Les tests osseux sur les jeunes migrants validés par le Conseil constitutionnel : de quoi parle-t-on ?

par Amandine REBOURG Amandine Rebourg
Publié le 21 mars 2019 à 18h32
Les tests osseux sur les jeunes migrants validés par le Conseil constitutionnel : de quoi parle-t-on ?
Source : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

EXPLICATIONS - Pour évaluer l'âge des jeunes migrants à leur arrivée sur le territoire français, la France a recours aux tests osseux. De nombreuses associations les jugent pourtant "inadaptés, inefficaces et indignes" et certains médecins en recommandent l'abandon. La pratique a été validée par le Conseil constitutionnel ce jeudi. Mais de quoi parle-t-on réellement ? LCI fait le tour de la question.

Pour certains, il s'agit de pratiques "indignes, inefficaces et inadaptées". Pour d'autres, il s'agit d'un "problème d'éthique médical sérieux". Jacques Toubon, défenseur des Droits estime de son côté que ces examens sont "invasifs et non fiables". Les tests osseux pratiqués sur les jeunes migrants à leur arrivée en France pour déterminer leur âge ne font pas l'unanimité, c'est le moins que l'on puisse dire. 

Le Conseil constitutionnel a acté la conformité de cette pratique avec notre loi fondamentale, jeudi 21 mars. Une question de constitutionnalité qui avait été déposée par un jeune Ghinéen après qu'il avait refusé l'examen, ce que le juge en charge de l'affaire avait interprété comme une preuve de sa majorité. Où se situe le problème ? Quelles questions éthiques posent cet examen ? LCI a tenté d'y voir plus clair. 

Que s'est-il passé ?

Lorsqu'il arrive en France en 2016, Adama S. est pris en charge par l'Aide sociale à l'Enfance. Il dit avoir 15 ans, mais pour s'assurer de sa minorité, on lui a demandé de se soumettre à des tests osseux. Une pratique fréquemment utilisée dans les pays européens pour déterminer l'âge des jeunes migrants à leur arrivée dans sur le Vieux continent. Sauf qu'Adama S. refuse de s'y soumettre et, en 2017, un juge pour enfant déduit de ce refus une preuve de sa majorité. Le magistrat avait lève alors son placement auprès de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), mais le jeune homme fait appel en acceptant cette fois les tests osseux. 

En juillet, la cour d'appel de Lyon estime son âge entre 20 et 30 ans, confirmant qu'il ne bénéficierait pas de l'ASE. Adama S. forme un pourvoi en cassation, enclenchant la procédure devant le Conseil constitutionnel. Selon la plus haute juridiction française, "les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé". "Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé".

Pour son avocate, Me Zribi, ces tests sont "non fiables" et "portent atteinte à la protection de l'enfance et au droit à la santé et à la dignité" des migrants mineurs. Elle pointe "la très large marge d'erreur" de ces examens et le risque que cela induit : "priver des mineurs de la protection de l'Etat, les livrer à la rue", voire à la délinquance ou aux abus. 

Comment sont pratiqués ces tests ?

De nombreux pays d'Europe ont recours à cette pratique car le traitement du cas d'un mineur diffère de celui d'un majeur. En France, il est prévu qu'un mineur étranger de moins de 18 ans et sans représentant légal en France doit être pris en charge par l'Aide sociale à l'Enfance. Si sa minorité n'a pu être prouvée après un entretien et la vérification des documents d'état civil, l'autorité peut alors demander un examen osseux, mais seulement avec l'aval de l'intéressé. 

Dans les faits, ces tests sont difficilement refusables par les mineurs présumés car "refuser est considéré comme une présomption de majorité", indique Violaine Husson de la Cimade. Le test est réalisé dans un institut médico-judiciaire. Il consiste en une radio de la main gauche et du poignet, parfois de la clavicule et des dents. Les données sont ensuite comparées avec un atlas dit "de Greulich et Pyle". Un référentiel qui compile des radiographies prises entre 1931 et 1942 sur des enfants américains de milieux aisés, et en bonne santé. Rien à voir avec les populations subsahariennes, souvent soumises à ces tests.

Il n'existe pas de chiffres officiels sur cette pratique mais le professeur Patrick Chariot, chef de service de médecine légale à l'hôpital Jean-Verdier de Bondy, estime par exemple que ses équipes mènent une centaine de ces examens par an. 

ARCHIVES - Des avocats alertent sur la situation des migrants mineurs à ParisSource : JT 20h WE

Sont-ils fiables ?

A en croire les spécialistes, pas vraiment. Pour beaucoup, ces test sont jugés obsolètes car basé sur des radios datant des années 30-40. Celle-ci "permet d'apprécier avec une bonne approximation l'âge (...) en dessous de 16 ans" mais "ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans", estimait l'Académie nationale de médecine en 2007. 

Apparaît donc la marge d'erreur qui peut être vaste. L'intervalle d'interprétation varie entre "4 ans minimum et 6 ans maximum" selon une étude citée par la Société européenne de radiologie pédiatrique, qui a affirmé en août 2018 "ne pouvoir recommander l'usage" de cette méthode. Pour le professeur Patrick Chariot, "aucun examen ne peut certifier qu'un adolescent n'a pas l'âge qu'il déclare". 

Mais au-delà de la fiabilité, se pose également la question du caractère invasif de cette méthode d'étude radiologique. De fait, exposer des enfants à des rayons irradiants, plus ou moins importants selon la zone radiographiée, peut avoir des conséquences sur leur santé. 

Comment sont interprétés les résultats ?

Avec une telle marge d'erreur sur cette tranche d'âge, les conséquences légales peuvent être désastreuses pour le mineur présumé. En effet, malgré son manque de fiabilité démontré par la communauté scientifique, les juges rendent souvent leur décision en se basant sur ces résultats, considérés comme des expertises judiciaires. Me Zribi estime auprès de LCI que la prise en considération de ces tests "non fiables" revient à faire "abstraction de la présomption de minorité". "C'est une règle, en cas de doute, la personne est présumée mineure. Or comme ils sont considérés comme des expertises, pour le juge, cela élimine tout doute. Et c'est un problème", fait valoir l'avocate d'Adama S.

Existe-t-il des alternatives ?

Plusieurs organisations militent pour les remplacer totalement par d'autres techniques d'enquête, psychologiques, sociales et éducatives, comme cela peut se faire en Angleterre, où l'on utilise une méthode dite "holistique", réputée plus fiable. 

Le comité d'éthique du CHU de Brest a recommandé l'an dernier l'abandon de ces tests irradiants, en pointant un "problème d'éthique médical sérieux", notamment au vu des "conséquences possibles" du diagnostic pour le jeune évalué si cela se traduit par "un arrêt de la prise en charge" par les services sociaux et "à une mise à la rue".


Amandine REBOURG Amandine Rebourg

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