"Je n'avais jamais vu une telle affluence de patients", reconnaît le chef du service psychiatrique d'un hôpital

Publié le 19 novembre 2020 à 7h00, mis à jour le 19 novembre 2020 à 12h59
"Je n'avais jamais vu une telle affluence de patients", reconnaît le chef du service psychiatrique d'un hôpital
Source : Istock

INTERVIEW - Alors que Jérôme Salomon rapportait mardi que le nombre de personnes souffrant d'un état dépressif a doublé depuis le début de l'automne, les services de psychiatrie se font également l'écho de cette recrudescence, comme au CHU de Clermont-Ferrand où la demande est huit fois supérieure à la normale.

La crise actuelle n'est pas qu'épidémiologique, elle est également psychologique. Comme l'indiquait mardi Jérome Salomon lors de son point presse, "cette épidémie est stressante et anxiogène et peut générer une souffrance psychologique pour nombre d’entre nous". Et pour mieux affirmer son propos, le directeur général de la Santé a révélé que "la santé mentale des Français s'est dégradée entre fin septembre et début novembre". "On observe une augmentation importante des états dépressifs qui a doublé durant cette période", a-t-il dit, s'appuyant sur une étude de Santé publique France.

Pour autant, il n’existe pas de données chiffrées sur une certaine affluence vers les hôpitaux psychiatriques. Le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, souhaite d'ailleurs rester vigilant tant que des chiffres n’étayent pas la situation. "Quelques régions sont aux prises à de fortes tensions, mais on ne peut pas parler de vague psychiatrique pour l’instant", nuance-t-il dans Marianne

Toutefois sur le terrain, les avis sont plus tranchés : le Professeur Pierre-Michel Llorca, responsable du service de psychiatrie du CHU de Clermont-Ferrand a ainsi constaté une multiplication par sept ou huit des demandes de consultation dans son unité depuis la fin du mois d'août. On a donc voulu savoir si cette situation était vraiment inédite.

60% d'états dépressifs

Comment décririez-vous les personnes que vous voyez arriver dans votre service ?

Professeur Pierre-Michel Llorca : Ce qui est frappant c'est que ce sont principalement des nouveaux patients que l'on n'avait pas l'habitude de voir jusqu'à maintenant, sans aucune pathologie psychiatrique connue. Habituellement, on a des nouvelles demandes toutes les semaines, mais là les secrétaires chargées de dispatcher les malades, n'ont jamais vu ça. Leur nombre est en constante augmentation, et c'est arrivé très rapidement. La difficulté c'est qu'un patient anxieux ou dépressif, vous allez devoir le voir au moins une douzaine de fois dans l'année, donc ça veut dire que chaque nouveau patient va nécessiter au moins huit heures de prise en charge en tout. Si vous multipliez ça par le nombre de demandes, cela crée forcément des embouteillages, et allonge les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous, qui sont passés de deux à six semaines. Ce qui est problématique.

De quels maux se plaignent-ils ?

On a 60% d'états dépressifs avec des personnes qui développent une grande tristesse, une difficulté à se concentrer, et qui ont le sentiment de ne pas avoir d'avenir, avec parfois des idées morbides. Et puis on a 40% d'états anxieux. On appelle ça des troubles d'anxiété généralisée. Ce sont des gens qui ont des ruminations anxieuses persistantes. On a tous des moments où on est préoccupé, mais on arrive généralement à se distraire et à ralentir ces pensées-là. Ces patients, eux, n'arrivent pas à les contrôler. Ils se scindent en deux catégories : il y a ceux qui sont très inquiets de l'avenir, même s'ils ne subissent pas de conséquences économiques, et puis il y a ceux qui ont peur d'être infectés par le virus et qui vont développer des comportements excessifs face aux gestes barrières. De plus, on commence à voir arriver en consultation quelques patients qui ont été malades du Covid, et qui ont développé une forme de stress post-traumatique. 

On a également beaucoup de demandes provenant de la population étudiante
Professeur Pierre-Michel Llorca, responsable du service de psychiatrie du CHU de Clermont-Ferrand

Y a-t-il un profil type ?

Les femmes sont plus touchées. Par ailleurs le fait d'être isolé, quel que soit la qualité de l'environnement, est aussi un facteur favorisant. Bien sûr les difficultés économiques aggravent aussi la situation, mais ce n'est pas la raison principale. On a également, et ça c'est remarquable, beaucoup de demandes provenant de la population étudiante. Il faut dire qu'à cet âge, il est difficile de concevoir sa vie enfermé dans les 9 m² d'une chambre en cité universitaire, et de suivre des cours en visioconférence. C'est donc assez difficile, notamment pour des jeunes qui sont dans une grande situation de précarité, comme par exemple les étudiants étrangers.

La fin d'année, avec les fêtes de Noël qui se profilent à l'horizon, peut-elle être un facteur aggravant ?

On sait qu'à ce moment de l'année, tout le monde est plus sensible. C'est le début de l'hiver, les journées raccourcissent, les rythmes changent, on le ressent tous plus ou moins, on parle d'ailleurs de dépression saisonnière, mais je ne pense pas que ce paramètre de saisonnalité joue un rôle particulier dans ce qui est en train de se passer. Cela fait 25 ans que je dirige le service de psychiatrie du CHU de Clermont-Ferrand, et je n'avais jamais vu une telle affluence. Ce qui se joue fondamentalement dans cette crise, c'est surtout le niveau d'incertitude auquel on doit faire face. Or ce qui régule nos vies, et c'est valable pour tout le monde, ce sont les rythmes sociaux. On se lève le matin, on va travailler, on a des activités et cela est ponctué par les semaines, les week-ends... Quand on désynchronise ces rythmes, notamment avec le télétravail, on perd une certaine stabilité et cela rend très vulnérable. Quant à la question de savoir si on fêtera Noël cette année, je ne parle même pas de l'effet que ça peut avoir.

Alors que nous sommes souvent taxés de plus gros consommateurs d'anxiolytiques, cette morosité ambiante est-elle une spécificité française ?

Paradoxalement, on pourrait aussi se dire que si on prend autant de médicaments, c'est peut-être parce que nous sommes un des pays qui soigne le mieux ! De manière générale, les Français ont plutôt un bon état de santé par rapport au reste du globe, plusieurs études l'attestent. Mais c'est plutôt dans la manière dont on se voit qu'on a la sensation de ne pas aller très bien. En France, on est rarement satisfait. Il est vrai qu'on a vécu ces derniers mois une succession d'événements difficiles, voire douloureux (terrorisme, insécurité, crise sociale...), du coup, on a aussi le sentiment d'être un peu plus éprouvé.

Mais quand on regarde ce qui se passe dans tous les pays touchés par la pandémie, on remarque partout une recrudescence des troubles psychologiques, à un niveau vraiment très important. On est donc impacté comme les autres mais on a peut être une manière spécifique de l'exprimer. Prenez par exemple l'annonce de l'arrivée d'un vaccin, chez nous cela provoque un effet paradoxal. Ca pourrait être réjouissant, cela montre que l'on touche peut-être au but, et bien pas du tout, puisque tout un tas de gens trouve ça peu rassurant. Et si vous pensez que le vaccin est plus un danger qu'autre chose, comment croire que tout ça va s'arrêter un jour ?

Reconfinement : Quel impact sur la santé mentale des français? Réponse dans ce podcast d'Expertes à la Une avec le docteur Astride Chevance

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Virginie FAUROUX

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