C au moment des pics de chaleur. Par ailleurs, les six premiers mois de cette année ont été les plus chauds depuis qu'on mesure les températures, que ce soit en France ou au niveau de la planète. C'est la manifestation directe de ce réchauffement.

Il faut changer nos modes de vie et de consommation
Jean Jouzel

Au-delà de ces pics de température, va-t-on devoir s'habituer à des épisodes de chaleur de plus en plus longs ?

La définition de la canicule dépend d'une région à l'autre en termes de durée et de température maximum. Mais l'augmentation du thermomètre rallonge forcément la durée de ces épisodes. Ainsi, on a désormais le 15 juin les températures moyennes d'un 1er juillet il y a 30 ou 40 ans. On dit d'ailleurs souvent qu'il n'y a plus de saison, et c'est vrai. Si on garde la même définition de l'été, c'est-à-dire des températures qui commencent à être chaudes, l'augmentation du thermomètre rallonge naturellement la durée de l'été et diminue la durée de l'hiver. C'est d'une logique implacable.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous l'avenir ?

Si on regarde dans le futur, il y a deux échelles de temps un peu différentes. D'abord, pour les trente prochaines années, le réchauffement climatique est écrit. Il dépend de ce qu'il y a déjà dans l'atmosphère, donc on ne peut plus rien y faire. En revanche, pour les années après 2050, on peut encore agir. Mais si on veut éviter un réchauffement moyen de 4 à 5°C, et ne pas avoir des pics de chaleur qui dépasseraient les 50°C en France, c'est aujourd'hui que cela se joue. Pour le limiter, ce n'est pas à la marge qu'il va falloir prendre des mesures. 

Ainsi, si on veut rester autour des 2°C d'augmentation, il faut diminuer nos émissions de gaz à effet de serre à l'échelle planétaire de 40% d'ici à 2030, et pratiquement atteindre la neutralité carbone pour la deuxième partie de ce siècle. Et ce n'est pas gagné. On voit par exemple que les Etats-Unis ont décidé de quitter l'accord de Paris sur le climat, tandis que le Brésil ou la Russie traînent des pieds. Seul point positif, on va certainement observer un mieux entre 2019 et 2020 en raison de la crise sanitaire, mais la réduction de l'activité humaine et de la mobilité ne suffit pas sur une aussi courte période. Il faudrait reproduire cela chaque année. Il faut changer nos modes de vie et de consommation. 


Virginie FAUROUX

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