Est-il vrai qu'à la SNCF, "les gens travaillent moins que 35 heures" par semaine ?

Publié le 7 octobre 2019 à 13h46, mis à jour le 9 octobre 2019 à 18h04
Est-il vrai qu'à la SNCF, "les gens travaillent moins que 35 heures" par semaine ?
Source : Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

À LA LOUPE – Le futur patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a esquissé les grandes lignes de son projet pour l'entreprise. Il a aussi déploré le fait que des accords locaux conduisent bon nombre de cheminots à travailler moins de 35 heures hebdomadaires. Est-ce une réalité ?

Guillaume Pépy a annoncé qu'il ne briguerait pas de troisième mandat. Son successeur à la tête de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, s'est présenté le 2 octobre devant les commissions du développement durable du Sénat et de l'Assemblée nationale. Chargées d'approuver sa nomination par l'Elysée, elles ont écouté le projet du futur PDG, ainsi que les pistes de travail qu'il a évoquées pour l'avenir du groupe ferroviaire. 

Outre une volonté de diversifier les tâches des salariés de la SNCF, Jean-Pierre Farandou a affiché une volonté claire : plancher sur le temps de travail effectif des personnels de l'entreprise. "À la SNCF se sont sédimentés au fil des décennies des tas de petits accords locaux qui ont pour effet que les gens travaillent moins que 35 heures. Ça, on n'a plus les moyens", a-t-il lancé. "On a peut-être pu le faire à une époque, on ne peut plus."

Des chiffres qui ne sont pas contestés

Forcément très attentifs aux propos du patron de la SNCF, les syndicats de cheminots ont suivi l'intervention de Jean-Pierre Farandou. Contactés par LCI, ils ne remettent pas en cause ses affirmations. Il faut dire que la question du temps de travail effectif au sein de l'entreprise n'est pas nouvelle : une réforme sur le temps de travail était en discussion en 2016, mais n'a jamais abouti. Elle bénéficiait pourtant du soutien d'un ancien chef de l'État, Nicolas Sarkozy, pour qui cette réforme "avait un objectif assez modéré qui consistait à demander aux conducteurs de train et aux cheminots de travailler 35 heures, parce qu’ils ne travaillent pas 35 heures".

Dans un article de juin 2016, Europe 1 a tenté de vérifier cette affirmation, et observé que "le personnel roulant de la SNCF - les conducteurs et les contrôleurs notamment – effectue 1.568 heures par an", se basant sur les chiffres transmis par l'entreprise. 1.568 heures, c'est en en effet moins que les 1.607 heures annuelles censées être accomplies par des salariés aux 35 heures. 

Ces chiffres sont-ils toujours d'actualité ? Contactée, la SNCF tente aujourd'hui de rassembler des éléments, mais ne dispose pas à l'heure actuelle de données plus récentes ou actualisées. Jean-Pierre Farandou, joint lui aussi par LCI, n'a pas non plus souhaité entrer dans le détail, refusant de communiquer avant sa prise de fonction. Les tractations sur le temps de travail n'ayant pas été relancées depuis 2016, on peut imaginer que la situation est restée globalement similaire. Les syndicats, eux, ne discutent pas les chiffres, mais préfèrent pointer du doigt les raisons qui les expliquent, liées, expliquent-ils, à la pénibilité et à la dégradation de leurs conditions de travail.

Des "accords locaux" remis en cause

Certains salariés de la SNCF décident-ils de façon unilatérale de travailler moins de 35 heures hebdomadaires ? Non. Il s'agit en effet d'une conséquence d'accords locaux passés entre le personnel et leur direction, et qui aboutissent à adapter le temps de travail. Ce sont eux qui se trouvent aujourd'hui dans le viseur de Jean-Pierre Farandou, et qui pourraient être abolis dans les mois à venir.  

Ces accords locaux, quels sont-ils ? Fabien Dumas, secrétaire fédéral de SUD-Rail donne un exemple personnel : conducteur sur la ligne B du RER, il bénéficie de journées légèrement plus courtes car il doit composer avec des "horaires ultra tendus", éprouvants pour le personnel comme pour les machines. "On pousse les capacités des trains au maximum, nous sommes en journée continue ce que signifie que à peine arrivé au terminus, il faut repartir dans la foulée. Nous n'avons que 8 minutes de pause, pas le temps d'avaler un sandwich, à peine assez pour faire un détour aux toilettes. En conséquence, les journées sont pour nous un peu raccourcies sur le RER B, environ 6h, 6h30." 

Cet aménagement, spécifique à cette ligne de région parisienne, fait partie des nombreux accords locaux, "mais il n'y a rien de signé", souligne Fabien Dumas. "Il peut s'agir d'usages qui durent depuis des années", renchérit Rémi Aufrère-Privel, secrétaire général adjoint à la CFDT Cheminots. "On n'a pas de catalogue de ces accords locaux, ça appartient aux sections locales. […] Beaucoup de ces accords ne sont pas écrits, nous ne les avons d'ailleurs pas recensés au niveau national. Ils sont souvent le résultat de conflits sociaux anciens." Comment expliquer le manque d'uniformisation d'une région à l'autre ? "N'oubliez pas que nous sommes une entreprise au sein de laquelle les établissements conservent une grande autonomie", glisse le représentant syndical.

L'argument du bon sens est régulièrement avancé : des salariés éloignés de leur lieu de travail et qui n'ont pas de voiture pourront ainsi commencer quelques minutes plus tard le matin si leur train ne leur permet pas d'arriver exactement à l'heure. Les directions locales consentent alors à des petits aménagements sur les horaires plutôt que d'imposer à leurs équipes une nuit sur place. 

"Les cheminots ne sont pas privilégiés"

Les déclarations du prochain patron de la SNCF ont froissé certains syndicats. Chez SUD-Rail, le secrétaire fédéral Bruno Poncet regrette des propos "polémiques", et ne souhaite pas que les débats liés au temps de travail soient décorrélés des problématiques liées aux manques de moyens. "Dans de nombreux endroits, les effectifs sont trop juste", assure-t-il, "je vois pas mal de mes collègues qui ont du mal à poser des congés…"

"Ces accords locaux", poursuit-il, "n'ont rien d'un privilège : ils prennent en compte les contraintes et encadrent les conditions de travail. Les cheminots ne sont pas privilégiés, sinon il y en aurait 50 millions… " Son collègue de SUD, Fabien Dumas, fait d'ailleurs remarquer que l'entreprise peine à recruter : les démissions en 2018 étaient en hausse de 34%, les ruptures conventionnelles de 86%. "On a aussi observé 618 départs volontaires… "

"Je serais curieux de savoir comment monsieur Farandou ferait sans les accords locaux", ajoute Fabien Dumas, "pour la région parisienne en particulier." Un agent d'accueil ? "Avec 1200 euros par mois, il ne peut pas habiter à Paris ou en banlieue proche. Les accords locaux ont en quelque sorte permis de compenser l'absence de hausse des salaires, à une époque où les loyers n'ont cessé de monter. D'autant que la SNCF a bradé une grande partie de son patrimoine immobilier", dont ne peut plus bénéficier son personnel. 

Si Remi Aufrère-Privel et la CFDT estiment que "la direction a toute légitimité" pour mettre le sujet du temps de travail sur la table, les organisations syndicales tentent d'alerter sur la dégradation des conditions de travail et le manque d'attractivité de la SNCF. Des chantiers qui promettent à Jean-Pierre Farandou une prise de fonctions pour le moins chargée. 

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Thomas DESZPOT

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