Selfies et fusils : comment des Instagrameuses tentent de redorer l'image de la chasse

par Mathilde ROCHE
Publié le 18 août 2020 à 10h58, mis à jour le 18 août 2020 à 13h44
Selfies et fusils : comment des Instagrameuses tentent de redorer l'image de la chasse
Source : LCI

PROPAGANDE - Alors que les Français sont majoritairement opposés à la chasse, la jeune génération s'empare des réseaux sociaux pour partager sa passion. Sur Instagram, ce sont de ravissantes jeunes filles qui se mettent en scène pour moderniser l'image de cette activité. L'une de ces influenceuses chasseresses, Johanna Clermont, est l'égérie d'une campagne d'affichage lancée ce mardi.

Bottes en caoutchouc remontées jusqu'à mi-cuisse, ventre bedonnant sous la chemise à bretelles, moustaches grisonnantes, béret militaire et vapeurs d’alcool. Voilà l’imaginaire commun du chasseur français, entre clichés et railleries, alors que le dernier bilan de l’Office français de la biodiversité fait état d'une hausse du nombre d'accidents sur la saison 2019-2020. 

Sauf que les réseaux sociaux sont passés par là et que la chasse s'est fait une nouvelle jeunesse. Sur Instagram, des hordes d'influenceuses chasseresses ont développé des comptes où leurs jolis minois côtoient les carabines. Elles fédèrent des communautés de plusieurs milliers de personnes qui n’ont rien à envier à celles des blogueuses mode et beauté.

Moderniser la chasse en laissant plus de place aux femmes

Marine est une “vraie Parisienne”, 27 ans, cheffe de projet marketing digital (sic) en CDI dans la capitale. Mais ses stories Instagram ne ressemblent pas vraiment à celles des influenceuses classiques. Entre les sorties entre filles et sa chienne préférée, se glissent des photos de cadavres de chevreuils, renards ou sangliers. "Cela peut paraître fou quand on connaît mal la chasse, mais je suis une amoureuse des animaux", nous assurait l'an dernier celle qui tient le compte Instachasseresse. Hormis ses trophées, la jeune femme montre l'envers du décor des parties de chasse : comment assurer sa sécurité et celle des autres, comment choisir les animaux qui seront abattus et comment les cuisiner ensuite. "J’avais simplement envie de montrer que les femmes sont présentes dans le monde de la chasse, que les chasseresses osent plus se montrer", expliquait-elle.

Il faut dire que cette activité est majoritairement masculine. Selon les dernières estimations sur le profil sociologique des chasseurs, seulement 2% sont des femmes. Cela se ressent sur les statistiques de son compte : une très large majorité de ses dizaines de milliers d'abonnés sont des hommes. Un pourcentage que Marine aimerait plus paritaire : "J’aimerais être suivie par plus de femmes, mais je ne cherche pas à leur imposer un contenu ou à promouvoir la chasse pour autant". "J’aime juste mettre en avant de manière spontanée mon loisir,  transmettre mes valeurs et partager mes conseils". Comme le sien, des dizaines de comptes de jeunes femmes partageant leur affection pour la chasse fleurissent sur le réseau.

Je suis comme n’importe quelle autre influenceuse. Sauf que je vends des armes et des munitions !
Johanna, du compte Instagram @johannaclermont

Parmi tous ces comptes, la papesse de la chasse 2.0, c’est Johanna Clermont. Depuis ce mardi 18 août, son visage s'affiche en 4X3, notamment dans le métro parisien, dans le cadre d'une vaste campagne d'affichage contre le "chasse bashing" lancée par la chaîne Zone300, autoproclamée "Netflix de chasse et de pêche".  Le slogan : "Chassez vos préjugés !" La jeune femme s’est déjà fait connaître dans le milieu bien au-delà de ses réseaux sociaux. "Certains se sont mis à dire que j’étais la représentante française de la chasse", s’amusait-elle l'an dernier auprès de LCI. "Pour une partie des chasseurs, être représenté par une blonde à forte poitrine de 22 ans, c’est très énervant. Mais l’autre partie préfère ça plutôt qu’être représenté par un gars bourré comme dans le sketch des Inconnus !", s'esclaffait la jeune chasseuse. Dans tous les cas, sa notoriété a changé sa vie.

Il y a quatre ans, elle poste sur Facebook une photo d’elle à côté de son premier "prélèvement" (comprenez abattage) de sanglier. Repartagée en masse sur les réseaux, la jeune femme est repérée par un fabricant d’armes. On lui propose de la sponsoriser en contrepartie de l’utilisation de son image, et tout décolle. Johanna délaisse progressivement ses études de droit pour se consacrer à la production de contenus liés à la chasse à plein temps.

Agent, équipe de com' et de production audiovisuelle, photographe… Johanna s’entoure désormais d’une dizaine de personnes pour gérer son image et alimenter ses comptes à hauteur de ce qu’attend sa communauté. Sur les photos et vidéos publiées chaque jour, elle se met en scène en train de manier différentes armes, de chasser ou de raconter son quotidien. "Concrètement, je suis comme n’importe quelle autre influenceuse. Sauf qu’au lieu de vendre des rouges à lèvres et du shampoing, je vends des armes et des munitions. Et c’est quand même plus stylé !"

Durant la saison de la chasse, Johanna pratique parfois jusqu'à cinq jours dans la semaine. "Je me suis toujours interdite de me forcer à aller chasser juste pour produire du contenu", nous précisait-elle. "Mais des fois, mon travail prend le dessus sur ma passion, je ne peux pas vivre le moment pleinement ou profiter de l’adrénaline car je dois m’arrêter pour tout documenter". Un cap que Marine n’est pas encore prête à passer. "J’ai envie de développer ce compte et devenir une référence dans le milieu, mais je n’envisage pas d’en vivre avant quelques années".

Une exposition constante aux messages haineux ou sexistes

Elles en sont conscientes, s’exposer ainsi est un pari risqué alors que plus de 80% des Français se disent contre la pratique de la chasse. Si elles sont fières de partager leur passion sur les réseaux sociaux, les deux influenceuses nous confiaient l'an dernier recevoir de nombreux messages négatifs, voire franchement haineux de certains internautes. "Je reçois des menaces de mort régulièrement, j’ai au moins 4 ou 5 messages d’insultes par jour, ou on m’envoie des dickpicks", détaillait Johanna sur un ton laconique. "J’ai déjà fait des procédures judiciaires quand c’est allé trop loin, mais je n’ai pas le temps d’aller porter plainte dix fois par jour, les tribunaux ont autres choses à gérer, et moi aussi".

Marine estimait elle aussi que la meilleure façon de se prémunir de ce harcèlement est de ne pas entrer dans leur jeu. "Je comprends que cela ne plaise pas à tout le monde, chacun ses opinions. Si je vois que la personne est trop fermée, je n'essaye même pas de répliquer, je passe à autre chose. Mais quand des personnes vont au-delà de leur a priori pour essayer de comprendre, c'est toujours un plaisir de discuter, d'expliquer ce que l'on fait".

Ces nouvelles ambassadrices sont donc une véritable aubaine pour la chasse, et attirent de nouveaux adeptes de cette activité polémique. "Je vois que la jeune génération est beaucoup plus concernée par la gestion des territoires, l'aspect environnemental de la chasse. La pratique est en train d'évoluer dans le bon sens", témoignait encore Marine, espérant voir changer les mentalités sur sa passion.


Mathilde ROCHE

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