Prise en charge des victimes de violences sexuelles : la Belgique, l'exemple à suivre

à Bruxelles, Justine Faure
Publié le 7 mars 2019 à 19h00, mis à jour le 8 mars 2019 à 0h08
Prise en charge des victimes de violences sexuelles : la Belgique, l'exemple à suivre
Source : Thinkstock

REPORTAGE - Jalousés par les associations françaises, des Centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles ont ouvert il y a un an en Belgique. Ces lieux regroupent en un seul et même endroit tout ce dont ont besoin les victimes après une agression. En quoi ces établissements sont-ils révolutionnaires ? La France pourrait-elle s'en inspirer ? Nous avons passé une journée en immersion au centre de Bruxelles. À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, LCI.fr republie ce reportage diffusé pour la première fois en octobre.

Il est 13h30, ce mardi 16 octobre. Nous discutons avec Marie Govaerts, sage-femme légiste du centre de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) de Bruxelles lorsque déboule dans son bureau une jeune fille en pleurs, accompagnée de ses parents. "Je m’appelle Marie, je suis infirmière. Installe-toi", lui intime immédiatement la sage-femme. Les premiers instants sont primordiaux pour instaurer une relation de confiance. Dans la salle d’attente, le père de l’adolescente lui aussi bouleversé est réconforté par Christine Gilles, gynécologue responsable du CPVS.

Tous les jours, comme cette jeune fille, plusieurs victimes de violences sexuelles débarquent en urgence au 320 rue Haute. Elles sont environ 500 – hommes, femmes, enfants - à avoir poussé la porte du CPVS installé au sein du CHU Saint-Pierre depuis son ouverture, il y a un an.  Le centre bruxellois fait partie, avec ceux de Gand et Liège, des trois CPVS inaugurés fin octobre 2017 par la secrétaire d’Etat à l’Egalité des chances, Zuhal Demir. Ouverts 24/24h et 7/7j, ces centres encore expérimentaux, financés par le gouvernement fédéral et la loterie nationale, regroupent en un seul et même lieu tout ce dont les victimes ont besoin après une agression : soins médicaux, possibilité de réaliser des prélèvements médico-légaux, aide psychologique et même dépôt de plainte.

A leur arrivée sur place, les victimes sont prises en charge par des infirmières et sages-femmes légistes. Elles sont huit au total, dont deux à plein temps. "Lorsqu’une victime se présente à nous, nous regardons d’abord si elle a besoin de soins d’urgence", explique Marie Govaerts. "Si non, nous engageons la conversation en nous présentant, expliquant ce que nous faisons, et nous écoutons son histoire. Ensuite, nous nous occupons de toute la prise en charge médicale : prises de sang, dépistages, si besoin prescription de traitements médicamenteux, notamment lorsqu’il y a eu un risque de contamination au VIH."

Au rythme de la victime

Si les victimes le souhaitent, les infirmières procèdent également à des examens médico-légaux. Prise de photos, prélèvements sur le corps ou les vêtements des victimes : les preuves sont conservées dans une pièce du centre, dans des congélateurs ou des sacs en papier scellés. "Nous le proposons à toutes les personnes, qu’elles veuillent porter plainte ou non", précise Marie Govaerts. Une victime peut tout à fait accepter de se soumettre à cet examen, même si elle ne porte pas plainte par la suite. Pour lui laisser un délai de réflexion et dans le cas où elle changerait d’avis à ce sujet, les pièces sont conservées un an au CPVS. 

Toutes ces discussions et ces examens, les infirmières les réalisent au rythme de la victime. "La priorité, c’est elle. Si ça nous prend quatre heures, eh bien ça nous prend quatre heures. Personne ne va venir nous taper sur les doigts parce qu’on a pris du temps", apprécie la sage-femme. Et l'écoute ne s'arrête pas là : "Sauf s’ils ne le souhaitent pas, nous appelons systématiquement les gens après leur visite. Le lendemain de leur agression, une semaine après, deux semaines après, trois semaines après et cela jusqu’à deux mois", se félicite Marie Govaerts. 

Dans les jours qui suivent l’agression, ce sont les psychologues du CPVS qui prennent le relais. "Nous avons pour mission de les accompagner pour éviter un syndrome de stress post traumatique", explique Françoise Leroux. "La majeure partie de notre boulot c’est de légitimer leur ressenti et leur sentiment d’injustice, leur désarroi, leur honte, leur culpabilité. Beaucoup se disent ‘J’aurais dû crier, me débattre, ne pas accepter de sortir avec cette personne, me méfier'. Il faut leur soutenir qu’elles se trompent."

Moins de 50% des victimes portent plainte lors de leur visite

Le CPVS de Bruxelles se résume à quelques mètres carrés et à quelques bureaux ou lieux de repos à côté du planning familial et du centre d’aide aux victimes de mutilations génitales féminines. L’endroit est impersonnel. Les murs blanc et beige parsemés d’affiches sur les violences sexuelles, les quelques banquettes et fauteuils gris peu confortables rappellent que le centre est intégré à un hôpital. Dans ce petit espace, une porte est un peu plus secrète que les autres. Les infirmières n’y ont pas accès. Il s’agit du bureau de la police, destinés à recueillir la parole des victimes qui souhaitent porter plainte. Lors des six premiers mois, un peu moins de 50% des victimes qui se sont présentées au CPVS de Bruxelles ont porté plainte.

Là encore la pièce est neutre, exigüe. La victime est invitée à prendre place face à la porte (moins anxiogène pour elle), et dans son dos, un escalier lui permet de prendre rapidement la fuite en toute sécurité si jamais l’agresseur fait irruption au CPVS. Les inspecteurs spécialement formés pour les faits de mœurs ne sont pas toujours présents au centre. Ils travaillent dans d’autres services de police de la ville, et sont appelés à chaque fois qu’une victime souhaite déposer plainte. 

Tous les policiers intervenant au CPVS ont bénéficié d’une formation de quinze jours en octobre 2017. "Nous leur avons d’abord appris à aborder les faits sans tourner autour du pot ni être trop cash", explique Karine Minnen, commissaire de police, formatrice des inspecteurs francophones. "Ils doivent laisser parler la personne, lui laisser raconter son récit comme elle le veut, intervenir le moins possible pour guider l’interview. Ils doivent encourager les victimes à parler, relancer sans rien dire, poser des questions ouvertes, non orientées."

Des policiers "bien dans leur peau et équilibrés"

Si aucune sélection n’est faite à l’issue de la formation des inspecteurs, celle-ci se fait naturellement avec la pratique. "Beaucoup d'agents ont décroché après être rentrés dans le système : pour des raisons familiales ou professionnelles, d’autres car émotionnellement ils n’arrivaient pas à faire face. Ceux qui sont restés et continuent font ça très bien. D’ailleurs, on ne peut pas obliger des gens à faire des auditions de ce type s'ils ne se sentent pas à l’aise. Car on fait plus de mal à la victime qu’autre chose. Nous évitons également de recruter certains profils : ceux qui pensent que le viol n’existe pas, comme ceux qui veulent sauver le monde. Pour faire ce job, il faut des gens communicatifs, bien dans leur peau, équilibrés", égrène Karine Minnen.

En France, de nombreuses associations comme la Fondation des femmes ou le Collectif féministe contre le viol plaident pour la création de centres similaires aux CPVS belges, et envient notamment la formation dont ont bénéficié les policiers. L’enthousiasme et les résultats obtenus en Belgique depuis un an ne peuvent que leur donner raison. "Nous étions tellement nécessaires que nous avons pris très vite une place dans le système de santé", se réjouit Marie Govaerts. "Aujourd’hui on ne peut plus l’enlever aux victimes."


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