Coronavirus : "C'est la première fois qu'on fait la guerre tous ensemble, et pas les uns contre les autres"

Publié le 3 avril 2020 à 11h38

Source : TF1 Info

PROJECTION - Invité d'Elizabeth Martichoux ce vendredi 3 avril, Jean Viard, sociologue et directeur associé au Cevipof-CNRS, livre son regard sur le confinement et la crise sanitaire.

A quoi ressemblera le monde après la crise sanitaire du nouveau coronavirus ? A l'heure où l'envie de savoir jusqu'à quand durera le confinement n'a jamais été aussi prégnante, Jean Viard, directeur associé au Cevipof-CNRS, spécialisé dans les temps sociaux, la mobilité et la politique, envisage le monde d'après la crise sanitaire : "On sera tous traumatisés" avertit le sociologue. "On s’en rendra compte en sortant de la crise. Pour plusieurs raisons. Parce qu’on a peur pour ses parents, pour nos enfants, pour nous-mêmes. Au fond, on sera la génération du confinement 2020 comme d’autres par le passé ont été la génération de la Libération ou la génération Mai 68."  D'où une forme de commun et un traumatisme, au niveau individuel. 

La vie sera-t-elle comme avant, dans les comportements, les attitudes, les rapports humains ? "On va reprendre une partie de nos habitudes parce qu’on a construit une civilisation autour de l’individu, de sa culture, de ses voyages, de son intelligence" poursuit-il. "Mais cette civilisation, on l'a construite dans un rapport à la nature extrêmement destructurateur ayant nourri des inégalités très fortes. De fait,  je pense qu'il y aura, comme pour les autres crises, des évolutions de choses déjà présentes, notamment un nouveau rapport à la nature. Parce qu’au fond, ce petit virus est naturel et que ce petit virus soit capable de déséquilibrer une immense civilisation comme l’humanité n’en avait jamais fabriquée montre bien que nous ne sommes pas maîtres et possesseurs de la nature et qu'il faudra mieux prendre en compte notre partenaire." En somme, résume-t-il, "Rousseau a gagné sur Descartes". 

Pas de vacances à Pâques, "une privation douloureuse"

Jean Viard rappelle aussi qu'un simple grain de sable reste susceptible d'ébranler les fondements solides de nos sociétés. Si l'on regarde les convulsions socio-politiques des décennies passées, "on est passé des guerres mondiales aux "bricoleurs" assure le sociologue : "Combien d’hommes ont détruit les tours à New York en 2001 ?" demande-t-il. "Ils étaient peut-être trente, avec la logistique et ils ont bousculé les équilibres politiques du monde.  Là, il s'agit d'un virus issu d'une connexion imprévisible dans un marché populaire en Chine. La différence notable en termes de guerre, c’est qu’on est tous ensemble contre un virus. Un humain sur deux vit confiné chez lui, un milliard d’enfants ont été retirés des écoles, c’est la première fois qu’on fait la guerre tous ensemble et pas les uns contre les autres."

 Quant à la difficulté de passer des vacances de Pâques confiné chez soi, elle ne sera pas sans incidence : "Le fait d’être confiné, de ne pas vivre ces vacances, ajoute évidemment une pression supplémentaire aux Français" confirme le sociologue. "Pour chaque Français, les vacances représentent un rituel et, de la même façon qu’on a besoin de lien social avec les autres, on a tous besoin de rituels. Lors des vacances de Pâques, 42% des Français partent chaque année et ne pas partir signifie 'être privé' des joies de Pâques et donc de tout ce qui va avec : la vie, le printemps, les premières fleurs, la renaissance... C'est valable pour tout le monde, que ce soit dans les religions ou pas." Une "privation douloureuse" menaçant de "renforcer la dépression" même si dans le contexte actuel, concède Jean Viard, "il y a plus grave".


Romain LE VERN

Tout
TF1 Info