CONTROVERSE - Des chercheurs russes affirment que Jeanne Calment serait en fait morte en 1934, et aurait été remplacée par sa fille. Un scientifique français, qui a co-validé le record de la doyenne, s’insurge. La famille du notaire qui avait acheté son appartement en viager refuse de croire à cette théorie.
Si Jeanne Calment a vécu aussi longtemps, c’est peut-être... parce que sa fille a pris sa place, dans les années 1930. Jeanne Calment serait en fait morte en 1934, et sa fille, alors âgée d’une trentaine d’année, aurait pris sa place. C’est la (folle ?) théorie développée par un internaute russe, il y a une dizaine de jours, sur un site intitulé Medium, et qui a fait son petit chemin sur les réseaux sociaux.
La tribune, intitulée "J’accuse !, pourquoi le record de longévité de 122 ans de Jeanne Calment pourrait être faux", a été écrite par Yuri Deigin, un jeune homme qui se présente sur Linkedin comme un entrepreneur dans la biotech, à la tête d’une fondation pour l’allongement de la durée de vie. Pour sa tribune, il s'appuie sur les travaux publiés en décembre d’un mathématicien russe, Nikolaï Zak, et d’un gérontologue russe, Valery Novoselov.
Here’s my overview of a most intriguing (if not outright detective) story of Jeanne Calment. It really does seem like it was actually her daughter Yvonne posing as her mother for over 60 years. Why? Inheritance tax of up to 35% in 1930s. https://t.co/YP0lDpS7FP — Yuri Deigin (@ydeigin) 30 décembre 2018
Un record trop beau pour être vrai ?
Pour lui, les choses sont claires : Jeanne Calment reste encore, plus de 20 ans après son décès, en 1997, la doyenne de l’humanité. N'est-ce pas étrange ? Son record est établi à 122 ans et 164 jours. Personne ne l’a jamais dépassé, ni même frôlé : la deuxième place est détenue par une jeunette de 119 ans et la troisième passe à peine la barre des 117 ans. Et parmi les personnes vivantes, les plus âgées ont seulement 115 ans. Autant dire que le record risque de rester quelques temps encore inégalé. Certes, Jeanne Calment est qualifiée de "centenaire la plus validée", avec des documents d’attestations "impeccables", mais plusieurs éléments seraient... louches, selon Yuri Deigin. Les chercheurs russes pointent 17 éléments qu'ils considèrent à charge.
Jeanne Calment a en effet eu une fille, Yvonne, à 23 ans. Mais elle est décédée, selon des documents officiels, en 1934, à 36 ans. Yuri Deigin pointe d’abord le certificat de décès, "curieusement délivré sur la base du témoignage d’un témoin unique, une femme sans emploi âgée de 71 ans et qui "l’a vue morte". Sont ensuite mis en parallèle diverses photos d’Yvonne et de Jeanne, à différentes époques et différents âges. Et il est formel : "Dans ces rares photos de la jeune Yvonne qui a survécu - la vieille Jeanne a ordonné inexplicablement de brûler toutes les photos de sa famille lorsque la ville d'Arles lui a demandé de les fournir pour les archives de la ville - c'est Yvonne qui ressemble le plus à la femme qui a vécu jusqu’en 1997", dit-il. Les chercheurs russes indiquent en effet que Jeanne Calment avait ordonné de brûler une partie de ses archives photos quand elle est devenue célèbre.
Here’s more evidence why Jeanne Calment's identity might have been stolen by her daughter in 1930s. Spoiler: old and young Jeanne's ears are different, and she says here eyes were green while ID card said "black". https://t.co/69pFGo7siV — Yuri Deigin (@ydeigin) 30 décembre 2018
Coïncidences ?
En comparant des photos de Jeanne jeune, et âgée, les chercheurs voient des dissemblances : le menton, la mâchoire, le nez, les oreilles, ou encore l’entaille jugulaire, à la base du cou, ne seraient pas les mêmes. Sur certaines photos, censées représenter Jeanne, sont aussi pointées des incohérences vestimentaires avec le style de l’époque ; et aussi évoqué le fait que Jeanne Calment confondait parfois son père et son mari, dans ses souvenirs. L’imposture aurait même été connue de la compagnie d’assurance chargée de payer une rente viagère à Jeanne Calment, qui aurait découvert qu’elle la versait en fait à sa fille, mais "à la demande des autorités", elle n’a pas révélé ce secret, parce que l’aînée des Français était devenue une légende.
D'autres "détails curieux" sont mis en avant, comme le fait que, lorsque le maire d’Arles est venu fêter le centenaire de Jeanne Calment, il a trouvé qu’elle "avait l’air d’avoir 80 ans" ; ou le fait que sa taille à 113 ans, ne s'était tassée que de deux centimètres, alors que la moyenne générale des courbes de croissance montre que les femmes subissent une diminution de l’ordre de 6 centimètres. Autres éléments jugés confondant, une copie de la carte d'identité de Jeanne Calment datant des années 1930 où la couleur de ses yeux (noirs), sa taille (1,52 mètre) et la forme de son front (bas) ne correspondent pas à celles de la doyenne française au cours de ces dernières années de vie. "Bien sûr, chaque divergence biographique pourrait être une coïncidence", écrit Yuri Deigin. "Mais pris ensemble, leur poids est assez convaincant pour tenter de trouver des réponses à certaines questions."
Le mobile ? L'argent !
Reste un élément clé : pourquoi ? Quel serait alors le mobile de cette usurpation ? L’argent !, évidemment !, avance Yuri Deigin. Le procédé aurait évité à la famille, plutôt riche, de payer des droits de succession qui étaient, à l’époque, très élevés en France.
Sur internet, la théorie a fait se régaler les internautes. Certains y croient dur comme fer.
#JeanneCalment , le mensonge du siècle ? Record de longévité (122 ans), elle aurait usurpé l’identité de sa mère (et donc son prénom) pour éviter de payer des droits de succession. Bref Jeanne s’appelait Yvonne et serait morte à 99 ans. Histoire de OUF ! https://t.co/oOdUpwaWRS — 𝔾𝕦𝕚𝕝𝕝𝕒𝕦𝕞𝕖 𝔸𝕦𝕕𝕒 (@GuillaumeAuda) 29 décembre 2018
Enquête assez dingue (en anglais) mais très bien documentée sur Yvonne Calment, fille de #JeanneCalment , qui aurait usurpé l’identité de sa mère pour échapper à l’impôt sur les successions à sa mort en 1934 et ne serait donc pas doyenne de l’humanité. https://t.co/9ntHiTRNkk — Matthieu Escoriza (@escoriza) 30 décembre 2018
D’autres préfèrent en rire.
Le pire de l'ingérence russe, c'est cette tentative de nous voler notre doyenne de l'humanité https://t.co/BlV9YL4sBo — Vincent Glad (@vincentglad) 31 décembre 2018
Donc si je comprends bien, Jeanne Calment n'aurait pas vraiment été sur la Lune en 69 malgré un contact avéré avec un petit gris à Roswell en 47 et serait la vraie commendataire du 11 septembre 2001 ? Tout ça à cause du Trésor Public ? Waouh. Merci Internet. pic.twitter.com/73bpkKXOET — Kᴏʀʙᴇɴ (@Korben) 30 décembre 2018
C’est une famille que l’on salit avec cette histoire
Jean-Marie Robine, covalidateur du record de Jeanne Calment
Mais cela ne fait en tout cas pas rire du tout Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm, covalidateur du record de Jeanne Calment. "Tout cela est parfaitement bancal", estime-t-il dans le Parisien rappelant qu’"on n’a jamais autant fait pour prouver l’âge d’une personne. On n’a jamais rien trouvé qui nous permettait d’émettre le moindre soupçon sur son âge". Il dénonce "un texte à charge, qui n'examine jamais les faits en faveur de l'authenticité de la longévité de Madame Calment, m'apparaît diffamatoire vis à vis de sa famille".
D’autant que, rappelle-t-il, à l’époque où aurait eu lieu la substitution, dans l’entre-deux-guerres, les Calment étaient des notables, bien connus, vivant depuis toujours à Arles : "Du jour au lendemain Fernand (le mari de Jeanne, ndlr) aurait fait passer sa fille pour son épouse, et tout le monde aurait gardé le silence ? C’est abracadabrantesque. (...) Ce n’est pas la première fois qu’on me dit que tout cela est faux, mais personne n’a jamais avancé de travaux scientifiques pour me prouver l’inverse". "Je me tiens prêt à poursuivre le débat", poursuit-il. "Mais en attendant, c’est une famille que l’on salit avec cette histoire".
La famille du notaire qui avait acheté le logement en viager refuse de polémiquer
"Je ne crois pas à cette histoire, tout le monde la connaissait à Arles" , explique au Parisien Huguette Raffray, la veuve du notaire qui avait acheté l'appartement de Jeanne Calment en viager. L'homme n'avait pas survécu à la centenaire et c'est sa veuve qui avait, ensuite, payé jusqu'en 1997 les 2500 francs mensuels versés en viager à Jeanne Calment depuis... 1965. "Argent ou non, je ne veux pas déranger les morts", explique la veuve du notaire. Même en cas de contestation de la famille du notaire, l'affaire serait, dans tous les cas, prescrite.
Le maire d’Arles à l’époque de la mort de Jeanne Calment, Michel Vauzelle, juge, lui aussi, que cette théorie est "complètement impossible et invraisemblable" parce que Jeanne Calment était suivie selon lui par de nombreux médecins. "L'idée d'usurpation d'identité (de Jeanne Calment par sa fille) avait déjà été envisagée par les validateurs et j'invitais régulièrement les démographes à conserver cette hypothèse", tempère Nicolas Brouard, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED) en France. "C'est bien que Nikolaï Zak ait mené une recherche indépendante et sur le même terrain d'investigation. C'est un très bon travail et un argument en faveur de l'exhumation des corps de Jeanne et Yvonne Calment", assure-t-il à l'AFP. Selon lui, seule une analyse des ADN mettra un point final à cette affaire.