"Ce n’est pas une façon de faire !" : ces pistes cyclables qui apparaissent à toute vitesse à Paris

par Sibylle LAURENT
Publié le 10 juillet 2020 à 18h36, mis à jour le 10 juillet 2020 à 18h47
"Ce n’est pas une façon de faire !" : ces pistes cyclables qui apparaissent à toute vitesse à Paris
Source : SL/LCI

TRANSPORT - Dans la foulée du déconfinement, et renforcée par sa victoire aux municipales, l'équipe de la majorité a enclenché la vitesse supérieure. Elle déploie des pistes cyclables à un rythme effréné... avec parfois des surprises à la clé, pour les riverains.

L’autre soir, Henri, Parisien, a eu une surprise, sur son trajet quotidien de boulot-dodo. Il est à moto, passe d’habitude derrière la Madeleine pour aller vers Saint-Lazare. Et ce soir là, surprise ! Embarqué dans la rue Tronchet, une artère à cheval sur les 8e et 9e arrondissements, aucune voiture. "J’étais perdu, je voyais la voie de vélo, celle des bus. Mais où était la voie des voitures ? A un moment, je toque à la vitre d’un bus, pour lui demander où était ma place ? il ne comprenait pas très bien non plus...". Ce qu’Henri n’a pas vu, pris dans ses habitudes de déplacement, c’est qu’au début de la rue, est maintenant affiché un sens interdit. L’artère et en effet désormais divisée en une voie de bus, au milieu, et une voie cycliste, largement marquées sur le sol avec de la peinture jaune et des plots de chantier. 

La rue Tronchet a donc changé de bord. "C’est tout récent, et cela a été fait très rapidement ", raconte le buraliste, qui confie l’énervement de certains riverains face à cet état de faits. Et s’inquiète un peu pour la suite : "Comme ce sont les vacances, il y a moins de monde par rapport à d'habitude, on a aussi perdu du flux de monde avec le coronavirus, mais à la rentrée… Ca va être des bouchons partout. D’autant que les camions de livraison n’ont plus de place, et vont devoir s’arrêter au milieu de la route… "

Surprise des riverains

Les commerçants grognent, et les automobilistes… sont perdus. La signalétique n’est en effet pas encore très claire, et si certains automobilistes stoppent, un peu décontenancés et ne sachant quel itinéraire adopter, d’autres ne semblent pas voir l’interdiction… et s’embarquent dans cette rue qui leur est désormais interdite. Un serveur du café Madeleine, qui fait l’angle, le voit tout le temps : "Regardez là, ce n’est pas un taxi ou un bus ! C’est bloqué, mais y en a qui passent encore. Et en même temps, c'est très mal foutu." Restant, tout de même, fataliste : "De toute façon il n'y aura pas le choix, on ne nous a pas demandé notre avis."

Et c’est peut-être un peu ça, qui fait grincer certains. Chez Exclusif, petite boutique de vêtements, le patron déchante. "L’hypercentre, c’est devenu l’enfer ! Il y a huit, dix jours, des gens de la mairie sont venus nous dire qu’ils allaient faire une piste cyclable. Ils font ça la nuit… Nous sommes à l’ère du vélo, du combat contre la pollution, et je suis complètement d’accord. Mais ce n’est pas une façon de faire. D’autant qu’on est dans une période un peu compliquée, avec les manifestations qu’on a subies, puis le confinement… Je me donne six mois, un an pour fermer le magasin." Dans la boutique d’en face, la patronne raconte avoir été prévenue, elle, "par l’équipe adverse d’Anne Hidalgo : ils sont venus le vendredi avant les élections pour dire ce qui allait être fait rue Tronchet. Les travaux ont été fait cette semaine", dit-elle. "Et ils ont été vaches : les flics s’étaient garés à l’angle de la rue d’après, la rue Vignon. Ils arrêtaient toutes les voitures qui empruntaient la rue." Parce qu'elle le constate, ayant pignon sur rue : "Il y a encore des voitures qui passent, car elles sont coincées, ce n’est pas clair… Et c’est dangereux ! l’autre jour, accident, entre un bus et un vélo."

Déconfinement : les villes font de la place aux vélosSource : JT 20h Semaine

Coronapistes en série

La rue Tronchet à Paris n’est qu’un exemple. Ces derniers jours, des pistes de vélo, des axes routiers totalement chamboulés, ont fleuri un peu partout dans Paris. Souvent rapidement, laissant parfois des riverains décontenancés, ayant l’impression de ne rien maîtriser : la rue Lafayette, qui passe de trois files de circulation de voitures à une seule, la rue d’Amsterdam, ou encore l’emblématique rue de Rivoli.  

Mais plus que le fond du dossier, c’est la méthode, qui déboussole, avec la mise en place à la va-vite de ces gros changements, avec une signalétique pas toujours très claire. Sur les réseaux sociaux, automobilistes et cyclistes en sont à se partager les informations sur les changements constatés sur le terrain.

Certains font aussi remonter aussi des incohérences, ou améliorations. 

"Est-il prévu que cette piste cyclable soit poursuivie jusqu'à la rue d Amsterdam ?", demande encore une internaute. "Car pour le moment, on est perdu quand on arrive au bout de la rue Tronchet." "Où est la logique de création des pistes cyclables ?", demande Léonore, autre internaute, sur Twitter. "Par exemple, rue Tronchet le couloir autobus est supprimé au profit d'une piste cyclable... vide ; les bus sont englués dans la circulation et accumulent les retards, où est la logique ?" Marine, enfin, questionne : "Il n'y aurait pas eu moyen de faire quelque chose de plus esthétique ? On se croirait dans une zone de chantier, c'est très laid.... Il pourrait être peint en vert pour "s'harmoniser" avec le mobilier public haussmannien... Ça jurerait moins quand même..."

Et, à côté de ça, le trafic reprend de plus belles depuis le déconfinement, et ces changements surprise créent des reports et donc des bouchons sur certains axes. 

Sécuriser, et offrir une alternative aux transports en commun

Et il est vrai que depuis le déconfinement, renforcée par les élections, l’équipe d’Anne Hidalgo fonce, et multiplie à tout-va ces "coronapistes", une cinquantaine de km de pistes de vélo déployées comme alternative aux transports en commun. "L’objectif de ces pistes est pluriel", rappelle à LCI un Vert parisien. "Sécuriser, et offrir une alternative aux transports en commun, dans la suite de la crise sanitaire, où l’on a bien vu que le vélo permettait une distanciation physique." Mais la crise sanitaire n’est presque que le prétexte à donner un coup d’accélérateur. "Cela participe aussi de la volonté de l’exécutif de réduire la pollution, d’offrir des pistes sécurisées aux Parisiens", indique l’élu. "Il y a plusieurs types de pistes. Certaines complètent le réseau actuel. D’autres dédoublent certaines lignes de métro qui sont saturées, comme les lignes 13, 1, 5 ou 4." Ainsi, les rues Tronchet et Amsterdam sont pour l’instant des tronçons d’un plus vaste tracé, qui double la ligne 13, en rejoignant l'avenue de Clichy. 

Pour le plus grand bonheur des cyclistes ? L’un d’eux, rencontré rue Tronchet, émet des petits bémols. "Sur le fond, l’idée est bonne. Sur la forme… Ces grandes artères où l’on coupe toute la circulation automobile, font que ça fait des reports de trafic terrible, des bouchons énormes, dans lesquels nous, cyclistes, nous retrouvons aussi coincés, ce qui est aussi très dangereux…", avertit-il. Sur la forme aussi, même s’il salue l’idée d’afficher le vélo au cœur des déplacements, il questionne : "Il y a des artères, comme l’avenue de Clichy, où la piste de vélo est au milieu de la rue. Du coup, c’est compliqué pour la rejoindre, et on se retrouve à circuler en plein milieu, entre deux voies, on n’est pas très serein… Il faut s’habituer !"

Du côté de la mairie, on reconnaît que tout peut encore être amélioré. "Il a fallu agir dans l’urgence pour pallier le fait que les transports en commun étaient difficilement accessibles. Et en effet, comme cela a été mis en oeuvre rapidement, en faisant ce qu'il était possible de faire, cela peut créer des petits soucis avec certains commerçants. Tout n’est pas parfait, il manque des continuités cyclables, et l'esthétique de chantier va être améliorée. Mais la priorité était la sécurité, et en majorité, les gens sont contents. Par exemple rue de Rivoli, les commerçants sont ravis, car ils constatent une baisse du CO2, et surtout du bruit", assure l'élu parisien.

Quant aux problèmes de reports de trafics et d’embouteillage, ce n’est, selon lui, qu’une question de temps et d’adaptation. Car si pour l’instant ces pistes sont présentées comme transitoires, il est possible que la transition s'installe dans la durée. 


Sibylle LAURENT

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