Prolifération d'algues vertes sur les plages : comment l'expliquer et faut-il s'en inquiéter ?

Recueilli par Audrey Le Guellec
Publié le 19 juillet 2019 à 22h06, mis à jour le 19 juillet 2019 à 23h06

Source : JT 20h Semaine

DÉCRYPTAGE - L'accumulation particulièrement importante cet été sur les plages bretonnes de celles que l'on nomme aussi "laitues de mer" a ravivé une angoisse déjà présente dans la région. Comment expliquer ce "tsunami" vert en 2019 ? Et que risque-t-on vraiment ? Éléments de réponse.

Si le phénomène des marées vertes refait surface d'une année à l'autre, et particulièrement en Bretagne, l'été 2019 pourrait bien marquer les esprits. En cause ? Une prolifération exceptionnelle ces dernières semaines sur les plages bretonnes de celles que l'on nomme aussi "laitues de mer" et qui ravive l'angoisse dans la région. Au point que deux associations de protection de l'environnement craignaient qu'elles soient à l'origine du décès brutal d'un jeune ostréiculteur en baie de Morlaix en juin dernier. Une thèse définitivement écartée par le parquet de Brest ce jeudi.

Reste que ce "tsunami" vert qui s'abat sur le littoral breton interroge. Comment l'expliquer ? Est-il le signe d'une recrudescence des algues vertes sur notre littoral ? Faut-il s'en inquiéter ? Et quels sont les risques pour notre santé ? Sylvain Ballu, chercheur au Centre d'étude et de valorisation des algues (Ceva), nous éclaire.

LCI : Assiste-t-on à une recrudescence d’algues vertes vertes ?

Sylvain Ballu : Non. En matière de prolifération, la tendance générale est beaucoup plus favorable sur la plupart des sites sensibles depuis des années. En 2010, 2011 ou 2013, par exemple, on en a eu très peu sur le secteur breton, qui est le plus important en terme d’échouage. Il est vrai que c’est remonté un peu ensuite, mais, à chaque fois, c’était très bien expliqué par des conditions conjoncturelles. Le problème c’est quand le conjoncturel devient régulier et qu’il y a lieu de se demander si ça ne devient pas structurel : on n’en est pas là. Donc la tendance générale est bonne parce que notamment les concentrations en nitrate dont se nourrissent les algues vertes diminuent. 

On assiste cette année à une prolifération précoce et massive en Baie de Saint-Brieuc
Sylvain Ballu

En revanche, c’est vrai que les événements météo extrêmes auxquels on assiste comme les records de pluie en juin 2018 et 2019 peuvent entraîner localement des situations exceptionnelles. C'est ce à quoi on assiste cette année en Baie de Saint-Brieuc. La situation est inédite en ce sens que c’est la première fois qu’on assiste à une prolifération aussi précoce et massive dans cette zone sans que cette prolifération soit à ce point présente ailleurs. En général, on a des tendances régionales qu’on retrouve sur tous les secteurs sensibles. 

2017 avait déjà été une année marquante en termes de prolifération, puisque ça a été l’année la plus précoce de toutes celles qu’on a mesurée depuis 2002. En avril, on avait relevé des chiffres presque dix fois plus élevés que les années antérieures, idem pour le mois de mai. Mais tous les sites sensibles au phénomène avaient alors a peu près la même signature, à savoir les baies de Saint Brieuc, de Saint-Michel et Douarnenez. 

LCI : Comment expliquer cette prolifération précoce et massive en 2019 ?

Sylvain Ballu : Il y a deux facteurs principalement qui nous permettent de prédire ce genre de situation exceptionnelle : la quantité d’algues en fin de saison précédente (on se fie au chiffre obtenu en octobre précédent) et la dispersion hivernale c’est-à-dire que quand l’hiver est rigoureux,  les stocks de l’année d’avant sont mieux digérés, on remet en quelque sorte les ardoises à zéro

Or, s’agissant de cette année 2019, si l’on se concentre sur la Baie de Saint-Brieuc qui est particulièrement touchée, on avait beaucoup d’algues lors des relevés de fin de saison en octobre 2018. Les autres secteurs étaient quant à eux quasiment exempts d’algues. A titre d’illustration, on s’est notamment retrouvés au mois d’octobre avec 50% d’algues en plus que ce qu’on a normalement contre 50% de moins en Baie de Saint-Michel. Puis l’hiver qui a suivi n’a pas été particulièrement agité donc on a conservé ce noyau. 

On peut parler d’alignement des planète très défavorable cette année
Sylvain Ballu

En outre, normalement, ce qui manque aux algues à cette période de l’année pour pousser, c’est notamment la lumière. Et cette année, en février, compte-tenu des conditions météo particulièrement favorables, on mesurait 100 % d’heure de soleil en plus que d’habitude avec de fait des eaux qui se réchauffent bien. En conséquence, les petits morceaux d’algues ont poussé très vite. Donc, on peut  parler d’alignement des planète très défavorable cette année.

Il y a un dernier élément pour expliquer cette situation particulière en Baie de Saint-Brieuc, c’est qu’il s’agit de la baie la plus vaste et la plus abritée de Bretagne avec donc un signal de houle et une dispersion très atténués.

Le repli de la prolifération peut aller assez vite
Sylvain Ballu

LCI : Doit-on s’en inquiéter ?

Sylvain Ballu : Il ne faut pas nier le phénomène, il y a des zones où l'on est vraiment très embêtés par ces algues vertes. D’un point de vue visuel mais aussi activité récréative. D’autant qu’il y a des zones qui en plus d’être touchées par des grosses masses sont concernées par la putréfaction synonyme d’odeurs nauséabondes et d’émanations de gazes potentiellement toxiques. En l’occurrence, l'hydrogène sulfuré (H2S) qui, à haute concentration, devient un toxique puissant. Face à pareil cas, le message général, c’est de dire : si ça sent pas bon, que c’est désagréable, on prend pas de risque, on n’y va pas.

Pour autant, les perspectives qu’on a dans les semaines qui viennent sont plutôt à un amoindrissement du phénomène à moins de gros débits de pluie mais ce n’est pas vraiment ce qui est annoncé : les algues vertes tirent la langue car elles n’ont plus assez de nutriments pour assurer leur croissance. Or, s ‘il y a moins de croissance, il y aura moins de réalimentation dans les hauts de plage et si on continue de les ramasser en parallèle, 

D’autres régions connaissent des phénomènes de putréfaction semblables
Sylvain Ballu

LCI : On parle surtout de ce fléau en Bretagne mais ce n’est pas la seule région concernée…  

Sylvain Ballu : Non en effet, même si c’est celle dont on parle le plus parce que le problème y est particulièrement vif et qu’il s’agit de la première région à avoir réagi en mettant en place un programme de prévention et curatif. La prolifération des algues ne connait pas les frontières géographiques et administratives. 

De fait, il y a d’autres régions qui connaissent des phénomènes de putréfaction semblables actuellement, notamment le sud de la Loire et la Normandie. Et j’aurais presque tendance à dire que le danger potentiel y est plus vif en matière de protection des riverains et des travailleurs qui viennent ramasser ces algues échouées justement parce que ces zones, historiquement, sont moins concernées, ou pas dans les même proportions, et qu'elles ne connaissent pas de dispositifs de prévention semblables aux dispositifs bretons.

LCI : Justement, à quoi s'expose-t-on vraiment en présence d'algues vertes ?

Sylvain Ballu : Quand on parle du problème des algues vertes, on parle surtout de toxicité aiguë car on ne sait pas vraiment ce qu’il en est de la toxicité chronique, il y a peu d’étude sur le sujet.

Avant d’atteindre ce stade de toxicité aiguë, les premiers symptômes qui ont été décrits et qui doivent alertés, au-delà du fait qu’on est agressés par l’odeur, ce sont les picotements du nez, des yeux, mais aussi des maux de tête ou encore des nausées et vomissements. Au stade ultime, on assiste à des lésions graves comme des œdèmes pulmonaires.

Mais ce niveau de toxicité aiguë, on l’atteint quand on brasse le milieu, qu’on le perturbe : les petites bulles de gaz s’échappent alors et forment une sorte de petit nuage à une concentration élevée. On peut alors tomber dans le coma ou mourir. C’est ce qui explique notamment les cas d’animaux retrouvés morts ces dernières années : chiens, cheval, sangliers… Mais lorsqu'on ne perturbe pas le milieu, même nous, experts, nous n’avons jamais mesuré cette toxicité aiguë.


Recueilli par Audrey Le Guellec

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