Reconstruction de Notre-Dame : dons ou impôts, quelle est la solution la moins coûteuse pour l'Etat ?

Propos recueillis par Justine Faure
Publié le 17 avril 2019 à 18h36, mis à jour le 18 avril 2019 à 11h22

Source : Sujet TF1 Info

ARGENT - Alors que le montant des dons déjà récoltés fait polémique, des voix s'élèvent pour réclamer le financement des travaux de reconstruction de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris par les finances publiques et la création d'un nouvel impôt. Le gouvernement a choisi l'inverse. Don ou impôt : quel est le plus avantageux pour l'Etat ? Eléments de réponse avec Aurélie Carlier, avocate fiscaliste.

La polémique enfle. Alors que les familles Arnault, Bettencourt et Pinault ont promis entre 100 et 200 millions d'euros de dons pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris en partie détruite par les flammes lundi, les critiques se multiplient déjà sur le mécanisme de crédit d'impôt dont elles vont bénéficier à la clé. Quand bien même la famille Pinault a annoncé mercredi qu'elle renoncerait à ce crédit d'impôt, les critiques fusent - majoritairement à gauche - contre ce système de mécénat qui permet aux entreprises d'obtenir une réduction fiscale de 60% du montant de leur don.

Les particuliers bénéficieront d'ailleurs aussi d'un petit cadeau fiscal. Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé mercredi, à l'issue du Conseil des ministres, qu'un projet de loi spécifique permettrait aux particuliers de bénéficier d'une réduction allant jusqu'à 75% pour un don inférieur à 1.000 euros, puis de 66% au-delà. 

Pour certains, la restauration de Notre-Dame nécessite des financements publics, et donc un nouvel impôt, collecté auprès des plus riches, voire un "ISF Notre-Dame". Est-ce une bonne idée ? LCI a posé la question à Aurélie Carlier, avocate fiscaliste au sein du cabinet Delsol Avocats.

LCI : Les dons, défiscalisés à 75%, 66% ou 60%, représentent-ils un vrai manque à gagner pour l’Etat ?

Aurélie Carlier : Malgré la réduction d’impôt, les dons coûtent toujours moins chers à l’Etat, car il ne redonne jamais au donateur 100% de la somme affectée au financement d'un projet. Sans ces dons, le projet devrait être intégralement financé par l'Etat. Dire que le mécénat rapporte plus à celui qui consent le don, c’est faux. Il reste un acte financier pour lequel l’entreprise paye plus qu’elle ne reçoit en réduction d’impôts. De plus, cette somme doit être réintégrée au résultat fiscal soumis à l’impôt sur les sociétés. Le mécénat offre aux entreprises la possibilité d’obtenir une réduction d’impôts de 60% du montant du don, mais le don ouvrant droit à cet avantage est limité à 0,5% du chiffre d’affaire. Si un tel système existe en France, c’est aussi pour rendre le mécénat attractif, lui permettre de prendre le relais d'un financement qui sinon serait public. En valeur, le mécénat privé est beaucoup plus faible en France qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne. 

Pour les particuliers, il est difficile de parler de carotte fiscale. Les ménages qui ne payent pas d’impôts sur le revenu ne bénéficieront d’aucune réduction. En outre, beaucoup de particuliers et d’entreprises, notamment des PME, vont donner mais ne le feront pas dans l’optique de payer moins d’impôts.

Transformer cet élan en impôt ne me paraît pas très cohérent."
Aurélie Carlier

LCI : Certains préféreraient passer par le financement public et donc par l’impôt, et évoquent l’idée d’un "ISF Notre-Dame" qui taxerait les plus riches. Est-ce envisageable ?

Aurélie Carlier : Il me paraît plus sain d’être sur un financement volontaire, sur du don, que d’instaurer un impôt en plus. Après il peut y avoir un financement un peu hybride avec une partie en impôt. Cela dépendra de la hauteur à laquelle l’Etat va souhaiter contribuer directement à l’effort de reconstruction. Mais s’il y a suffisamment de dons, il me semble que le schéma économique vertueux serait d’inciter les dons et d’envisager l’impôt en dernier recours. 

Transformer cet élan de générosité en impôt ne me paraît pas très cohérent, sauf si on réfléchit à un impôt plus global pour protéger le patrimoine. Est-ce que cette catastrophe ne va pas nous inciter à faire un peu plus attention à notre patrimoine ? Et est-ce qu’à ce moment-là on ne peut pas réfléchir à la création d’un impôt patrimoine ou plutôt à l'affectation d'un impôt existant au financement et à l'entretien du patrimoine ? 

LCI : Don ou impôt : lequel est le plus avantageux pour l’Etat ?

Aurélie Carlier : Quand l’Etat lève un impôt, ça lui coûte de l’argent. Il doit le calculer, mobiliser son administration, faire des campagnes d’information. Les impôts taxant les plus riches, comme l’ISF en son temps et l’IFI aujourd’hui, sont chers à collecter. Alors que le don, c’est l’organisme qui le reçoit qui en paye les frais de collecte. J’aurais donc tendance à penser que le don ne coûtera pas très cher à l’Etat. Je fais référence à ce qui existe aujourd’hui. Si demain est créé un nouvel établissement public pour le patrimoine, chargé notamment de recueillir les donations pour Notre-Dame, ça sera différent puisque la collecte impliquerait la création d'une nouvelle structure publique, forcément coûteuse.

Si on s’éloigne de la simple levée des dons, certes les réductions d’impôts coûtent de l’argent à l’Etat, mais jamais à hauteur de l'économie corrélative générée en dépense publique. Par exemple lorsque l’Etat lève un nouvel impôt, cet argent lui revient à 100% mais il le redistribue aussi à 100% pour financer une dépense. Alors que s’il récupère de l’argent via un organisme d’intérêt général ou une fondation, cela ne lui coûtera que 66% voire 60%. Et il n’aura pas de frais de collecte. 


Propos recueillis par Justine Faure

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