"L'impact du coronavirus sera significatif à court terme sur les prix du carburant"

Propos recueillis par Felicia Sideris
Publié le 3 février 2020 à 13h53, mis à jour le 6 février 2020 à 11h25

Source : JT 20h Semaine

IMPACT À LA POMPE - La baisse du prix du baril actuel - passé sous la barre des 60 dollars - inquiète l'Opep, qui va se réunir mardi et mercredi. En cause, l'épidémie du coronavirus qui, comme l'explique Francis Perrin, a un impact sur le cours du pétrole. Directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des problématiques énergétiques, il répond à nos questions.

Le coronavirus a un impact mondial, et ce jusqu'à nos stations essences. Alors que le prix du baril ne cesse de chuter, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) réagit en organisant une réunion technique ce mardi 4 février à Vienne. Objectif : analyser et répondre à cette baisse des cours du brut. Un phénomène lié à l'épidémie de coronavirus que connaît la Chine depuis décembre et qui a provoqué le ralentissement de son économie et le confinement de sa population. Spécialiste des problématiques liées aux énergies à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Francis Perrin nous explique pourquoi la crise en Chine influence le cours du marché du pétrole. Et jusqu'où elle se fera ressentir. 

La Chine, premier importateur mondial

LCI : Quel est le poids de la Chine sur les cours du pétrole mondial ?

Francis Perrin : Il est considérable sur ce marché. D'abord parce que le pays est actuellement le deuxième consommateur mondial de pétrole, derrière les Etats-Unis, et sa consommation n'est même pas encore stabilisée. Elle continue de d'augmenter, comme c’est le cas depuis des années, et il ne fait aucun doute qu’un jour, elle rattrapera puis doublera les Etats-Unis. Au-delà de ce chiffre, l'autre critère essentiel dont il faut tenir compte, c'est l'import. La Chine, malgré le fait qu'elle soit un important producteur de pétrole brut, est le premier importateur mondial de pétrole. Elle est obligée de faire appel à d'autres régions du monde. Ce qu'il se passe dans le pays est donc suivi de très, très près par les traders. 

LCI : Entre la population confinée depuis près d'un mois, l'économie qui tourne au ralenti et des avions cloués au sol, ces conséquences de l'épidémie vont forcément avoir un impact sur la consommation de pétrole du pays... 

Francis Perrin : Sans aucun doute. C'est déjà le cas. Face à l'épidémie, les autorités chinoises ont pris des mesures logiques pour limiter les déplacements dans le pays. Quand on prend la voiture, l'avion, ou le bateau, ce sont des carburants pétroliers qu'on utilise. Forcément, ce coup de frein au secteur des transports - complètement dépendant de l'énergie fossile - a un impact direct sur la consommation du carburant pétrolier. 

En plus, le coronavirus tombe au moment du Nouvel an chinois. Une période extrêmement importante en termes de déplacements dans le pays puisque, traditionnellement, des centaines de millions de personnes voyagent en Chine et entre la Chine et l'étranger à cette occasion. Alors, quand le gouvernement prend des mesures de confinement très fermes, tout le monde est frappé de savoir que 56 millions de personnes ne peuvent plus se déplacer [ce dimanche, le ministère des Transports du pays a noté une baisse de 86% des déplacements, ndlr.] C'est tout à fait exceptionnel. Quant au secteur industriel, dans certains cas, des personnes confinées ne peuvent pas aller travailler. Un impact peut être souligné, bien que largement inférieur à celui des transports, secteur-clé de cette problématique. Donc oui, l’impact du coronavirus sur la consommation pétrolière du pays est particulièrement fort du fait de la période et des secteurs qu'il touche.

La Chine, un pays sous cloche qui lutte contre le coronavirusSource : JT 13h WE

LCI : L'épidémie de coronavirus pourrait donc voir des répercussions sur le prix à la pompe ? 

Francis Perrin : Oui, car le raisonnement des traders en ce moment est celui-ci : si l'épidémie a un impact sur le secteur des transports - dépendant du pétrole - du premier importateur mondial, alors il faut voir les prix à la baisse. On le voit d'ailleurs déjà sur les marchés. Au début de l’année, le prix du baril a fortement augmenté, notamment à cause des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Depuis, ils baissent, voire chutent [en huit jours, le prix du pétrole a chuté de près de 10%, ndlr.] Un comportement assez classique sur une bourse de matière première. Les marchés accusent le coup, les traders anticipent, quitte à s'affoler parfois un peu. 

Les prix ne "vont pas s'effondrer"

LCI : Faut-il donc s'attendre à ce que l’essence ne cesse d’être moins chère ?

Francis Perrin : Il y a, selon moi, deux options très réalistes. Le marché a déjà anticipé une baisse de consommation, en jouant les prix à la baisse. 10%, c'est déjà pas mal. Il ne faut toutefois pas oublier que le reste du monde consomme toujours, et les tensions au Moyen-Orient sont encore très fortes. Partant de ce constat, le premier scénario assez probable est que les traders vont reprendre leur calme en se disant que le baril a déjà assez baissé.

La seconde hypothèse consiste à dire qu’au fur et à mesure de la publication de nouvelles informations qui concerneraient une augmentation du nombre de cas, de morts et de répercussions internationales, les marchés se disent que personne ne contrôle plus la situation. Là, oui, le prix du baril pourrait continuer de baisser. Personne ne peut savoir jusqu’à quel point. Cependant, même si je n’ai pas de boule de cristal, je suis certain que le prix ne va pas non plus s’effondrer en raison du coronavirus. Car oui, l’impact du coronavirus sera significatif à court terme sur les prix du carburant, sans aucun doute, c’est d’ailleurs déjà un fait. Mais il ne faut pas exagérer l’importance de cet événement et le prolonger dans le temps. La Chine ne va pas arrêter de consommer du pétrole, son économie ne va pas se retrouver à genoux. Il faut savoir raison garder. 


Propos recueillis par Felicia Sideris

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