Un animal sur quatre tué par les chasseurs provient-il vraiment d'élevages ?

par Claire CAMBIER
Publié le 11 octobre 2019 à 17h02
Un animal sur quatre tué par les chasseurs provient-il vraiment d'élevages ?
Source : GUILLAUME SOUVANT / AFP

FAUNE (VRAIMENT) SAUVAGE ? - Les chasseurs sont ils vraiment des régulateurs de la faune sauvage ? Certains militants anti-chasse le démentent avec un chiffre à l'appui : 25% des animaux tués proviendraient d'élevages de gibier. A La Loupe a tenté de vérifier cette statistique.

Ça y est la chasse est officiellement ouverte sur tout le territoire français. L'heure est venue pour les chasseurs de sortir leurs fusils et pour les militants écologistes, d'élever un peu plus la voix. La mobilisation s'opère sur différents fronts : mi-septembre, le naturaliste Pierre Rigaux publiait "Pas de fusils dans la nature", le 5 octobre une manifestation était organisée à Paris, des campagnes ont été lancées sur les réseaux sociaux.

L'opposition s'est intensifiée ces dernières années, au point que le Sénat vient de voter une proposition de loi visant à réprimer plus durement les "entraves à la chasse" et "intrusions dans des abattoirs ou des exploitations agricoles". Le texte doit maintenant revenir devant l'Assemblée nationale. 

L'argumentaire de ces opposants au million de chasseurs français se focalise principalement sur un point : la justification de cette activité par le besoin de régulation de la faune sauvage serait un leurre. Et pour cause : un animal sur quatre tué proviendrait d'élevages de gibier. C'est ce qu'assure le naturaliste Pierre Rigaux dans un reportage réalisé par Demos Kratos et publié le 18 septembre. Un extrait posté sur Facebook enregistre plus d'un million de vues.

L'élevage à des fins cynégétiques est une réalité. Il "s'est développé dans les année 70 en raison de la dégradation des habitats, causée principalement par l'urbanisation galopante, nous explique Jean-Christophe Chastang, président du syndicat national des producteurs de gibier de chasse (SNPGC). Des voies structurantes, ferroviaires et routières, ont haché les corridors naturels et conduit à une diminution démographique de la faune sauvage." Plus qu'un vivier d'animaux à tuer, cette filière est selon lui essentielle à la survie de certaines espèces animales et à leur repeuplement.

La filière produirait chaque année 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colvert, 100.000 lapins de garenne, 40.000 lièvres de France, 10.000 cerfs et 7.000 daims. Des chiffres qui datent de plusieurs années mais n'ont pas encore été actualisés. Si ces données semblent impressionnantes, tout ce gibier n'est pas destiné à être lâché dans l'Hexagone : "40 à 50% du gibier est dédié à l'export, principalement l'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Italie", avance M. Chastaing qui gère lui-même un élevage de faisans dans la Drôme. 

Est-ce que ces animaux représentent un quart des animaux tués à la chasse ? "Je ne sais pas", nous répond-il. Mais pour nous prouver que ce gibier n'est pas que de la chair à fusil, il assure que "le taux de prélèvement est proche de 50%", autrement dit, un animal issu d'élevage sur deux réussiraient à survivre dans la nature. Notamment parce que tous les lâchers ne sont pas effectués en période de chasse. "Il y a trois catégories de gibier que l'on relâche à différentes périodes de l'année, nous explique l'éleveur. Le gibier reproducteur est remis en nature au printemps pour qu'il puisse se reproduire à l'état naturel, le gibier de repeuplement est lâché l'été et enfin du gibier est relâché en période de chasse." Une enquête nationale est en cours nous assure-t-il, les données ne sont pas encore connues mais il estime que 50% du gibier d'élevage est relâché en période de chasse, un pourcentage que nous ne pouvons vérifier.

La chasse officiellement ouverte en Alsace et en MoselleSource : JT 13h Semaine

Vérifier cette statistique - 1 animal sur 4 tué à la chasse est né en élevage - n'est pas chose aisée : on comprend rapidement que le sujet est délicat et que les données manquent sur cette activité. Le ministère de l'agriculture nous renvoie à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ce dernier nous indique ne pas pouvoir répondre à nos questions et nous aiguille cette fois à Interprochasse, une fédération d'acteurs de l'économie liée à la chasse ... qui comprend notamment le syndicat de M. Chastang. Retour à la case départ. 

L'ONCFS nous conseille également de nous tourner vers la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Celle-ci a bien tenté de trouver des données sur le suivi des animaux d'élevage sans grand succès. Elle nous explique que des estimations existent pour certaines espèces mais qu'elles sont limitées.

Le ministère de la Transition Ecologique quant à lui nous  a livré des éléments sur le cadre réglementaire et les infractions mais pour le reste, il nous a indiqué que "les réponses n'ont pas été obtenues à cet instant auprès de notre opérateur concerné, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ces chiffres sont difficiles à collecter et donc rarement à jour." 

6 à 8 millions d'animaux provenant d'élevage tués ?

Chacun se renvoie la balle. Nous nous tournons donc vers les écologistes qui avancent ce fameux "1 animal sur 4 issu d'élevage". La première association à mettre en avant cette statistique est l'association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS). "Nous avons mené une enquête en 2018 et a lancé une campagne-choc à l’automne 2018 sur les conditions d’élevage des animaux élevés pour la chasse, avec un focus sur les faisans et perdrix, nous explique-t-elle. Pour cette enquête, nous avons réalisé un dossier de fond de 40 pages en s’appuyant sur de nombreuses sources." C'est dans le cadre de cette enquête que cette statistique a été établie.

Page 6, on peut y lire : "6 à 8 millions d’animaux provenant d’élevage sont tués chaque année à la chasse, soit un quart des animaux tués à la chasse." La source est clairement indiquée, il s'agit d'une enquête déclarative de l'ONCFS et de la FNC réalisée sur la saison 2013/2014. Régulièrement ces deux organismes publient les données nationales sur les tableaux de chasse à tir. La précédente date de 2000.

En fouillant cette enquête sur les tableaux de chasse, on y découvre les différents animaux prélevés par espèce pour cette saison, mais là encore pas de données précises sur les animaux d'élevage. Des indications sont toutefois apportées. Par exemple pour le faisan commun : "Avec un tableau estimé à environ 3 millions d’individus – soit environ 2,5 faisans par chasseur français – c’est l’un des gibiers les plus prélevés, toutes espèces confondues. Bien sûr, même si les populations sauvages se développent – plus de 40 000 coqs chanteurs avaient été recensés dans le cadre du réseau Perdrix-Faisan au sein de ces populations au printemps 2013 (cf. Mayot, 2014) –, l’essentiel de ce prélèvement est réalisé sur des oiseaux d’élevage." Même chose pour la perdrix rouge, "dont le prélèvement total est estimé à environ 1,3 million d’individus, lequel s’exerce en grande partie sur des oiseaux issus d’élevage." Ainsi que la perdrix grise : "Les prélèvements s’exerçant également de façon non négligeable sur des oiseaux issus d’élevage, du moins dans certaines régions, le nombre d’individus prélevés nés en nature serait donc faible au regard du nombre de reproducteurs présents cinq ans plus tôt." A l'inverse pour le lapin de garenne, les instituts notent que "le prélèvement par la chasse à tir est étroitement lié à l’état des populations sauvages puisque les lâchers d'animaux d'élevage sont marginaux".

Ces informations à la marge donnent des indications, mais pas de chiffres précis. Nous avons donc sorti notre calculatrice. Les tableaux de chasse à tir en 2013/2014 comptent environ 20,5 millions d'animaux prélevés. On peut estimer qu'au moins 4,5 millions d'entre eux sont issus d'élevage, soit 1 cinquième. 

Ces tableaux ne comprennent pas toutefois toutes les espèces d'animaux, ni les prélèvements effectués dans les enclos de chasse ou les parcs, dans lesquels les chasseurs peuvent payer un droit d'entrer pour y tuer les bêtes. Selon Madline Rubin, directrice de  l'ASPAS, il y aurait 1300 parcs en France et "de 50.000 à 100.000 animaux", principalement "issus d'élevage pour répondre à la demande".

Une surmortalité due au manque d'adaptation au milieu naturel ?

Au-delà de la statistique, les associations écologistes dénoncent "un manque d'adaptation" des animaux d'élevage. "Ils ne sont pas du tout habitués au milieu naturel, ces bêtes sont abîmées, elles ont perdu l’habitude de se nourrir", avance Me Rublin. Elle nous livre un exemple : "j'habite dans la Drôme. Début septembre, on est obligé de klaxonner pour faire fuir les faisans qui viennent d'être relâchés. On en trouve sur les routes, dans les jardins, ils ont perdu tout instinct. S'ils ne sont pas tués par des chasseurs, ils meurent de manque d'adaptation."

Selon l'ONCFS, les choses ont un peu évolué ces dernières années. "Il serait lâché annuellement plus de 10 millions de faisans selon différentes sources, indique l'Office sur son site internet. Cela explique qu’il est prélevé dans tous les départements. Cela explique aussi que le cliché 'faisan = gibier de tir' ait encore la vie dure auprès des chasseurs, et surtout du grand public." Pour autant, "le développement important des volières à ciel ouvert est favorable à la réussite des repeuplements, ajoute-t-il, et la réglementation accompagnant ou suivant une reconstitution de populations (interdiction du tir, plan de chasse ou de gestion) est souvent mieux adaptée et respectée que par le passé." On observe ainsi dans le nord du pays une hausse des populations sauvages.

Mais l'Office sait aussi se montrer critique en ce qui concerne les lâchers. Pour la perdrix rouge, l'ONCFS reconnait que "l’objectif de ces lâchers est de maintenir une activité de chasse plus motivante pour les chasseurs." Et d'ajouter : "cette technique hypothèque les opérations de repeuplement et accélère la chute des populations naturelles. Si l’essentiel de ces oiseaux est tué dans les premières semaines de chasse, des perdrix 'sauvages' sont également prélevées et ce en proportion croissante au cours de la saison. Il est donc faux de dire que 'les lâchers protègent les sauvages'. Cette croyance peut être dangereuse car elle peut encourager à prolonger la saison de chasse.'"

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Claire CAMBIER

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