Nous avons testé la dictée en écriture inclusive… Et c’est plus simple que vous ne le pensez

par Mathilde ROCHE
Publié le 11 janvier 2019 à 22h00, mis à jour le 16 janvier 2019 à 10h53
Nous avons testé la dictée en écriture inclusive… Et c’est plus simple que vous ne le pensez
Source : Mots-Clés

LANGUE FRANÇAISE - L'écriture inclusive, aussi appelée langage non-sexiste pour celles et ceux qui l'ont adoptée, est souvent la cible de critiques. D'autres s'y intéressent mais craignent qu'elle soit trop compliquée. Une dictée a été organisée cette semaine. Nous nous sommes prêtés au jeu. Voici le texte. A vos stylos !

Sur le principe, la grande majorité des Français et des Françaises est pour l’égalité femmes - hommes. Mais dans les faits, quand on aborde la question de l’écriture inclusive pour rendre les femmes plus visibles dans la langue et la société, il y a peu d'institutions et d’entreprises qui suivent le mouvement. Pourquoi l’écriture inclusive fait-elle si peur ? Les réfractaires et les "indécis.es" lui reprochent sa supposée complexité. 

Son usage allongerait les phrases par la mention systématique des deux sexes et rendrait la lecture moins fluide à cause des "points médians", signe de l'abréviation. Alors, infaisable, l'écriture inclusive ? Nous avons fait le test en nous prêtant au jeu d'une dictée... et on s’en est mieux sorti que nous ne l'aurions imaginé.

Une lettre de François Mitterrand

Cette dictée, organisée par l'agence de communication Mots-clés pour la seconde fois à Paris, est l'occasion de revenir sur le bon usage de cette écriture notamment grâce au référentiel de la professeure Éliane Viennot. En 2017, Audrey Pulvar s'était prêtée au jeu de la "professeuse" (oui, professeuse). Ce jeudi 10 janvier, c'est la journaliste Pascale Clark qui a lu le texte, composé d’extraits choisis de la “Lettre à tous les Français” de François Mitterrand. Le texte évoque, ce n'est pas un hasard, la condition des femmes dans la société.

Les consignes : accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres. User du féminin et du masculin, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, l’usage raisonné du point médian ou le recours aux termes épicènes (neutres). Ne plus employer "Homme" pour parler de l'humain en général. Combien de mots ou expressions changeriez-vous ?

C’est parti pour la correction :

Ligne 1, ligne 4, ligne 15 : “Chers compatriotes”, qui revient à trois reprises dans le texte, peut s’écrire “chers et chères compatriotes” tout à fait de circonstance dans le cas d’une lettre écrite solennelle. A la seconde et troisième utilisation dans le texte, “cher.es compatriotes” peut être utilisé pour éviter les répétitions et les longueurs. Contrairement aux idées reçues, même au pluriel, les contractions ne nécessitent que l'usage d’un point : entre le suffixe masculin et le suffixe féminin.

Ligne 3 : “entre Français” peut devenir “entre Français et Françaises” mais peut aussi s’écrire “entre Français.es”

Ligne 9 : “les chômeurs non indemnisés” est un masculin générique, c’est à dire que le groupe de mots englobe les femmes et les hommes au chômage, mais ne rend visibles que les hommes. Cela peut facilement être remplacé par une formulation neutre et aussi précise telle que “la population au chômage non indemnisée” ou “les personnes sans emploi ni indemnisations”, etc.

Ligne 12 : “les trois quarts des smicards” peut se transformer en “les trois quarts des smicard.es”. Ou - parce que ce mot n’est de toute façon pas très élégant - être remplacé par “les trois quarts des personnes rémunérées au smic”, par exemple.

Ligne 16 : “dont nous pouvons, dès à présent, nous rendre maîtres”, qui appelle à la responsabilité de chacun dans le texte, est plus englobant en utilisant “nous rendre maîtres et maîtresses.” 

Ligne 18 : Et enfin, “quel homme, quel groupe d’hommes y suffirait ?” devient assez logiquement “quelle personne, quel groupe de femmes et d’hommes y suffirait ?” 

Cette nouvelle version est suggérée par les organisateurs de la dictée qui ont volontairement fait certains choix. "Certain.es" d'entre vous auront notamment repéré "les lycéens d'Albi". Pourquoi pas les lycéens et lycéennes ? Parce que Jean Jaurès, ayant enseigné dans les années 1880, a probablement officié dans un lycée d'Albi... non mixte, à l'époque ! Il a donc bien enseigné à des lycéens uniquement.

"C'est la limite de la réécriture inclusive de textes anciens. Là, on le fait pour l'exercice, mais c'est pour ces raisons qu'on ne compte pas réécrire les œuvres littéraires ou, comme on l'entend souvent, les fables de La Fontaine !" explique Raphaël Haddad, le fondateur et directeur associé de Mots-Clés. "Cela nécessiterait de comprendre les volontés de l'auteur sur des détails subtiles. Il vaut mieux se concentrer sur la rédaction en écriture inclusive des textes institutionnels qui s'écrivent actuellement et s'écriront dans le futur".

L'écriture inclusive pour donner une place égale aux femmes et aux hommes

A celles et ceux qui trouvent que ces modifications sont toujours trop d’efforts pour pas grand chose, les "partisan.es" de l'écriture inclusive leur rappellent que les femmes représentent 52% de la population française. Pourquoi les reléguer à un "genre minoritaire" ?

D'autant qu'utiliser le masculin générique peut brouiller la compréhension. Si l’on vous parle des “chanteurs français de votre génération”, les noms qui vous viennent à l’esprit ne sont sûrement pas les mêmes que si l’on évoque les “chanteurs et chanteuses françaises de votre génération”. Mentionner les deux sexes ou les englober dans une formulation neutre rend le langage plus précis et facilite la communication, insistent les utilisateurs et utilisatrices de l'écriture inclusive.

C'est ainsi ce que démontre un sondage, réalisé sur 1000 personnes par Harris Interactive, dans le cadre d'une étude sur l'écriture inclusive, en octobre 2017. L'équipe a demandé aux "interrogé.es" de citer spontanément des figures du journal télévisé, des figures littéraires et des figures sportives, en formulant la question différemment.

Au premier tiers de "sondé.es", il a été demandé de citer "deux champions olympiques". Seulement 17% citent alors - au moins - une femme. Au second tiers, il a été demandé de nommer "deux champions et championnes olympiques" : 20% citent au moins une femme. Enfin, au dernier tiers, a été présenté la formulation "Citez deux personnes championnes olympiques". Résultat : 33% citent au moins une femme.

En incluant les femmes de manière visible dans les réponses possibles : le pourcentage "d'interrogé.es" nommant au moins une femme a doublé. Selon la manière dont la question leur a été posée avec un masculin générique ou avec une formulation neutre, celle ci n'a pas provoqué les mêmes représentations dans l'esprit des gens. 

Les défenseurs et défenseuses de l'écriture inclusive expliquent que le langage amène des représentations mentales spontanées et si l’on veut que ces représentations soient plus égalitaires, l'écriture doit suivre. Autrement dit : si les femmes et les hommes sont visibles à part égale dans le langage, elles et ils le seront dans les mentalités et dans la société. Dans le texte ci-dessus, c'était simple. Mais il faut noter que le texte parle beaucoup des femmes. Il y aurait eu un peu plus de travail si le discours parlait "des policiers", "des agriculteurs" ou même "des Français" : des groupes de populations mixtes désignés par  "ils".

Loin de vouloir "féminiser" la langue, le but de l’écriture inclusive est plutôt de la "démasculiniser" pour que les femmes et les hommes aient la même place dans notre quotidien, estiment ainsi les organisateurs et organisatrices de la dictée. Dans le texte proposé, ils n'ont finalement suggéré "que" 10 rectifications à faire, impactant une vingtaine de mots sur les 377 que contient la lettre.  Et vous, combien de corrections auriez-vous faites ? 


Mathilde ROCHE

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