Patients Covid évacués dans d'autres régions : les cliniques privées vraiment oubliées ?

Publié le 6 novembre 2020 à 16h29, mis à jour le 7 novembre 2020 à 11h53
DAMIEN MEYER / AFP
DAMIEN MEYER / AFP - Source : DAMIEN MEYER / AFP

ECLAIRAGE - Parfois reléguées en deuxième ligne lors de la première vague de Covid-19, les cliniques privées sont désormais mieux intégrées dans la répartition des patients. Comment expliquer alors les évacuations interrégionales des derniers jours ?

"Des leçons ont été tirées". Parfois relégués au second plan lors de la première vague de Covid-19, les hôpitaux privés s'estiment désormais mieux intégrés dans la répartition des malades. Evoquant une coopération public-privé "totalement opérationnelle", la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) explique que les deux secteurs ont "appris à mieux se connaître et à travailler ensemble" depuis le printemps dernier. Et de rappeler que "des dysfonctionnements avaient été à déplorer avec des hôpitaux publics saturés et des cliniques non sollicitées".

"Pendant la première vague, c'est quand les hôpitaux ont été submergés que les cliniques sont venues prendre le relais. Là, dès le début on a dit 'tout le monde participe' et ça change tout, puisque chacun prend sa part", explique à l'AFP Caroline Hemery cadre de santé du service réanimation du Centre hospitalier privé de l'Europe, au Port-Marly (Yvelines). À titre d'illustration nous précisé la FHP, à ce jour, le secteur privé contribuerait à la prise en charge d'environ 20% de ces patients en soins intensifs au niveau national, et 24 % en Ile-de-France.

"On nous a mis sur un pied d'égalité", confirme Daniel Caille, patron du groupe Vivalto, dont les 41 cliniques accueillent à ce jour environ 500 malades du Covid, dont une trentaine en réanimation. La situation actuelle est cependant "plus complexe à gérer", car il faut "continuer à traiter tous les patients qui ont un risque de perte de chance", même si "on n'a pas les ressources qu'on avait" pendant la première vague. Et pour cause : cette fois-ci, la deuxième vague épidémique touche tout le pays et les établissements ne peuvent compter que sur leurs propres ressources.

Pourquoi alors des transferts vers d'autres régions ?

Pourtant, les premiers transferts de patients d'une région à l'autre ont pu interpeller ces derniers jours. Dans son point hebdomadaire ce 5 novembre, Olivier Véran a indiqué que 61 patients avaient été transférés entre le 23 octobre et le 4 novembre. Ce vendredi, plusieurs hôpitaux de la région Grand Est ont même annoncé qu'ils avaient procédé à des transferts de premiers patients vers l'Allemagne. Comment expliquer que, malgré cette coopération public-privé au beau fixe, des malades se retrouvent ainsi hospitalisés à l’autre bout de la France ou à l'étranger quand des lits sont libres dans les cliniques privées d'un secteur plus proche ? 

En appelant le 29 octobre tous les établissements de santé français à déclencher "sans attendre" leur plan blanc et déprogrammer des activités médicales, Olivier Véran en avait expliqué l'objectif, livrant une explication à ce qui ce qui peut ressembler à un paradoxe. Outre le fait d'"atteindre le plus rapidement possible les capacités maximales" en lits de réanimation, "l'armement de lits supplémentaires" dans toutes les régions vise aussi à "assurer une solidarité des territoires par le transferts de patients", détaillait-il. Sur RTL ce lundi, il évoquait encore à ce sujet une volonté de "faire les choses par anticipation, forts de l'expérience de la première vague".

Décidés "avec la cellule de crise du ministère"

La semaine dernière, Pascal Delubac, président de la fédération régionale de l’hospitalisation privée, s’était tout de même étonné auprès de nos confrères de Midi Libre que "le CHU de Nîmes maintienne ses transferts hors de la région alors qu’à Nîmes, la Polyclinique Grand Sud et les Franciscaines, alertées en cellule de crise, ont augmenté leurs capacités de réanimation". 

"Pas de polémique, le choix du CHU de Nîmes se respecte, ils nous ont indiqué qu’ils préféraient prendre les devants", avait aussitôt tempéré Floriane Nambert, directrice de la polyclinique Kenval (Kennedy) et porte-parole du privé dans la cellule de crise Covid-19, mentionnant que le privé "a largement joué le jeu". Et d'illustrer : "Les Franciscaines avaient 4 lits de réanimation lundi et les a doublées mardi, elle a pris deux patients du CHU, et avait encore deux lits disponibles mardi. La Polyclinique Grand Sud a ouvert deux lits de plus, un troisième sera créé en fin de semaine."

Décidés "en coordination avec la cellule de crise du ministère des Solidarités et de la Santé", les transferts sont effectués "en anticipation pour libérer des places en réanimation et prévenir toute tension et saturation des établissements", a détaillé ce jeudi l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes concernant huit nouveaux transferts vers les Pays de la Loire. Ils sont "organisés au regard, d'une part, de la situation observée quotidiennement à travers les indicateurs et notamment le taux d'occupation des lits de réanimation dans les établissements de santé; et d’autre part sur la base des projections (de l'Institut Pasteur notamment) sur l'évolution et la dynamique de l'épidémie dans la région", précise l'ARS.

"Des éléments locaux à prendre en compte"

"Pour l'instant c'est préventif et c'est plutôt intelligemment fait" commente Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHU de Lille, assurant que l'interaction public-privé a effectivement été anticipée dans sa région. Soulignant qu'un transfert est toujours une opération "délicate et compliquée", il insiste sur le fait que l'idée générale est d'"anticiper pour éviter de transférer en urgence parce qu'on est face au mur", comme cela a pu être le cas au printemps. Il rappelle en outre que "certaines interventions hors Covid ont lieu dans le public tandis que d'autres ont lieu dans le privé", et qu'il s'agit de répartir les patients en prenant au mieux cet élément en compte.

"Ponctuellement, il peut y avoir des difficultés et des éléments locaux conduisant à un pilotage régional, car encore une fois la décision est analysée", abonde en ce sens Pierre Parneix, médecin de santé publique au CHU de Bordeaux. Il insiste à son tour sur le fait que la logique globale est de "maintenir un équilibre à l'échelle d'un territoire avec un certain nombre de lits disponibles", aussi bien dans le public que le privé.

Pour l'épidémiologiste suisse Didier Pittet qui préside la mission indépendante d’évaluation de la gestion de la crise du Covid-19 en France, ces transferts interrégionaux ont aussi un sens indépendamment d'une bonne coopération public-privé. "Dans ce contexte, la logique d'anticipation doit primer à tout niveau : hôpital, secteur public ou privé et région", résume-t-il, tout en rappelant qu'entre le moment où le nombre d'hospitalisations augmente et celui où cela se répercute en réanimation, il se passe au minimum une semaine. Pour finir, il s'appuie sur l'exemple de la Suisse où deux patients genevois ont justement été transférés vers d'autres régions. "Les cliniques privées n'ont pas toujours les moyens de recevoir certains types de malades" souligne-t-il.

Où en sommes-nous des transferts ?

C'est donc pour soulager les services de réanimation de la région Auvergne-Rhône-Alpes, particulièrement touchée par l'épidémie de Covid-19, que 43 évacuations  de la région ont été effectués depuis mi-octobre. Les huit transferts annoncés mercredi dernier concernaient des patients de Lyon, Bourg-en-Bresse et Saint-Étienne transférés vers Nantes, Saint-Nazaire et Angers. Ce jeudi, dix autres patients de la région ont été transférés vers le Grand Est a fait savoir l'ARS. Dans le détail, six seront accueillis à Nancy et quatre à Strasbourg.

De son côté et suivant la même logique, l'ARS Bretagne a précisé que la région a accueilli vingt patients du sud de la France touchés par le Covid-19 depuis le mardi 27 octobre. Quatre patients du Centre hospitalier de Nîmes ont notamment été évacués à Brest tandis que quatre patients d'Avignon ont été pris en charge mercredi dans des établissements de Lorient et de Vannes.


Audrey LE GUELLEC

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